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1994-1995

UNIVERSITE DE BOURGOGNE Faculté de Lettres et Philosophie=

MEMOIR= E DE MAITRISE

MYTHOLOGIES DE JULES LAFORGUE

 

par Ca= rine PROST<= /p>

Sous la direction de :

Madame BERCOT

Professeur de Littérature à l'Université de Bourgogne


Dep= uis Platon, le mythe est considéré comme le mode d'exposition le = plus plaisant. Ainsi, dans le Protagoras, Protagoras répond à Socr= ate par le Mythe de Prométhée et Epiméthée, car il = est d'avis que sa démonstration sera plus agréable sous la forme d'une histoire. Le mythe se présente donc comme une forme de pensée permettant d'appréhender une réalité qui= se dérobe à la seule raison. Il est présent dans l'histoi= re de toutes les civilisations, comme l'a montré Mircea Eliade dans les divers traités qu'il a consacrés à l'histoire des mythologies. Dans Aspect du Mythe, il définit ce dernier comme il su= it :

&la= quo; Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événe= ment qui a eu lieu dans un temps primordial, le temps primordial des commencements. »[1]

Le = mythe révèle donc la sacralité du monde, rapporte l'activité créatr= ice des dieux et leurs irruptions parmi les mortels. Par référence à ce qu'il s'est passé « in illo tempore &raq= uo;, les hommes imitent les dieux et se définissent par rapport à l'histoire exemplaire qu'ils représentent. Ainsi, pour Mircea Eliade= , le mythe est nécessaire pour deux raisons : il permet d'abord aux homme= s de se maintenir dans le sacré, et par conséquent dans la réalité ; il participe de plus à la sanctification du monde lui-même, grâce à la réactualisation ininterrompue des exploits divins exemplaires. La mythologie fait donc part= ie intégrante de notre histoire ; c'est de plus un élément vivant destiné à évoluer. Des temps primordiaux &agrav= e; l'Antiquité, la mythologie se confond avec les religions polythéistes. On rend un culte aux divinités du panthé= on qui symbolisent chacune un aspect différent du monde sensible. C'est ainsi que, dans la plupart des mythologies, on retrouve des constantes comme l'opposition entre divinités solaires, masculines, et divinité= ;s lunaires, féminines. De même, toute mythologie possède = son dieu de la Guerre, son ou ses dieux de la Mort, sa Déesse-mèr= e et ses divinités symbolisant la Nature, la Beauté, l'Amour et la Fécondité. De cette façon se trouvent représentés sous un angle accessible à tous les quatre éléments du monde sensible. Dès ses origines, la fonct= ion symbolique du mythe affiche donc une certaine universalité.

Mai= s le statut du mythe varie au fil des grandes périodes de l'Humanit&eacut= e;. Tant que domine le cadre polythéiste, il reste synonyme de religion = ; on assiste de plus à des interférences entre les mythes grecs, latins et orientaux, qui s'enrichissent les uns les autres au coeur d'un syncrétisme d'ensemble.

N&e= acute;anmoins, avec l'émergence des grandes religions polythéistes, les myth= es antiques, considérés comme superstitions et éradiqués comme hérésies, doivent désorm= ais se contenter d'une existence cachée. En Europe, les mythes bibliques s'emparent de la place laissée vacante et introduisent une symbolique nouvelle. Ainsi, ils présentent de nouveaux héros mythiques. L'Ancien Testament est riche en figures hautement symboliques, telles Moïse, Job ou encore David ; quant au Nouveau Testament, il est dominé par l'image du Christ, Sauveur de l'humanité. De même, la Création du monde est revue sous l'angle du christianisme. Dans la mythologie grecque, les dieux naissent de l'univers déjà en place ; bien avant eux existaient le ciel, Ouranos, e= t la terre, Gaea, de même que leurs enfants, les Titans. Dans le renversem= ent opéré par la perspective chrétienne, Dieu précède toute Création, et l'ordonne lui-même co= mme le rapporte le récit de la Genèse. De même, dans les religions musulmanes et orientales, les modèles antiques sont soit refoulés, soit simplement enrichis par les mythes nouveaux que propo= sent les religions monothéistes. C'est ainsi que la mythologie en vient p= eu à peu à déborder d'un cadre strictement religieux, pour accéder à une existence plus littéraire. De fait, les écrivains s'emparent à leur tour de la structure du mythe afin d'en produire de nouveaux. La mythologie, sous cette forme dégradée, apparaît d'abord dans les légendes épiques, puis dans l'épico-chevaleresque ; ainsi, peu de temps après leur naissance à la vie littéraire, les mythes de Tristan et Yseult, de Roger et Angélique, des Chevaliers de la Table Ronde et même de leur avatar Don Quichotte deviennent aussi célèbres que les mythes gréco-latins. Puis cette repri= se du schéma mythique interviendra une ultime fois sous la forme dégradée du conte de fées. A notre époque, la notion de mythologie est des plus vagues ; quiconque s'est penché su= r ce problème est à même d'affirmer qu'il n'y a plus une, ma= is des mythologies. Elle englobe en effet le passé païen et sacré, mais encore des événements historiques fameux, = des personnages ayant eu un destin hors du commun (on a parlé du mythe de Napoléon), enfin des épisodes célèbres de la littérature. Tout cela forme l'Inconscient collectif d'une nation, sa « mythologie » particulière.=

C'e= st à cette mythologie multiple, qui regroupe les figures les plus diver= ses, que nous allons nous intéresser à présent, à travers l'oeuvre de Jules Laforgue, jeune poète et écrivain du XIXème siècle finissant.

Il s'inscrit au sein d'un regain d'intérêt mythologique d'époque ; après une existence cachée et honteuse qui a duré pendant tout le XVIIIème siècle, le mythe est réinventé. Par un procédé nommé palingénésie par la critique, on reprend les mythes anciens, = et on leur ajoute de nouvelles significations. Ainsi, Laforgue reprend les fig= ures classiques de Persée, Andromède, Pan et Lohengrin sous un jour totalement nouveau. Mais il crée aussi des mythes inédits, co= mme en témoigne sa mythologie lunaire, très personnelle. Plus enc= ore, il présente le mythe du Moi sous un angle original, qui se ré= sout finalement au mythe du Livre, ou de l'écriture idéalisé= ;e. Ainsi, il aboutit à un cadre mythologique qui lui est propre, et se démarque clairement de celui de ses contemporains.=

Tou= te la difficulté de notre analyse repose sur le paradoxe suivant : Comment= , en s'inspirant de grands mythes littéraires faisant, pour la plupart, figure de topoï, Laforgue parvient-il cependant à affirmer une originalité certaine ?

Pour donner réponse à cette question, nous commencerons par considérer, dans l'existence de Jules Laforgue, quels ont été les événements qui ont pu motiver un tel intérêt pour la mythologie, et le guider dans ses choix. Nous insisterons particulièrement sur la période parisienne, qui d= onne à l'esthétique de notre poète certaines de ses orienta= tions.

Pui= s nous étudierons les sources de la mythologie laforguienne, ce qui nous amènera à constater la richesse et la variété de l'intertexte laforguien. Nous nous intéresserons ensuite au traiteme= nt très particulier que Laforgue applique à l'élém= ent mythologique, qui semble se résoudre chez lui dans une universelle dérision.

Enf= in, nous examinerons les conditions et les limites d'une mythologie personnelle telle que notre poète entend la réaliser, non sans ironie vis-à-vis de sa personne.


Cha= pitre I) Genèse de la mythologie chez Jules Laforgue.

 

 

&la= quo; Je ne suis qu'un viveur lunaire

Qui= fait des ronds dans les bassins

Et = cela, sans autre dessein

Que devenir un légendaire. »[2]

 

 

A) Brève biographie du poète, dans l'optique suivante : comment Laforgue a-t-il découvert les éléments mythologiques, = qui constitueront bientôt l'axe majeur de son oeuvre ?<= /u>

 

 

1) = Petite enfance : Montevideo, Uruguay. (1860-1866)

 

 

Jul= es Laforgue naît le 16 août 1860 à Montevideo, Uruguay. Son père, un Tarbais autodidacte, ancien professeur, occupe dans la capi= tale un poste de secrétaire-comptable à la banque française Duplessis. Sa mère, d'origine bretonne, possède égalem= ent de la famille à Montevideo, où son père dirige une fabrique de chaussures. Jules est le deuxième enfant du jeune couple, après Emile, de dix-huit mois son aîné. On sait peu de choses sur cette première période de la courte vie de notre poète, si ce n'est ce qu'en rapporte le docteur René Chauvelo= t. Or, contre toute attente, ce dernier souligne que les six premières années uruguayennes furent déterminantes au niveau de la personnalité de Laforgue.

En = effet, il affirme que

&la= quo; Dès ces années initiales va se préciser l'opposition entre le physique et le moi mental. »[3]

Si,= du point de vue morphologique, l'enfant présente une bonne résistance, il n'en est pas de même de son psychisme. De fait, selon Chauvelot, le jeune Laforgue aurait été très tôt d'un naturel angoissé et même dépressif :

&la= quo; pour une durée soit de quelques jours, soit, le plus souvent, de quelques= heures, (...) spontanément ou secondairement à un psycho traumatisme, mais mineur, insignifiant, à une mini contrariété, l'humeur du petit Jules s'assombrit, la morosité, la tristesse revêtant une intensité sans commune mesure. (...)

Th&= egrave;mes au premier rang desquels il faut placer les sentiments d'ennui, de dégoût, la pensée (par conséquent précoce= ) de la mort. »[4]

D&e= grave;s la plus tendre enfance, c'est donc un tempérament atypique et tourmenté qui caractérise notre poète. De plus, il convient de relever, dans cette observation de Chauvelot, la détecti= on d'une profonde mélancolie, expliquée du fait de sa précocité intellectuelle.

Ain= si, pour comprendre l'oeuvre de Laforgue, on ne peut faire totalement abstracti= on de ces six premières années uruguayennes. Là, le carac= tère du poète se dessine, s'affermit, connaît ses premières crises d'enfant, dont se souviendra l'adulte. On peut en outre noter que, dès cette période, on a affaire à une personnalit&eacu= te; désenchantée, annonçant le futur disciple de Hartmann = et de Schopenhauer, qui viendra s'inscrire au sein du mythe du Poète Maudit.

 

 

2) L'adolescence : Tarbes. (1866-1876)

 

 

D&e= grave;s 1866, toute la famille Laforgue, qui compte désormais cinq enfants, rentre en France, à Tarbes ; l'Uruguay, en guerre depuis 1865 contre= le Paraguay, se prête mal à l'éducation de deux jeunes gen= s. Alors que les parents et les plus jeunes enfants repartent l'année suivante pour Montevideo, Emile et Jules, les aînés, restent en France sous la tutelle d'un cousin. C'est ainsi qu'en 1869 Jules entre avec= son frère comme interne au lycée de Tarbes. Il s'y contente de résultats moyens, même s'il lui arrive de se distinguer en récitation, en 1875, ou encore en version latine, en 1876. Mais, plus que ses performances scolaires, ce sont ses premiers émois sentiment= aux qui marqueront le plus profondément Laforgue durant cette deuxième période. En effet, en 1875, sa famille, qui compte à présent dix enfants, rentre définitivement en France. Jules devient alors externe, ce qui lui donne l'occasion de vivre son premi= er amour. Selon David Arkell, il s'agit

&la= quo; d'une jeune fille blonde au ruban bleu, Marguerite, qui le dédaigne. »[5]

Cet= te première déception amoureuse va sans doute marquer profondément la grande sensibilité du jeune homme, et éclaire la vision ambiguë et douloureuse qu'il garde pour toujo= urs de la femme. Il écrit d'ailleurs lui-même à ce propos :=

&la= quo; II y a une heure de nos quinze ans d'où dépendra notre caractère, notre mirage personnel de l'univers. »[6]

Sel= on Arkell, Jules Laforgue n'oubliera jamais cette Marguerite, qui peut ê= tre considérée comme :

&la= quo; le premier révélateur de sa manière de considérer = les femmes, et la Femme. »[7]

On = peut de fait penser que c'est à cet amour d'adolescent que songe notre poète lorsqu'il écrit les vers désenchantés des= Complaintes, et qu'il élabore au fil de son oeuvre sa figure personnelle de l'Ete= rnel Féminin.

De = plus, Arkell fait de cette mésaventure la source d'inspiration de Tessa, comédie en deux actes et en vers que Laforgue compose entre 1876 et 1877. Ainsi, l'on voit que la femme est d'emblée au coeur des préoccupations artistiques du poète. C'est elle qui lui inspi= re ses premières poésies et ses premières pièces dramatiques. Figure obsédante, il essaie de la comprendre, de la sit= uer tout au long de sa vie, comme en témoignent ses notes et réflexions intimes recueillies sous les titres de Aphorismes et réflexions sur la femme, Impressions, Dragées, Dragées grises, et Fragments de nouvelles, au sein des Mélanges posthumes. Aussi peut-on penser que c'est à partir de là = que s'élabore la mythologie de la femme selon Laforgue. Dès lors,= on retrouve en effet l'ambivalence entre la femme-bourreau, inspirée de Marguerite, et la compagne rêvée idéalisée sous = les traits de Tessa. De même, l'oeuvre de Laforgue dans son ensemble cons= erve le sceau du désenchantement et de la désillusion laissé par cette première expérience. En outre, la figure de la peti= te Marguerite a marqué à tel point notre poète qu'il l'évoque explicitement au fil de son oeuvre. Ainsi, ce passage de Locutions des Pierrots :

« Car on l'a unie=

Avec un monsieur

Ce qu'il y a de mieux

Mais pauvre en génie. »[8]

fait directement allusion à un événement rapporté par Arkell dans son introduction à Tessa :

&la= quo; Au cours d'un congé à Tarbes il la rencontra effectivement, sept= ans après sa mésaventure d'adolescent, au bras d'un bourgeois qu'= elle a dû épouser. »[9]

Si Laforgue tente de désacraliser l'image de son premier amour, le fantôme de la fillette n'en persiste pas moins à le hanter ; a= ussi peut-on dire que l'on assiste, à partir de 1875, à la naissan= ce d'un archétype de femme, créature inquiétante et pourt= ant sublime, dispensatrice de désenchantement. Les héroïnes laforguiennes des Moralités légendaires elles-mêmes peu= vent être comprises comme des avatars de ce modèle initial.

 

 

3) = La période parisienne. (Octobre 1876-Novembre 1881)<= /span>

 

 

Arr= ivée à Paris en 1876, la famille Laforgue, comptant onze enfants, s'insta= lle d'abord au 66, rue des moines, et c'est au lycée Fontanes que Jules = doit terminer son année scolaire.

Mai= s, en avril 1877 survient ce qui fut sans doute le plus profond traumatisme dans = la vie de notre jeune poète : sa mère, affaiblie par des grosses= ses trop nombreuses, succombe d'une pneumonie alors même que Jules allait enfin pouvoir profiter un peu de sa présence. Ce drame de la m&egrav= e;re absente laisse longtemps son empreinte désenchantée dans l'oe= uvre de Laforgue. Ainsi, dans le Sanglot de la Terre, on en trouve la tra= ce dans un poème de 1882, La Chanson du petit hypertrophique : <= o:p>

« C'est d'un’ maladie d'coeur=

Qu'est mort', m'a dit l'docteur

Tir-lan-laire ! Ma pauv’ mère ;

Et que j'irai là-bas,=

Fair’ dodo z'avec elle.

J'entends mon coeur qui bat,=

C'est maman qui m'appelle ! »[10]<= /span>

De même, dans son Avertissement = aux Fleurs de bonne volonté, datant de 1886, il rappelle, au vers tr= ois :

&la= quo; J'avais presque pas connu ma mère. »

En = outre, Pascal Pia attire notre attention sur les variantes qu'a subit ce texte ; en effet, dans sa version initiale, le poème s'ouvrait ainsi :

&la= quo; Ah ! J'ai presque pas connu ma mère ! »

Ain= si, presque dix ans après sa mort, l'absence de la mère est toujo= urs une source de profond désespoir pour notre poète.<= /span>

A la suite de ce triste événement, Jules Laforgue échoue au baccalauréat, une première fois en 1877, puis de nouveau en 1= 878.

En = 1879, la famille déménage aux confins du quartier Latin. Peu après, le père du poète décide de repartir pour Tarbes, avec les plus jeunes enfants. C'est ainsi que Jules et sa soeur Mar= ie restent seuls dans la capitale.

Alo= rs commence vraiment l'épanouissement intellectuel et artistique de not= re poète. A cette époque ont lieu ses premières parutions dans deux journaux toulousains, La Guêpe et L’Enfer, où l'on trouve ses premiers poèmes, quelques dessins ainsi que des chroniques parisiennes.

Mai= s il va surtout mettre à profit cette période pour enrichir sa culture, dans les domaines les plus variés. Pia nous apprend :<= /o:p>

&la= quo; qu'il fréquente assidûment la bibliothèque Sainte Geneviève, lit des ouvrages scientifiques, des essais philosophiques= , - notamment La Philosophie de l'Inconscient de Hartmann - et des recue= ils de poésie (Leconte de Lisle, Sully Prudhomme, Madame Ackermann, etc.) »[11]<= /span>

A côté de ces heures d'étude « sérieuses », Laforgue, curieux de tout, ne néglige aucune des manifestations culturelles plus fantaisistes que = l'on trouve alors dans le quartier Latin. Ainsi, en 1880, il fréquente le cercle des Hydropatries, dont Daniel Grojnowski donne la plus complè= te description :

&la= quo; Etudiants, écrivains, comédiens, artistes et bohèmes s'y rencontr= ent et s'y font entendre, interprètes de leurs propres écrits. Par leur prestation ils font triompher la galéjade, ils discrédit= ent les écrits sacralisés qu'illustre Le Parnasse contemporain= . »[12]<= /span>

Au = hasard de ses tribulations dans les milieux artistes parisiens, Laforgue noue cert= aines amitiés qui vont se révéler déterminantes dans = sa vie future. Ainsi, au début de 1880, il rencontre Gustave Kahn, jeune poète de son âge et futur directeur de La Vogue, revue = qui publiera bientôt les écrits de notre poète. A son conta= ct, ce dernier est amené à définir son esthétique, à préciser sa conception de la poésie. Il rencontre également Charles Henry, jeune physicien et chimiste curieux de poésie et de peinture, et qui connaît personnellement Seurat et Signac.

Enf= in, il fait la connaissance de Paul Bourget, toujours en 1880. Ce dernier, auquel Laforgue voue une admiration jamais démentie, se révèle être une véritable providence pour notre poète. De fait, Bourget accepte de le guider, lui donne des conseils, et finalement le recommande à Charles Ephrussi, riche amateur d'art, en tant que secrétaire. Chez lui, Laforgue peut à loisir apprécier= les plus beaux Pissaro. Sisley, Manet, Renoir, Degas, Monet, et se forme un goût très sûr pour la peinture moderne. Dès lors,= il fréquente assidûment expositions, musées, galeries d'ar= t, et suit les cours d'esthétique de Taine à l'école des Beaux-Arts, en 1881.

On = peut voir que la peinture elle-même participe à l'élaboration des thèmes mythologiques de Laforgue ; ainsi, les oeuvres de Gustave Moreau illustrent à merveille les Moralités légendaire= s.

De même, l'esprit fumiste que Laforgue découvre chez les Hydropat= hes donne à son oeuvre une orientation originale. Il apprécie cet humour pince-sans-rire porté à sa perfection par Sapeck, sacré « grand maître du Fumisme » par Alphonse Allais, « pour avoir osé jeter au nez des bourge= ois de la rive gauche le premier éclat de rire qu'on ait entendu depuis = la guerre ».[13]<= /span>

Mais notre poète ne s'arrête pas à la futilité de sur= face de ce courant. Il a bien senti, comme nous le dit Léopold Saint-Bric= e, que

&la= quo; l'humour hydropathe s'étend sur un vide profond de l'âme : la dérision de toute chose. »

Com= me les Fumistes, Laforgue :

&la= quo; saura donc rire à gorge déployée du tragique de l'existence »[14]<= /span>

Gr&= acirc;ce aux hydropathes, il découvre dans la dérision, l'ironie généralisée, l'ultime moyen de supporter une existence pénible.

La fréquentation d'un tel milieu lui ouvre également des voies esthétiques ; on peut de fait penser que le burlesque et la profonde ironie des Moralités légendaires puisent leur inspiration au = sein de cet esprit fumiste. Désormais, on peut rire de tout, même d= es antiques héros de la mythologie ; et nous verrons plus loin à quel point ces derniers subissent, chez Laforgue, l'altération de ce= tte exigence destructrice de dérision généralisée.<= o:p>

Si,= d'un point de vue purement esthétique, les quelques années que Laforgue passe dans le quartier Latin se révèlent très enrichissantes, il n'en est pas de même du point de vue moral. En eff= et, durant la période 1877 - 1881, notre poète connaît une véritable crise de la Foi. La mort de sa mère avait déjà fortement ébranlé ses croyances religieuses ; la fréquentation des parisiens sceptiques et désabusés a fini de les ruiner. Aussi affirme-t-il en 1882 à son amie Sandâ Mahâli :

&la= quo; J'ai une névrose religieuse. J'étais croyant. Depuis deux ans, je = ne crois plus. Je suis un pessimiste mystique. »[15]<= /span>

Cet= te crise spiritualiste se révèle extrêmement angoissante p= our notre poète qui, privé de toute certitude, cherche un sens à sa vie pour échapper au néant qui le guette. Tour à tour, il examine les réponses qu'apportent le bouddhisme, la philosophie de Hartmann, celle de Schopenhauer, sans en élire aucune= en particulier.

De même que la rencontre du monde intellectuel parisien avait permis à Laforgue de construire une esthétique originale, de mê= ;me cette crise religieuse va laisser une emprunte désenchantée à son oeuvre, et y introduire une angoisse métaphysique. Ains= i, lors de cette période 1876 -1881, Laforgue élabore, au fil de= ses expériences intellectuelles et mystiques une poétique nouvelle qui emprunte aux différents courants de l'époque sans ressemb= ler à aucun. Le Sanglot de la Terre, composé de 1878 &agra= ve; 1883, constitue une esquisse délicate de la mythologie laforguienne.= De fait, la figure d'Hamlet est déjà suggérée dans= le dernier quatrain de Soir de carnaval :

&la= quo; Aux fêtes d'ici- bas j'ai toujours sangloté : Vanité, vanité, tout n'est que vanité ! »[16]<= /span>

De même, on voit apparaître au fil des poèmes la mythologie classique, avec les tritons et Neptune dans Spleen des nuits de juillet<= /i>, ainsi que le bouddhisme qui intervient dans La marche funèbre pou= r la mort de la Terre. Enfin, c'est déjà la Lune qui baigne cet univers de sa douce clarté, diffusant une atmosphère onirique. Les grands cadres de la mythologie laforguienne sont donc en place, il ne r= este plus au poète qu'à les développer, et à s'y inscrire lui-même. Or, c'est à la cour d'Allemagne que cette mythologie va arriver à maturité, et évoluer vers sa f= orme littéraire définitive.

 

 

4 ) Laforgue, lecteur de l'Impératrice Augusta. ( Novembre 1881 -1886 )

 

 

La = fin de l'année 1881 est, pour notre poète, riche en événements d'importance capitale. Tout d'abord, il apprend le= 18 novembre que, grâce aux soutiens de Bourget et d'Ephrussi, ses deux protecteurs, il vient d'être nommé lecteur auprès de l'Impératrice d'Allemagne, Augusta, femme de Guillaume 1er de Prusse= .

Mais Laforgue n'a pas le loisir de se réjouir longtemps de cette excellen= te nouvelle ; de fait, une autre lui succède, funeste cette fois : alors qu'il partait pour l'Allemagne, il apprend le décès de son père, à Tarbes. C'est donc orphelin, et désormais responsable financièrement de ses deux plus jeunes frères que Laforgue arrive à la Cour d'Allemagne, sans avoir pu assister aux obsèques de son père. Il est d'emblée touché pa= r le chaleureux accueil qu'on lui réserve. Pascal Pia nous indique que

&la= quo; sa tâche consiste à donner lecture à la souveraine, chaque soir, pendant une heure environ, et souvent aussi, en fin de matinée, des principaux articles du Figaro, du Journal des Débats et des romans que recommande La Revue des Deux Mondes. »[17]<= /span>

Ses fonctions lui permettent également de visiter les sites les plus prestigieux d'Allemagne, puisqu'il se doit de suivre la Cour dans ses déplacements saisonniers. Ainsi, en 1882, il découvre Wiesbad= en en avril, puis Baden-Baden en mai ; il ne retient de ces stations thermales= que leur luxe, leur clientèle de malades, et l'impression d'indicible en= nui qui s'en dégage. Baden-Baden, où la Cour revient tous les ans, lui inspire le cadre du Miracle des roses, la plus ancienne de ses <= i>Moralités légendaires. Dans la version définitive de la nouvelle, Laforgue évoque avec un réalisme amer l'atmosphère étouffante de « cette petite ville d'eau », peuplée seulement de « névropathes, enfants d'un siècle trop brillant ; on en a mis partout. »[18]<= /span>

Si Baden-Baden n'inspire à Laforgue que l'ennui, Coblentz, qu'il découvre en juin, le séduit d'emblée. Il séjour= ne encore à Hambourg en juillet, puis au château de Babelsberg, en août, avant d'obtenir un congé de deux mois qui lui permet de rentrer à Tarbes.

Tr&= egrave;s vite, Laforgue s'aperçoit que ses nouvelles fonctions lui laissent beaucoup de temps libre. Il le met à profit pour élargir son champ culturel, découvrant en Allemagne le nécessaire complément de son éducation parisienne.

D&e= grave;s 1881, il fait la connaissance de deux musiciens belges, les frères Ysaye. Avec eux, il assiste à de nombreux concerts et découvre l'opéra. C'est ainsi que l'Agenda de 1883 révèle qu'en février, il a vu Lohengrin, Coppélia, Carmen= , La Reine de Saba, Hamlet ; en mars, Gudrun, Le Prophète, Tannhäuser, Tristan et Ysolde. Parmi les oeuvres qu'il mentionne, il s'en trouve trois qui forment la mati&egrav= e;re de moralités : Hérodiade de Massenet, Hamlet d'Ambroise Thomas, Lohengrin de Wagner. Tous les titres du recueil s= ont aussi des titres d'oeuvres musicales...

On remarque que ce sont les sujets mythologiques qui soulèvent l'enthousiasme de Laforgue. Ainsi, le portrait de Salomé que dresse Massenet dans son opéra complète la vision qu'avait Laforgue = du personnage à travers les toiles de Gustave Moreau. Chez Massenet, la princesse n'est plus la farouche et cruelle femme fatale qui ensorcelle Hérode et réclame la mort de Jean-Baptiste ; au contraire, el= le est amoureuse du saint et l'accompagne dans la mort, sans vouloir cé= der aux avances du Tétrarque. Aussi peut-on voir dans la Salomé de Laforgue, moralité datant de 1885, la synthèse de ces deux visions antithétiques du même mythe. D'une part Salomé séduit le Tétrarque, l'envoûte par son discours et dema= nde comme récompense la tête de Laokanann ; mais elle reste d'autre part enfantine dans son aspect physique et sa façon d'être, frêle et capricieuse comme une petite fille trop gâtée.<= o:p>

On = peut de ce fait légitimement penser que c'est en Allemagne, au contact de= ses amis musiciens, que Laforgue affine et complète sa vision de la mythologie, avant d'en donner sa version personnelle.

Au = fil de ses découvertes artistiques, musicales, picturales, et de ses voyages successifs, Laforgue enrichit sa mythologie d'éléments nouvea= ux, de précisions réalistes et de détails imaginaires empruntés à divers artistes. Cela explique sans doute que, de 1883 à 1886 Laforgue soit à même de produire la quasi-totalité de son oeuvre, tant en vers qu'en prose.

De = fait, c'est pendant son séjour à la Cour d'Allemagne que notre poète écrit le plus, et s'essaie aux registres les plus variés. Outre les divers articles et comptes-rendus de salons réalisés pour différentes gazettes, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir plus tard, il convient de noter la naissance d= es Complaintes, composées entre 1882 et 1885.

En = effet, avec les Préludes autobiographiques, Laforgue établit = un lien entre le présent recueil de poèmes et son oeuvre de jeunesse, Le Sanglot de la Terre, qu'il n'a pas voulu publier ; de p= lus, dans ce poème liminaire, notre poète s'inscrit lui-même, pour la première fois, au sein de sa mythologie. J'en prends à témoin cette lettre à Kahn, où il affirme :

&la= quo; Je maintiendrai volontiers la pièce préface. Elle est faite avec= des vers d'antan, (...) elle est autobiographique. (...) Je tiens à dire qu'avant d'être dilettante et pierrot j'ai séjourné dan= s le cosmique. »[19]<= /span>

C'e= st un poète pierrot, un être mythologique complexe, qui prend ici conscience de lui-même.

Dan= s ce même laps de temps, on sait par sa correspondance que Laforgue s'essa= ie à récriture en prose, et renoue avec le genre dramatique inauguré par Tessa. Ainsi, Pia nous informe qu'en 1882,<= /o:p>

&la= quo; il écrit plusieurs nouvelles (...) et une comédie en un acte plus noire, selon lui, que Les Corbeaux de Henry Becque. »

Mai= s, dès 1885, Jules Laforgue redouble de travail et mène cette fo= is deux oeuvres majeures de front, l'une en prose, l'autre en vers.=

En février 1885, il avoue à Gustave Kahn :

&la= quo; Je me suis féru depuis le quinze de ce mois pour un volume de nouvelles, qui ne sont ni du Villiers ni du Maupassant. »[20]<= /span>

Les= Moralités légendaires sont lancées, qui l'occuperont dès lors jusqu'à sa mort. Elles paraissent en novembre 1887, trois mois après la disparition de notre poète. Toujours en 1885, mais en avril cette fois, Laforgue écrit à Kahn qu'il travaille également sur un recueil de vers, présenté comme =

&la= quo; contribution (beiträge) au culte de la Lune, plusieurs piécettes à la Lune, un décaméron de pierrots, et sur les succédanés de la Lune pendant le jour : les perles, les phtisiques, les cygnes, la neige et les linges. »[21]<= /span>

II = ne cesse de le tenir au courant de l'évolution de ces deux recueils tou= t au long de l'année 18= 85. L'Im= itation de Notre-Dame la Lune paraît en novembre 1885, suivie par = le Concile féerique en 1886 ; quant aux Fleurs de bonne volonté et aux Derniers vers, Laforgue y fait allusion da= ns une lettre de 1886, toujours à Kahn, mais cette dernière part= ie de son oeuvre ne sera recueillie et publiée que bien après sa mort, en 1890. Ainsi, dans une période relativement restreinte, de f= in 1881 à fin 1885, Laforgue élabore une mythologie personnelle, complexe et composée des éléments mythologiques les pl= us variés. Néanmoins, à travers l'oeuvre réalisée à cette époque, on voit déj&agr= ave; se dessiner deux grands axes : l'un tourné vers le passé, avec les mythologies antiques et les mythes religieux ; l'autre, plus personnel, s'inscrivant dans un courant d'époque qui élève Hamlet= ou Pierrot à la dignité de personnages mythiques, et renouvèlent le culte à la lune.

Mais c'est en 1886 que ces éléments arrivent réellement à maturité, marquant ainsi une apogée manifeste dans la vie de Jules Laforgue.

 

 

5) = Les grands bouleversements des années 1886 -1887.<= /p>

 

 

L'a= nnée 1886 marque pour Laforgue le temps des décisions capitales et des ch= oix définitifs, tant au niveau artistique qu'au niveau de la vie privée.

Ain= si, en janvier, il profite d'un congé pour se rendre au Danemark, à Elseneur. Selon Pascal Pia,

&la= quo; l'intérêt que lui inspire les oeuvres de Shakespeare n'a certes pas été étranger à son désir de respirer, fût-ce en plein hiver, l'air d'Elseneur ».[22]<= /span>

De = fait, depuis août 1885, Laforgue travaille à sa Moralité légendaire : Hamlet, ou les suites de la piét&eac= ute; filiale. Mais devant l'insistance du prince Danois à le hanter, = il lui a fallu se rendre sur place, afin de s'immerger dans l'atmosphèr= e si particulière d'Elseneur. Il avoue à son ami Kahn, dans une le= ttre datant de janvier 1886 :

&la= quo; C'est d'Elseneur, le pays de Hamlet, que je t'écris (...) J'ai passé= ; un horrible jour de l'an, vent glacial, boue, mouettes, messe de l'égli= se réformée et littérature. »[23]<= /span>

Apr= ès ce voyage dont il garde un exécrable souvenir, Laforgue retouche et = achève sa nouvelle ; cependant, le mythe d'Hamlet reste à jamais ancr&eacut= e; en lui.

De = retour à la Cour d'Allemagne, Laforgue réalise à quel point, depuis cinq ans, il s'y ennuie. Aussi conçoit-il le projet de donner= sa démission et de rentrer à Paris, ce dont il informe aussitôt son ami Kahn :

&la= quo; Maintenant, une grande nouvelle et ultra sérieuse. Je viens de passer mon dernier hiver en Allemagne. Dès mon arrivée à Paris, j'écris que je quitte (...) et je m'installe à Paris. »[24]<= /span>

Cet= te décision rapide et irrévocable en cache une autre, toute aussi capitale pour notre poète : celle d'épouser dès que possible une jeune anglaise, miss Leah Lee, rencontrée à Berl= in et dont il est, depuis presque un an, amoureux. Comme toujours, cette décision ne va pas sans hésitations et tergiversations, car Laforgue redoute de se voir une nouvelle fois éconduit. Cette lettre à Kahn, datée du mois de mars 1886, fait bien état des sentiments contradictoires qui animent notre poète :

&la= quo; Au moment de ma dernière lettre, j'étais (je ne suis plus réellement) parfaitement amoureux d'une petite personne absurde et étonnante qui est Anglaise ... »[25]<= /span>

Pou= rtant, l'idée de mariage obsède à présent notre poète, lassé d'une solitude qui désormais lui pè= ;se. C'est à sa soeur Marie qu'il se confie le plus librement sur ce chap= itre ; ainsi, dans une longue lettre datant approximativement de juin 1886 (Lafo= rgue ne précise pas la date exacte) il lui livre en bloc les grandes orientations qu'il s'est fixé pour sa vie future. Tout d'abord, Leah= Lee sera sa femme :

&la= quo; C'est avant-hier au soir que je me suis déclaré, et qu'elle a dit o= ui, et que nous sommes fiancés. »

II = ne lui reste plus qu'à organiser un mariage simple et charmant tel qu'il en= a toujours rêvé :

&la= quo; Nous nous marierons simplement, elle en simple toilette, nous donnerons rendez-v= ous à quatre témoins un beau matin à la maison. On signera (...) et alors nous partirons et elle sera ma petite Leah à moi pour= la vie. »[26]<= /span>

Ce = sera chose faite dès la fin de l'année 1886 : après avoir donné sa démission définitive à l'Impératrice, Laforgue part retrouver miss Lee à Londres, le= 30 décembre, et il se marient dès le lendemain, dans une petite église protestante. Or, il est intéressant de voir à q= uel point cette idylle contribue à l'originalité de l'oeuvre &agr= ave; laquelle Laforgue met la dernière main en 1886. En effet, à travers les Moralités légendaires, nombreux sont les personnages mythologiques qui héritent des traits de Laforgue et de = Leah Lee. Selon Arkell,

&la= quo; Laforgue, dans les Moralités, a rajouté ça et là a= ux portraits de ses héroïnes des traits empruntés à = Leah Lee ; seule Andromède, d'emblée, fut Leah »[27]<= /span>

Tout comme le bon Monstre fut Laforgue lui-même.

L'o= ptimisme de la nouvelle Persée et Andromède. ou le plus heureux des tr= ois, qui tranche d'ailleurs avec la tonalité d'ensemble, correspond &agra= ve; l'élan d'enthousiasme de Laforgue, bien décidé à quitter l'Allemagne pour une nouvelle vie avec miss Lee. Nous le verrons pl= us loin, il existe toujours une analogie entre Laforgue et ses personnages, qu= 'il s'agisse de Pierrot dans les poésies ou de Hamlet dans les Moralités légendaires. De même, la plupart des héroïnes laforguiennes empruntent à Leah Lee son aspect physique et son tempérament. Cette ressemblance n'échappe pas à Pascal Pia qui affirme à propos d'Andromède :

&la= quo; Les longs cheveux roux d'Andromède, ses jambes étrangement longue= s et sa poitrine si menue que la respiration la soulève à peine ne sont pas sans rappeler ce que Laforgue avait dit de la jeune anglaise qu'il aimait. »[28]<= /span>

De = fait, on croit lire dans le portrait d'Andromède la description minutieuse= que fait Laforgue de sa future épouse, dans une lettre destinée à sa soeur Marie :

&la= quo; Elle est grande comme toi et comme moi mais très maigre, (...) avec ses cheveux châtains à reflets roux,... »[29]<= /span>

Ain= si, les figures mythologiques animées par Laforgue n'ont pas seulement l= eur origine dans la littérature ou autre forme d'art, mais bien aussi da= ns la vie privée de l'artiste. Qu'il s'agisse des psycho traumatismes d= e la petite enfance, des rancunes d'adolescent ou des choix artistiques et sentimentaux de l'homme mûr, on ne peut faire totalement abstraction = des quelques éléments biographiques que je viens de présen= ter pour comprendre une oeuvre aussi dense et complexe que l'est celle de Jules Laforgue. Le fait qu'il meurt, le 20 août 1887, sans avoir pu goûter au bonheur conjugal tant souhaité, n'entame en rien la valeur de notre réflexion ; encore cette précoce disparition conforte-t-elle notre poète dans sa double appartenance : il s'inscr= it d'abord à bon droit dans la lignée mythique des Poètes Maudits, morts trop jeunes et sans connaître le succès qu'ils méritent ; mais il devient surtout le héros de sa mythologie personnelle, et disparaît, comme son Hamlet, en laissant son oeuvre inachevée :

&la= quo; Un Hamlet de moins ; la race n'est pas perdue, qu'on se le dise ! »= [30]<= /span>

Cep= endant, on ne peut comprendre toutes les subtilités d'une oeuvre littéraire par la seule étude de la vie de l'auteur. Il convi= ent également d'avoir quelque idée de l'époque à la= quelle il vivait, ainsi que du courant intellectuel dans lequel il s'inscrivait. C= 'est pourquoi nous allons à présent tenter de situer Laforgue et s= on attrait pour les mythologies les plus variées par rapport à la culture de son époque.


B)  L'attrait = renouvelé pour la  mythologie au XIX&egr= ave;me siècle : étude du courant dans lequel s'inscrit Laforgue.=

 

 

 

1) Constat de ce regain d'intérêt pour l'élément mythologique.

 

 

Comme nous l'avons vu dans l'introduction, la mythologie a toujours été pour les hommes une façon d'appréhender le monde, de lui donner un sens. Mais cette tentative d'explication a connu des crises dans l'histoire de la littérature. Ainsi, au siècle des Lumières, on se détourne de la mythologie comme d'une imposture religieuse, à laquelle on préfère une vision rationnelle du monde. De même Chateaubriand condamne encore la mythologie au début du XIXème siècle. Reprenant la querelle du Merveilleux qui opposa les Anciens = et les Modernes deux siècles auparavant, il se prononce contre le merveilleux païen, au profit du christianisme. C'est pourquoi il affir= me, dans Génie du christianisme :

« On ne peut guère supposer que des hommes a= ussi sensibles que les anciens eussent manqué d'yeux pour voir la nature = et de talent pour la peindre, si quelque cause puissante ne les avait aveuglés. Or cette cause était la mythologie, qui, peuplant l'univers d'élégants fantômes, ôtait à la création sa gravité, sa grandeur et sa solitude.

II a fallu que le christianisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de nymphes pour rendre aux grottes leur silence et aux bois leur rêverie. »[31]

Mais le XIXème siècle opère bientôt= une rupture quant à l'intérêt porté à la mythologie. Ainsi, Claude Abastado note l'émergence d'

« une attention nouvelle pour les mythes traditionn= els, auxquels on donne une explication valorisante ; on les fait revivre ; on aj= oute d'autres significations ; on invente de nouveaux mythes. »[32]

C'est donc à une véritable renaissance du mythe = que l'on assiste. Tant dans le domaine de l'écriture que dans ceux de la musique ou de la peinture, l'élément mythologique redevient source d'inspiration. Le défit consiste alors, pour Laforgue comme p= our ses contemporains, à donner un visage neuf et moderne aux thè= mes du passé. Or, les artistes outrepasseront ce défit, puisque la volonté d'originalité inhérente à cette époque aboutit à une mythologie nouvelle, fruit de la décadence et de l'esprit Fumiste.

 

 

2) Le passé revisité.

 

 

Bien avant Laforgue, les mythologies du temps passé revivent au XIXème siècle sous l'impulsion d'écrivains= , de peintres et de compositeurs.

Ainsi, la mythologie gréco-latine revient sur le devant= de la scène culturelle et artistique. Alfred de Vigny, dans son  Livre Antique, seconde sect= ion des Poèmes Antiques et Modernes, donne vie à La Dry= ade, nymphe sylvestre de la mythologie grecque.

Sur la même inspiration reposent les Poèmes Antiques de Leconte de Lisle, qui paraissent en 1852. La première partie de cette oeuvre est consacrée aux Mythes Héroï= ques, et regroupe divers figures de l'épopée héroïque grecque, telles Hélène ou encore Niobé ; quant à= ; la seconde partie, intitulée Idylle Antique, c'est toujours la Grèce mythologique qu'elle représente, mais sous un aspect pl= us idéalisé.

Mais une oeuvre résume à elle seule le nouvel engouement de cette époque pour la mythologie gréco-latine : = il s'agit de l'épopée de La Légende des siècles= , composée par Victor Hugo de 1859 à 1883. Pour ne citer qu'un exemple, prenons le remarquable poème Le Satyre, de 1859, qui= se clot ainsi :

« Place à Tout != Je suis Pan ; Jupiter ! à genoux ! »[33]

Ainsi, avant la version de Laforgue, il existait déjà une figure littéraire moderne de Pan, le dieu gre= c de la végétation, et par extension le grand Tout, la nature toute entière.

De même, dans les années 1870, le peintre Gustave Moreau représente Persée et Andromède, et de nombreuses autres toiles empruntant leur thème à la mythologie classique.

La mythologie germanique connaît un succès simila= ire. Leconte de Lisle la chante dans ses Poèmes Barbares, compos&e= acute;s de 1852 à 1874, et qui s'inspirent assez fidèlement des Ch= ants populaires du Nord de Xavier Marmier.

Mais c'est l'oeuvre de Wagner qui lui rend le plus bel hommage, avec des chefs-d'oeuvres lyriques comme Lohengrin, La Tétralogie ou encore Parcifal. Ainsi, à travers ces magnifiques opéras, la mythologie germanique renaît pour l'Eur= ope d'abord, puis pour le monde tout entier.

L'attrait pour les mythologies est tel, en ce XlX&egrav= e;me siècle, que les artistes vont chercher leur inspiration jusque dans = les textes de l'Ancien Testament. Or, il convient de noter que les figures qui fascinent le plus les artistes sont celles des grands Révolté= s, à savoir Satan et Gain. On peut de fait penser que les poètes= de l'époque, se percevant d'emblée comme rebelles et maudits, s'identifient d'autant plus facilement à ces emblèmes de leur propre condition.

C'est ainsi que le mythe d'Abel et Gain traverse la pér= iode Romantique. Selon Claude Pichois, il présente

« deux aspects complémentaires, tous deux d'ailleurs apparentés au mythe de Prométhée : la Révolte, l'Industrie. »[34]

Baudelaire, dans son poème Abel et Caïn, exprime avec une sublime ardeur la victoire du Révolté dans l= es quatre derniers vers :

« Race d'Abel, voici ta honte

Le fer est vaincu= par l'épieu !

Race de Caïn= , au ciel monte

Et sur la Terre j= ette Dieu ! »[35]

Ainsi, Baudelaire reprend le mythe biblique en le modifiant ; Abel, qui devient le laboureur, a pour symbole le fer ; quant à Caïn, nomade et chasseur, c'est avec l'épieu qui le caract&eacu= te;rise dans la vision baudelairienne qu'il doit prendre le pouvoir. Le XIXè= me siècle se passionne donc pour certaines figures rebelles de l'Ancien Testament ; de la même façon, il va faire de Salomé, personnage du Nouveau Testament, l'emblème de ce retour aux mytholog= ies du passé. Il est étonnant de constater à quel point un épisode aussi bref de La Bible a pu donner lieu à une telle multitude de représentations.

Ainsi c'est Flaubert qui, en 1862, ranime ce mythe d'abord implicitement, dans Salammbô, puis explicitement en 1877, dans= les Trois Contes. Peu de temps après, Laforgue s'en empare, bientôt imité par Mallarmé, hanté jusqu'à= sa mort par le fantôme de son Hérodiade. Wilde est l'un des derniers à donner sa version du mythe, en 1893.

Dans le domaine pictural, le mythe connaît la même apogée. Ainsi Gustave Moreau peindra de nombreuses Salomé, do= nt les plus connues sont Salomé dansant devant

Hérode et l'aquarelle L'Appariti= on, toutes deux datées de 1876. De même, en 1893, Aubrey Beardsiey donne une série complète de dessins destinés à illustrer la Salomé

d'Oscar Wilde.

L'opéra ne sera pas en reste, et c'est un compositeur français, Jules Massenet, qui compose en 1881 l'Hérodiade qui enchante Laforgue quelques années plus tard. Ainsi, la totalité des mi= lieux artistiques semble s'accorder pour honorer ce mythe chrétien.=

Il convient cependant de souligner que même les mytholog= ies les   plus éloignées de notre civilisation ont bénéficié, au XIXème siècle, d'un culte = particulier dans les milieux artistiques. De fait, nombreux sont les artistes qui découvrent avec intérêt l'hindouisme et sa mythologie. S'insérant à merveille dans un goût naissant pour l'orientalisme, ces mythes orientaux deviennent à leur tour sources d'inspiration.

C'est ainsi qu'on les rencontre chez Leconte de Lisle, qui pla= ce sept Poèmes Hindous en tête du recueil des Poè= ;mes Antiques. Certains sont d'un grand lyrisme, comme Sûrya, l'hymne au soleil ; d'autres, au contraire, appartiennent au genre épique, comme L'Arc de Civa qui s'inspire du Ramayana hindou, immense épopée sacrée composée du Vème siècle avant notre ère au XVème siè= cle. Enfin, cet emprunt à l'hindouisme n'est pas sans comporter une dimen= sion morale, voire philosophique, que l'on trouve notamment dans La Vision de Brahma.

Dans le domaine pictural, cet intérêt pour l'Orie= nt s'exprime surtout chez le Nabi Paul

Ranson, qui peint en 1890 une huile sur toile intitulée= Christ et Bouddha.

Ainsi, vers la fin du XIXème siècle, les mythes anciens renaissent à la littérature, s'y rejoignent et interfèrent entre eux au sein de la tendance syncrétique de c= ette époque.

Ce que ce retour à la mythologie tend à montrer, c'est peut-être, comme l'affirme Mallarmé, que

« les ancêtres des Germains, des Norvégiens, des peuples latins ou des Grecs subissaient, tous, les mêmes impressions, les mêmes espoirs et les mêmes craintes que nous aujourd'hui, malgré des différences inévitables. »[36]

La mythologie nous parle de nous, inlassablement ; et lorsque = les mythes du passé ne suffisent plus, c'est une mythologie nouvelle qui= se fait jour, élisant comme objet de culte des figures aussi diverses q= ue la lune, Pierrot, Hamlet, voire l'artiste lui-même.=

 

 

3) L'émergence d'une nouvelle mythologie.

 

 

Nous avons déjà eu l'occasion de souligner la vie intellectuelle fourmillante qui animait le quartier Latin du temps de Lafor= gue. Bien qu'il existe là les cercles les plus fantaisistes, ce milieu ne s'en révèle pas moins fertile, au point de donner naissance à une mythologie nouvelle, emblématique du XIXème siècle.

C'est ainsi que la lune redevient objet de culte, tout comme sa face humaine, le pierrot. Dès 1830 Musset comptait, parmi ses oeuvre= s de jeunesse, une Ballade à la Lune, qui présentait déjà l'astre nocturne sous le jour ironique

« d'un faucheux bien gras, qui roule sans patte et = sans bras. »[37]

Peu après, Baudelaire sacrifie à son tour au cul= te lunaire. Dans un poème en prose du Spleen de Paris, publi&eac= ute; deux mois après la mort du poète, la lune fait figure de fée ambiguë qui se penche sur les berceaux de certains enfants choisis, devenant ainsi  =

« la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques. »[38]

Quant à Baudelaire, il reste à jamais subjugué par la lune et par toutes ses « soeurs de lait ». Enfin, en 1883, Verlaine présente dans sa revue <= i>Lutèce Stéphane Mallarmé comme « poète maudit », et cite le poème Apparition, ayant pour thème la lune. Cela permet à Daniel Grojnowski d'affirmer dan= s sa thèse qu'il

« se propage dans Le Chat noir, La Nouvelle Rive Gauche, Lutèce, (...) d'innombrables poèmes qui, à= force d'exploiter la veine sélénique et pierrotique, la transformen= t en un signe de ralliement. (...) Pierrot et sa commère sont les héros d'une esthétique nouvelle qui s'inscrit dans le territo= ire de Tailleurs et du nulle part. »[39]=

La lune fascine, elle est le miroir de la condition humaine et= le reflet de nos angoisses. Or, au XIXème siècle, elle prend fig= ure humaine et s'incarne sous les traits de Pierrot. C'est au coeur du cercle d= es Hydropathes, dans l'esprit tout à la fois rieur et pessimiste qui les caractérise, que renaît ce personnage

« mi-clown, mi-Hamlet, amoureux lunaire honni du bourgeois, poète incompris pâle et timide n'osant sortir de son habit immaculé qu'à la faveur de la nuit complice : le Pierrot. »[40]

Ce personnage, qui n'a plus grand rapport avec le valet de la Commedia dell' Arte, connaît un rapide succès dans les milieux artistiques les plus variés. Ainsi, il contribue à la résurrection d'un genre dramatique tombé en désu&eacut= e;tude : la pantomime ; de fait, dans la seconde moitié du XIXème siècle, ce genre connaît un second âge d'or. Gautier et Séraudin donnent un Pierrot posthume, Huysmans et Hennique un= Pierrot sceptique, Laforgue un Pierrot Fumiste. Le personnage glisse peu à peu vers une figure décadente, pour devenir chez Paul Marguerite Pierrot, assassin de sa femme, c'est-à-dire « un être raffiné, névrosé, cruel et ingénu »[41] qui tue sa femme infidèle avant de sombrer dans le désespoir et dans l'alcool. Enfin, dans les Odes funambulesques de Théodore de Banville, = Pierrot ne fait plus qu'une apparition fantomatique sous les traits d'un personnage émacié, privé de toute consistance. Parallèleme= nt à son succès théâtral, Pierrot inspire encore les peintres, qui aiment à le représenter dans ses diverses acceptations littéraires. Ainsi, Daumier privilégie la vision classique du personnage dans son tableau de 1873 Pierrot jouant de la mandoline ; au contraire, Rouault lui donne les traits d'un dandy ; enf= in, Wilette illustre la veine fumiste du personnage, et ses dessins pleins de finesse et d'humour viennent illustrer à merveille le Pierrot Fum= iste de Laforgue.

C'est dans là même lignée que renaît à la littérature le mythe de Hamlet, qui a connu maintes heur= es de gloire dans la culture européenne.

Dans son essai consacré au prince de Danemark, Helen Ph= elps Bailey nous montre que même le siècle des Lumières, avec son hostilité à l'encontre de la mythologie, ne peut ignorer = le mythe de Hamlet. Il soulève encore de violentes polémiques au début du XIXème siècle, ne quittant pour ainsi dire ja= mais le devant de la scène culturelle européenne.

Plus tard, Delacroix illustre les grands épisodes de ce mythe, comme l'apparition du spectre de Hamlet père, ou encore la scène du cimetière. Pendant le même temps, Berlioz comp= ose en l'honneur d'Hamlet son opéra Lélio, datant de 1832.=

Tout comme le personnage de Pierrot, Hamlet évolue au f= il de l'époque Romantique. Bientôt, trois poètes le parent= de traits entièrement modernes et inédits.

Ainsi, sous la triple impulsion de Baudelaire, Mallarmé= et Laforgue, Hamlet devient dandy, héros aristocratique résumant=

« the sense of frustration , futility and human inadequacy »[42]=

C'est-à-dire la sensation de frustration, la futilité et l'inadéquation de l'homme avec ce qui l'entoure, autant de symptômes de cette fin de siècle.

Hamlet, double noir et négatif de Pierrot, se confond c= omme ce dernier avec le poète dans ce qu'il a de plus occulte et de plus angoissant. Emblème de son dégoût du monde et de sa difficulté devant l'action, il incarne encore la solitude souveraine= du poète, frappant de nullité - et comme d'inexistence ce qui l'entoure.

Dès lors, on voit que le mythe dominant de cette fin de XIXème siècle n'est autre que le mythe du poète. Toute= une mythologie s'élabore ainsi autour d'un individu central, l'artiste, torturé et mélancolique. Nous verrons plus loin comment, &agr= ave; travers les mythes décadents, Laforgue exprime la réalit&eacu= te; de son Moi profond. Mais nous pouvons d'emblée constater qu'à= travers la blanche figure du Pierrot lunaire comme à travers la silhouette sombre de Hamlet, c'est toujours le mythe du poète maudit qui s'expr= ime, dominant ainsi cette fin de siècle et synthétisant ensemble l= es différentes mythologies que nous venons d'étudier.

Il convient à présent de donner une définition plus précise de la mythologie laforguienne, &agrav= e; travers deux grands axes d'étude : ses choix en matière de mythes, et le but déclaré d'une telle entreprise.

 

 


C) Esquisse de la mythologie laforguienne : Que retient-ell= e de ces différents courants ? Dans quel but avoué Laforgue déclare-t-il s'emparer de ces mythologies ?

 

 

 

1) Quelles sont les mythologies choisies par Jules Laforgue= ?

 

 

En reprenant les différentes catégories mythologiques que nous avons distinguées, voyons à pré= sent celles que Laforgue retient.

Nous constatons d'abord que les mythologies gréco-latin= es sont très présentes dans l'oeuvre de notre poète. Dès les Premiers poèmes apparaissent les figures du sphinx, de Vénus et de Prométhée ;= cette présence s'accentue dans les Complaintes, où la mythol= ogie laforguienne s'enrichit de personnages tels que Maïa, Pan, Léda= et les Danaïdes.

Cette tendance ne se dément pas d'avantage dans L'Im= itation de Notre-Dame la Lune, où l'on rencontre la figure classique de Diane-Artémis en déesse lunaire, accompagnée d'un cortège de sphinx et de sirènes, que dans Des Fleurs de bo= nne volonté, recueil qui réunit les mythes de Protée, Antigone, Orphée, Prométhée, et bien d'autres encore. = Les mêmes hantent encore les Derniers vers, où l'on retrouv= e le couple Galathée-Pygmalion.

Enfin, les Moralités légendaires reprenne= nt deux mythes de l'antiquité, à savoir les amours de Pan et Syr= inx, ainsi que celles de Pensée et Andromède, en s'inspirant probablement des Métamorphoses d'Ovide, l'un des premiers à donner à ces mythes une existence littéraire.=

La mythologie germanique semble inspirer un peu moins Laforgue= ; en effet, il est rare d'en trouver trace dans les oeuvres antérieures aux Moralités légendaires. Seul le cygne de Lohengrin apparaît parfois au détour d'un poème de L'Imitation= de Notre-Dame la Lune, tel que Les linges, le cygne ; mais c'est da= ns la nouvelle Lohengrin, fils de Parcifal que ce mythe prend toute son ampleur.

Les mythes chrétiens sont quant à eux plus nombr= eux. Comme les mythes antiques, on les trouve dès les Premiers poèmes, dans lesquels Laforgue évoque Job, le Christ et Jéovah. Ces grandes figures du christianisme traversent ensuite les = Complaintes, où s'y joint Eve.

Dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, l'astre lunaire revêt une dimension chrétienne, devenant tour à tour « Madone », « Hostie », et finalement définie en ces termes :

« La Lune, notre Maîtresse à tous, dan= s sa gloire, Elle est l'Hostie ! et le silence est son ciboire ! &raqu= o;[43]

Si la mythologie chrétienne se fait ensuite plus discrète dans Des Fleurs de bonne volonté et les De= rniers vers, c'est pour mieux s'affirmer dans les Moralités légendaires. De fait, Salomé ressuscite un mythe du Nouveau Testament, la décollation de Saint Jean-Baptiste par Hérode, envoûté par Salomé, fille d'Hérodiade. Ainsi, la mythologie chrétienne forme, chez Laforgue, un argument considérable. Mais cette dernière est très concurrencée par des mythes orientaux issus pour la plup= art de l'hindouisme. C'est ainsi que Cakia, Brahm et Bouddha font leur appariti= on dès les Premiers poèmes, intervenant d'emblée c= omme rivaux de la Trinité chrétienne. Ainsi, le poème Li= tanies nocturnes confronte Brahm à Jéovah.

Cet intérêt pour le Bouddhisme se confirme dans l= es Complaintes, où l'on trouve la Complainte des voix sous le figuier Bouddhique<= /i>. Dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, l'hindouisme n'a plus qu'une place mineure, et reste marginal dans Des Fleurs de bonne volonté= , où il est seulement fait allusion « aux rites végétatifs de l'Inde » et à Déva. En= fin, il convient de souligner qu'aucune des Moralités légendair= es ne s'inspire de thèmes orientaux.

En ce qui concerne les mythes anciens, on peut donc conclure q= ue Laforgue privilégie l'antiquité gréco-latine et les my= thes chrétiens ; toutefois, les mythes orientaux tiennent une place non négligeable dans ses oeuvres de jeunesse.

Laforgue ne se contente pas de rendre hommage aux mythes du passé. Son oeuvre est aussi une contribution à la volont&eacu= te; contemporaine d'ériger les grandes figures décadentes au rang= de héros mythiques.

C'est ainsi que Laforgue fait de la lune la déesse mère de sa poésie, et se place d'emblée sous son égide.

Elle baigne déjà de son atmosphère oniriq= ue l'univers des Premiers poèmes, et Laforgue lui jure son éternel attachement dans la Complainte de Notre-Dame des Soirs :

« O No= tre- Dame des Soirs,

Que je vous aime = sans espoir ! »[44]

Cet amour très baudelairien pour la lune ne se dément jamais, et va même en s'amplifiant puisque c'est bientôt un recueil entier que notre poète dédie au cult= e de la divinité nocturne.

Dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, qui paraî= t en 1885, c'est un astre double que décrit Laforgue. D'une part la lune garde son caractère laïc : c'est le « n'importe où, hors du monde » tant souhaité par Baudelaire, = cet ailleurs mythique auquel aspirent toutes les âmes mélancolique= s ; mais elle se colore d'autre part d'une dimension chrétienne, devenant ainsi objet de culte à part entière. On peut dès lors l'adorer sous forme d' « Hostie », et s'y consacrer d= ans un « Béatifiant baptême », à l'in= star du poète dans Clair de lune.

Jamais Laforgue ne trahit cet amour lunaire qu'il poursuit à travers ses poésies jusqu'à ses Derniers vers= , De plus, dans les Moralités légendaires, la scène = au clair de lune apparaît comme le passage obligé pour les six nouvelles. Ainsi, le culte de la lune se perpétue chez Laforgue tout= au long de son oeuvre, tant en vers qu'en prose. Cette vénération lunaire se trouve de plus redoublée par la figure du Pierrot, non pl= us simple personnage de comédie, mais héros mythique de cette fi= n de siècle. Or le Pierrot a, tout comme la lune, un double visage chez Laforgue. Il est d'abord un pur personnage poétique, à la blancheur de lune, qui dicte à l'artiste la seule attitude à adopter face au néant de ce monde :

« B&ea= cute;ons à la Lune,

La bouche en zéro. »[45]

Nous avons affaire à un Pierrot philosophe, nihiliste, = qui diffère de ses prédécesseurs, comme l'affirme Daniel Grojnowski :

« Contre ses pères, Laforgue s'inscrit en fa= ux. (...) Son Pierrot est un représentant du Néant, il ne propose aucune valeur et se contente de participer à la rédaction d'un livre blanc. »[46]

Mais le Pierrot laforguien est aussi un personnage dramatique, héros de Pierrot Fumiste, plus cynique et plus fantaisiste que son image poétique, et qui

« donne à la pantomime un genre satirique, u= ltra romantique, très moderne. »

Dans cette lignée, il devient l'alter ego d'Hamlet, aut= re figure fétiche de la mythologie laforguienne. Ainsi, on peut vérifier que le Hamlet de Laforgue constitue le négatif exact= de la blanche figure du Pierrot. Il est l'incarnation du pessimisme, de la noi= re angoisse que le personnage lunaire tentait de tourner en dérision. D= ans Hamlet, ou les suites de la piété filiale, on assiste à une contamination du décors par le prince : tout devient de plus en plus sombre et lugubre, à l'image de son habit noir. Avec Laforgue, la Lu= ne, Pierrot et Hamlet gagnent donc la distinction de héros au sein d'une mythologie nouvelle, au même titre que Persée et Andromè= ;de illustraient la mythologie classique. Mais à travers ce panthé= ;on ironique et décadent, une image s'impose, qui synthétise tous= les autres mythes : celle du Poète Maudit, seul vrai héros de la mythologie du XIXème siècle. Dès lors, il faudra envis= ager les figures de Pierrot, Hamlet (et tout autre personnage lunaire) comme aut= ant de masques que revêt le poète afin de sacrifier au culte du « Moi-le-Magnifique », ou encore de « Mon Sacré-Coeur » comme se plaît à dire Laforgue= .

 

 

2) La mythologie selon Jules Laforgue.

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Pour Laforgue, la mythologie constitue un élément poétique vivant, destiné à évoluer. Il va donc élaborer un ensemble mythologique dynamique et inédit, mêlant mythes bibliques et païens, mais aussi mythes antiques et modernes. De la contamination entre des éléments aussi divers découle une certaine polysémie : les mythes prennent une signification, un aspect nouveau, ils véhiculent une morale, un enseignement inédits. C'est ce qu'en termes critiques on appelle palingénésie, c'est-à-dire résurrection<= span style=3D'font-family:"Comic Sans MS";color:black'> d'un coura= nt ancien dans une sphère littéraire différente.

De plus, dans sa critique d'art, Laforgue donne sa conception = du vrai héros :

« Moi, créature éphémèr= e, un éphémère m'intéresse plus qu'un héros absolu (...) un corrompu nostalgique se débattant dans le fini est plus intéressant - est plus mon frère - que Tiberge et tous les Desgenais. »

Dès lors, le héros mythique tel que le conçoit Laforgue doit être un simple mortel, prisonnier comme tous les hommes des contingences matérielles :

« parce que jamais, Dieu en est témoin, la pauvre humanité n'a produit de héros purs, et que ceux qu'on  nous cite dans l'antiquité sont des créatures comme nous, cristallis= ées en légendes - ni Bouddha, ni Socrate, ni Marc-Aurèle -je voud= rai bien = connaître leur vie quotidienne. »[47]

De fait, ce que Laforgue va s'évertuer à recréer, c'est bien cet univers quotidien et sans gloire qui éloigne de nous les héros du passé. Sous sa plume, Ham= let fait montre d'une cruauté névrotique à l'égard d'ani= maux inoffensifs, au lieu d'affronter son destin ; Salomé devient une précieuse ridicule qui ennuie tout le monde avec son discours ; et Pers&eacut= e;e n'est plus qu'un fat perdu d'amour propre, qu'Andromède repousse avec colère.

Or, cette version, qui semble plus juste à Laforgue, des héros du passé ne serait pas envisageable sans une connaissance très approfondie des modèles d'origine.

C'est pourquoi il convient dès lors de faire succéder à cette étude biographique et historique= une analyse plus technique de l'intertexte laforguien, afin de répondre à la = question suivante : Quelles sont ces mythologies trop « cristallisées en légendes » que Lafor= gue combat et se propose de corriger à travers son oeuvre ?


Chapitre Deuxième : Mythologies de Jules Laforgue, étude de l'intertextualité.=

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« C= 'est une mauvaise habitude pour les statues des héros du Panthéon = de les idéaliser comme têtes, drapés, gestes. Uns sont fro= ids, surhumains, point frères. (...) // faut le faire, ce héros, avec sa physionomie de tous les jours, ses habits de tous les jours, pas plus grand que nature. (...) Qu'on sente qu'il faisait trois rep= as par jour, s'achetait des habits, dormait, se chauffait, avait des intérêts en jeux... »[48]<= /p>

 

 

A) Les mythologies de l'Antiquité : dans quelle mesu= re et dans quel but observe-t-on un retour aux sources grecques, latines et germaniques ?

 

 

 

1) Les mythes gréco-latins.

 

 

Nous venons de voir comment la mythologie classique a inspiré Laforgue dès ses débuts, et s'est actualisée au fil de son oeuvre jusqu'à faire coïncider figure du passé et réalité contemporaine, enrichissant= les mythes d'enseignements nouveaux et donnant à sa réalité quotidienne une dimension mythique.

Cependant, les figures mythiques évoquées par Laforgue sont d'abord diffuses et désordonnées. On remarque de plus que notre poète n'a pour ainsi dire jamais recours ni au panthéon olympien, auquel il semble préférer des divinités plus marginales, ni aux héros illustres.

On peut néanmoins déceler certaines constantes d= ans la prolifération des figures mythologiques animées par Laforg= ue, et tenter de les organiser selon diverses catégories.=

Ainsi, l'on peut remarquer qu'un premier ensemble mythologique illustre de manière allégorique l'idée de fécondité. Pour cela, le poète fait appel à des divinités maternelles et, par extension, à la déesse de l'amour elle-même, Vénus.

Privé trop tôt de sa mère et frustré par cette absence, Laforgue évoque dans les Premiers poème= s et Les Complaintes deux figures maternelles appartenant à la mythologie gréco-latine : Maïa et Léda. Maïa, mère d'Hermès, que l'on rencontre dès les Pré= ;ludes autobiographiques, devient très explicitement un substitut mater= nel pour notre poète :

« O Ro= be de Maïa, ô Jupe de Maman,

Je baise vos ourl= ets tombals éperdûment »[49]

Léda, mère des jumeaux Castor et Pollux et des jumelles Hélène et Clytemnestre, a quant à elle une fi= gure polysémique. Elle illustre d'une part une certaine fécondité, puisque de son union avec Zeus naissent quatre enfants, mais elle désigne surtout deux autres orientations de la mythologie laforguienne, à savoir le cycle des amours célèbres, et la mythologie germanique. Ces deux vers de la Complainte de Lord Pierrot donne un bon aperçu de l'interprétation laforguienne de Léda :

« En costume blanc, je ferais le cygne,

Après nous= le Déluge, ô ma Léda ! »[50]

La séduction est d'emblée présente, ainsi= que le cygne ambivalent, évoquant aussi bien Zeus que Lohengrin chez Laforgue ; de plus, nous touchons déjà au mythe moderne du Pierrot.

A ces deux allégories apaisantes de la femme maternelle= se superpose un culte discret à Vénus, déesse de l'Amour = et de la Beauté, évocation d'une féminité plus sensuelle ; enfin, Laforgue choisit d'illustrer la fécondité = de la Nature et la sexualité la plus débridée à travers des personnages de faunes et de satyres, sous l'égide du dieu Pan. Ainsi, la mythologie laforguienne rend déjà un bel homma= ge à l'amour dans les Premiers poèmes et Les Complaint= es ; on y trouve de fait représenté l'amour de la Mère, c= elui de l'Amante et finalement la fécondité universelle de la Natu= re.

L'Imitation de Notre-Dame la Lune confirme cette tendance, alors que Des Fleurs de bonne volonté l'enrichit d'images d'amours célèbres, annonçant déjà le thème majeur des Moralit&e= acute;s légendaires. Ainsi, le mythe de « Gaiathée aveuglant Pygmaiion » est suggéré dans Dimanches XXX, celui de Psyché dans Dimanches XLVIH. Mais les figur= es mythologiques éparses animées par Laforgue dans ses poésies ne sacrifient pas toutes, loin s'en faut, au culte de l'amou= r. En effet, nombreuses sont les représentations d'une humanité = qui souffre, victime d'un destin tragique imposé par des dieux cruels.

Quatre figures féminines illustrent d'abord cette condi= tion absurde et douloureuse qui est la nôtre.

Les premières sont ces Danaïdes qui, pour avoir égorgé le soir de leurs noces les époux qui leurs étaient imposés, furent condamnées à remplir éternellement un tonneau sans fond sur les bords du Styx, fleuve des Enfers. On les trouve souvent dans la poésie de Laforgue, comme dans= ces vers de la Complainte des formalités nuptiales : <= /span>

« Et q= ue mes yeux soient ces vases d'Election

Des Danaïdes où sans fin nous puiserons ! »[51]

Le poète souligne que nous partageons tous la malédiction des Danaïdes. De plus, il renforce cette image de n= otre malheur par la figure des Niobides, infortunée descendance de Niobé, cette reine orgueilleuse qui s'était proclamée supérieure à la déesse Léto parce qu'elle avait plus d'enfants qu'elle. En châtiment d'une telle arrogance, Lé= to envoya son fils Apollon et sa fille Artémis abattre de leurs flèches les sept fils et les sept filles de Niobé. Elle-même fut changée en un rocher d'où coulent à jamais ses larmes. Chez Laforgue, c'est dans la Grande Complainte de la ville de Paris que sont évoqués ces personnages mythologiques.

C'est ensuite par deux figures individuelles que le poè= te met en relief le tragique de notre existence. Ainsi il évoque Antigo= ne, héroïque fille d'Oedipe qui préfère sacrifier sa = vie plutôt que de laisser son frère Polynice sans sépulture. Dans la Complainte de l'automne monotone, Antigone semble être devenue le fantôme familier du poète, qui s'adresse ainsi &agr= ave; elle :

« Anti= gone, écartez mon rideau ! »[52]

De même, la malheureuse Phèdre qui, se croyant ve= uve de Thésée, tombe éperdument et désespérément amoureuse d'Hippolyte, fait égale= ment partie des Grandes Maudites laforguiennes, comme le montrent ces deux vers = du poème de L'Imitation de Notre-Dame la Lune, Les linges, le cygne<= /i> :

« Puis, comme Phèdre en ses illicites malaises :

Ah ! Que ces draps d'un lit d'occasion me pèsent ! »[53]

Ainsi ces quatre mythes antiques nous rappellent, par le biais= de figures hautement symboliques, quelle est notre tragique condition dans ce monde. Mais il faut néanmoins souligner qu'il s'agit des rares exemp= les où des personnages féminins incarnent le rôle de victim= es. Bien souvent au contraire, la femme, loin d'être la martyre innocente= de la vengeance divine, en devient le principal instrument. C'est ainsi que Laforgue met en scène des personnages de séductrices, comme Hélène, ou d'enchanteresses, comme Circée et les Sirènes, qui sont cette fois la malédiction proprement dite p= our leurs souffre-douleurs.

Laforgue présente parallèlement trois figures masculines incarnant, elles aussi, notre éternelle malédictio= n. C'est ainsi qu'il évoque à plusieurs reprises le mythe de Prométhée qui, pour avoir dérobé le feu au ciel afin de le porter aux hommes, fut enchaîné à un rocher, alors qu'un vautour venait se repaître quotidiennement de son foie. D= ans Les Litanies de mon triste coeur, l'un des Premiers poèmes, Laforgue affirme partager avec Prométhée la souffrance qui lui est imposée :

« Prométhé= ;e et vautour, châtiment et blasphème,

Mon coeur est un cancer qui se ron= ge lui-même. »[54]

Laforgue se sent proche de ce personnage enchaîné= et torturé qui peut dès lors être perçu comme une métaphore Romantique du Poète Maudit.

Le mythe de Prométhée se trouve par la suite démultiplié à travers les mythes successifs de Sisyphe= et de Tantale.

Le premier, pour avoir trahi Zeus en indiquant sur quelle île le dieu cachait Egine, fille du fleuve Asopos, fut précipité dans l'Hadès et condamné à rou= ler une énorme pierre jusqu'au sommet d'une montagne, d'où elle redescendait aussitôt. Or, pour Laforgue, le mythe de Sisyphe est emblématique de la triste condition du poète moderne, comme t= end à affirmer la Complainte des complaintes :

« Et n= ous, sous l'Art qui nous bâtonne,

Sisyphes par persuasion,

Flûtant des christs les vaines fables,

Au cabestan de l'incurable

POURQUOI ! - Pour= quoi ? »[55]

Enfin, le mythe de Tantale, qui n'hésita pas à sacrifier son fils Pélops pour le servir dans un banquet en l'honneur des dieux de l'Olympe, a également inspiré Laforgue. Il évoque l'infanticide condamné à vivre au milieu d'un c= ours d'eau sans jamais pouvoir y étancher sa soif dévorante dans <= i>La Lune est stérile, poème de L'Imitation de Notre-Dame la Lune.

On le voit, à travers ses poésies, Laforgue rend déjà un hommage d'importance à la mythologie gréco-latine. Négligeant les figures par trop surhumaines des Grands Olympiens et des illustres héros, il préfère concentrer son intérêt sur des figures secondaires, mais &agra= ve; très forte connotation symbolique. Il réalise ainsi son proje= t de mettre au point une mythologie de dimension humaine, où dieux et héros ne sont pas exempts de défaillances humaines. De même, il donne le ton à sa mythologie de la femme, découvrant dans les mythes antiques l'ambivalence fondamentale dont = elle procède. Image tout d'abord rassurante et maternelle, elle procure au poète un certain apaisement ; mais elle reste toujours dangereuse et sournoise, séduisant l'homme pour le conduire à sa perte.

Enfin, à travers des personnages mythologiques tant féminins que masculins, Laforgue sacrifie déjà au myth= e du Poète Maudit, et s'identifie pleinement aux figures torturées mais néanmoins héroïques d'Antigone et de Prométhée. On peut également noter dans ce panth&eacut= e;on de persécutés un certain pessimisme, proche de celui que prônent Hartmann et Schopenhauer : tout comme ces figures symboliques, nous sommes menés par une force supérieure, qui n'est plus d'ordre divin mais bien d'ordre psychanalytique, à savoir l'inconsci= ent. Sous son impulsion, nous sommes condamnés, comme les Danaïdes ou Sisyphe, à remplir un destin absurde parsemé de souffrance. Il convient donc de s'affranchir d'un tel esclavage, = comme le prônent les deux philosophes.

C'est donc pour leur portée symbolique universelle que Laforgue se passionne pour les mythes du passé.

A travers les Moralités légendaires, il t= ente de reprendre la mythologie gréco-latine selon une structure plus ordonnée, notamment à travers deux nouvelles : Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, et Pan et la Syri= nx, ou l'invention de la flûte = à sept tuyaux.=

 

 

2) L'intertextualité dans les Moralités légendaires : Etude de Persée et Andromède ou le plus heureux des trois et de Pan et /a Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuy= aux.

 

 

Ces deux mythes gréco-latins viennent clore les Mora= lités légendaires. En effet, Persée et Andromède = date de l'année 1886, et Pan et la Syrinx passe pour être postérieure à toutes les autres nouvelles du recueil. Ces deux Moralités ont de plus en commun un certain héritage littéraire, puisque toutes deux ont déjà fait l'objet = de courts récits, notamment dans Les Métamorphoses d'Ovid= e. A ce propos, Michèle Hannoosh remarque que :

« Laforgue puise son sujet dans une source qui conv= ient bien à sa méthode : Les Métamorphoses d'Ovide, légendes racontées d'une façon libre et ludique, comme= les Moralités légendaires elles-mêmes. »[56]

II existerait donc, même sur le plan stylistique, un lien très fort avec l'intertexte ovidien. Mais à la lecture de ces deux Moralités, on éprouve cependant quelques difficult&eacut= e;s à retrouver le mythe originel ; de plus, l'intertextualité à laquelle Laforgue fait appel n'est jamais univoque : à côté des allusions directes ou détournées &agrav= e; Ovide, vient se greffer un nombre impressionnant de références diverses, le plus souvent hermétiques pour le lecteur du XXème siècle.

Voyons d'abord l'exemple concret de Persée et Andromède, ou le plus heureux des trois. Ce récit s'inscr= it dans une tradition littéraire européenne, puisque avant Lafor= gue Lope de Vega écrivit El Perseo, en 1621, bientôt suivi = en France par Corneille lui-même, qui compose son Andromède en 16= 50.

Le même mythe connaît également un succès dans le registre lyrique, en particulier à travers les oeuvres de Monteverdi et de Haydn.

Comme ses prédécesseurs, Laforgue reste fidèle dans ses grands traits au récit d'Ovide. Chez ce derni= er, une jeune princesse éthiopienne est offerte en sacrifice à un monstre marin, afin d'apaiser la colère de Neptune ; de fait, celui-= ci était courroucé qu'une mortelle, la reine Cassiopée, mère de la jeune victime, se soit proclamée d'une beaut&eacut= e; supérieure à celle des Néréides. Alors que la situation semble désespérée, Persée, le vainque= ur de la Gorgone, tue le monstre, sauve la princesse et se prépare &agr= ave; l'épouser. On remarque le caractère optimiste de ce mythe, qu= i se rapproche par bien des aspects du conte de fées.

Or, Laforgue fait preuve dans sa Moralité d'une relative fidélité à cette version initiale. De fait, le décor reste maritime, rocheux et hostile. De même, notre poète conserve l'idée de châtiment ; Andromède e= st l'une de ses héroïnes tragiques de prédilection, car, bi= en qu'innocente, elle doit endurer la malédiction divine. Ainsi, le leitmotiv de tout le premier chapitre de Persée et Andromè= de fait écho au texte d'Ovide ; alors que, chez Laforgue, la descriptio= n de l'île est sans cesse interrompue par le sanglot,

« O patrie monotone et imméritée !... »

Ovide affirme au vers 670 à 672

« Là Andromède payait d'un châtiment immérité le langage insolent de sa mère. »[57]

La dimension tragique du mythe de départ n'est donc pas éludée par Laforgue. Au contraire, on déborde parfois = sur des attitudes dramatiques plus proches de l'Andromède de Corneille que des Métamorphoses d'Ovide.

Ainsi, lorsqu'on voit l'héroïne qui ramène = ses cheveux sur son visage, « dans un désordre pathétique », on peut alors songer au jeu de scène traditionnel du XVIIème siècle ; de même, certaines formules semblent être empruntées directement à la tragédie classique. Notons par exemple cette phrase du Monstre-Drago= n :

« Ici doivent se dénouer nos destinées »

ou encore ses ultimes paroles alors qu'il agonise :

« Adieu, noble Andromède, je t'aimais et avec avenir si tu avais voulu ... »[58]

En plus du lyrisme, nous constatons ici une tension dramatique plus cornélienne que laforguienne. Mais notre poète reste cependant fidèle au décor planté par Ovide, et reprend= les caractéristiques des personnages légendaires. On retrouve de = fait chez Laforgue la trilogie Victime / Monstre / Héros ; comme il se do= it, la victime est une belle jeune femme, le monstre a un aspect repoussant et = le héros est un jeune homme illustre, beau et dont les exploits sont déjà célèbres.

De même, le poète garde la structure narrative du mythe d'origine. Cette volonté de se conformer au modèle préexistant est d'ailleurs soulignée par les propos du Dragon= :

« C'est Persée, fils de Danaé d'Argos= et de Jupiter changé en pluie d'or. Il va me tuer et t'emmener. »[59]

C'est la légende narrée dans les Métam= orphoses d'Ovide que le Dragon résume ici de manière très synthétique. La généalogie de Persée est rigoureusement exacte, telle que nous la livre tout bon dictionnaire de mythologie. Or, c'est au niveau des relations entre les protagonistes de ce mythe que Laforgue rompt avec son modèle.

Dans sa Moralité en effet, le Dragon devient un monstre= de bonté et de sagesse, sa « victime » l'aime bie= n, et le héros tant attendu n'est qu'un niais vaniteux, qui s'acharne s= ur le Dragon sans défense avant de se voir chassé par Andromède elle-même, outrée de tant de fatuité. = On est bien loin, alors, du mythe héroïque rapporté par Ovi= de !

De plus, on s'éloigne définitivement du modèle initial quand, à la fin de sa Moralité, Laforgue fait appel à un texte secondaire, qui prend le pas sur l'intertexte classique.

Voici que le Monstre, lâchement massacré par Persée, revient à la vie sous les pleurs et les caresses d'Andromède ...

C'est bien le conte de Madame Leprince de Beaumont, La Bell= e et la Bête, qui devient dès lors l'intertexte principal de ce= tte Moralité légendaire. Ce glissement d'un mythe à un autre nous éclaire sur le sens du titre de cette nouvelle, comme le préc= ise Michèle Hannoosh :

« Laforgue intègre dans la légende de= Persée et Andromède l'histoire la plus célèbre dans laque= lle un Monstre-Dragon triomphe et se rend le plus heureux des trois, à savoir La Belle et la Bête. »[60]

Dès lors, on voit qu'il y a concurrence au sein de l'intertexte laforguien. Le modèle de départ, Les Métamorphoses d'Ovide, est d'emblée contrarié par = une dimension tragique empruntée à Corneille. De plus, une multit= ude d'allusions diverses viennent parasiter et contredire le premier texte de référence, comme la légende de Pyrame et Thisbé dont le Dragon tente de distraire Andromède, ou encore les références des plus vagues à Prométhée, Cythère, enfin à Jacques Amyot, le traducteur des Oeuvres morales de Plutarque et des Ethiopiques d'Héliodore !

Finalement, on quitte tout à fait le cadre mythologique initial pour l'univers du conte merveilleux. Or, si Andromède est bi= en un avatar de Miss Leah Lee, Laforgue se devait de donner à sa Moralité une fin heureuse et optimiste ; mais il ne peut s'y résoudre au sein de la mythologie classique, ne parvenant pas &agrav= e; s'identifier à un pur héros tel que Persée. C'est pour= quoi il opère ce glissement ironique et inattendu : là où le mythe échoue et tourne au ridicule survient le conte, qui apporte la= fin heureuse nécessaire, tout en conservant une dimension humaine.

Laforgue joue donc avec l'intertextualité, qu'il fait varier à loisir ; et c'est le même procédé que l= 'on retrouve dans Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux. Là encore, Laforgue s'inspire d'un passage des M= étamorphoses d'Ovide. Il va conserver le décor, l'Arcadie, qui devient chez lui « la Vallée-du-Gazon-Diapré, en Arcadie &raqu= o;, ainsi que les deux protagonistes antithétiques, la chaste Syrinx, ny= mphe vouée au culte de Diane, et le concupiscent Pan, satyre toujours à la recherche d'une nouvelle conquête. L'un comme l'autre conservent leurs attributs mythologiques traditionnels, comme le souligne Daniel Grojnowski :

« Chez Laforgue, nulle tentative de transformation, pour ce qui concerne les données actantielles, mais au contraire le souci de bien traiter le sujet, d'observer les consignes et de s'y soumettre avec un conformisme ostentatoire. »[61]

Pan, à la Syrinx qui lui demande de se présenter, lui récite une description digne d'un = dictionnaire de mythologie :

« Je suis Pan (...) bien peu en ce moment, mais en général je suis tout, je suis le tout s'il en fut. &raqu= o;

En effet, ce dieu grec de la végétation en vient vite à représenter, dès l'Antiquité, le Grand T= out, devenant ainsi l'incarnation panthéiste de la Nature divinisé= e. Cette définition se justifie même d'un point de vue étymologique, « pan » en grec signifiant « tout ».

De même, Syrinx récite sa généalogi= e, parfaitement exacte, et dont le style se veut conforme au modèle homérique ;

« Je suis la nymphe Syrinx ; un peu naïade aus= si, car mon père est le fleuve Ladon au beau torse, à la barbe fleurie. »[62]

En ce qui concerne les personnages, Laforgue se montre donc très respectueux du modèle initial inscrit dans la tradition mythologique. C'est au niveau de l'unité narrative que se situe cette fois la rupture. D'emblée, à la temporalité indéterminée qui caractérise habituellement le récit légendaire, Laforgue oppose une unité de temps scrupuleusement respectée, puisque l'aube et le lever de lune encadr= ent exactement la nouvelle. De plus, chez Ovide, la poursuite de la nymphe par = Pan se résume à une phrase très synthétique :

« Mercure avait encore à rapporter le discou= rs de Pan, à dire comment, insensible à ses prières, la nymphe s'enfuit jusqu'aux eaux paisibles du Ladon sablonneux. »[63]

Or, c'est précisément à cette poursuite q= ue Laforgue fait subir l'amplification la plus significative, puisqu'il la développe sur une dizaine de pages, en faisant ainsi le cœur de= sa Moralité.

Selon le schéma dialogue / poursuite qui scande l'actio= n, la fuite de Syrinx devant Pan connaît trois rebondissements qui relan= cent à chaque fois la dynamique du texte. Ainsi, Laforgue fait de sa Moralité le complément nécessaire au récit d'Ov= ide : quand le poète latin pose les fondements du mythe de base, notre poète, tout en les respectant, développe le thème cent= ral que constitue selon ses propres termes

« la légendaire poursuite de la nymphe Syrinx par le dieu Pan dans l'Arcadie. »[64]

Cela ne l'empêche pas de renouer avec le mythe d'origine quant au dénouement de sa Moralité : de fait, chez Laforgue c= omme chez Ovide, la nymphe échappe aux assauts du satyre en se changeant = en roseaux ; de ces roseaux Pan fera un nouvel instrument, une flûte constituée de sept tuyaux d'inégale longueur, à laquel= le il donnera le nom de Syrinx.

Ainsi, il s'agirait donc plus d'un enrichissement du mythe préexistant que de sa déformation, et Laforgue se conformerait pour cette fois au modèle initial.

Cependant, une étude approfondie de Pan et la Syrinx= , ou l'invention de la flûte à sept tuyaux révèle bien des difficultés venant nuancer notre impression première= . En effet, nous avons une fois de plus une multitude de références des plus diverses, qui parasitent l'intertexte principal et participent à la polysémie d'ensemble.

Ainsi, au hasard de leur fuite, nos protagonistes découvrent un tombeau sur lequel on peut lire « Et in Arc= adia ego » (ce que l'on peut traduire soit par « Moi qui s= uis mort, j'ai aussi vécu en Arcadie », soit par « Moi, la Mort, j'existe aussi en Arcadie. »). Dans le filigrane de notre texte, se dessine alors la célèbre toile de Poussin, Les Bergers d'Arcadie, peinte en 1653, et que commentait ce= tte devise latine associant à l'image du bonheur pastoral celle d'une mo= rt inéluctable.

Ainsi Laforgue ne limite pas l'intertextualité au seul domaine littéraire, mais emprunte encore à la peinture, brouillant les repères pour aboutir finalement à une sorte de vertige. De plus, notre poète évoque dans le plus grand désordre les figures légendaires de Caliban, alter ego shakespearien de Pan, puis les Walkyries, les Sulamites et les flûtes salamboennes ...

On assiste encore à la contamination du mythe païen par un nombre impressionnant d'allusions au christianisme.

Ainsi, afin d'éprouver sa nouvelle flûte, Pan se = met à jouer des airs religieux, comme des kyrie ou encore des miserere ;= de plus, il tient ces propos à la Syrinx :

« Vos grands yeux annoncent quelque chose que j'appellerai le christianisme, et vous portez haut la tête comme une = qui regarde par dessus les troupeaux de Pan pour voir si le Messie ne vient pas encore ! »[65]

Le mythe païen s'efface peu à peu devant tant de références hétéroclites, et l'on passe de l'univocité gréco-latine à la plus complexe des rhapsodies. Laforgue ne peut s'empêcher d'inscrire dans cet ensemble mythologique déjà saturé le culte lunaire qui lui est = si cher ; aussi trouve-t-on une invocation à Diane qui n'est pas sans rappeler certains poèmes de L'Imitation de Notre-Dame la Lune= . De fait, l'intertexte de Pan et la Syrinx est riche en références à Laforgue lui-même, dont la poésie trouve sa place dans ce recueil en prose.

Les premières pages de cette Moralité nous montr= ent Pan composant, sur « son imparfait et monotone pipeau-galoubet », une prosodie qui nous est étrangement familière ; il s'agit tantôt d'invocations à la femme et à l'amour :

« L'Au= tre sexe ! L'Autre sexe !

Oh ! toute la pet= ite Eve,

Qui s'avance, rav= ie de son rôle,

Avec ses yeux illuminés

D'hymén&ea= cute;e ... »

tantôt de plaintes (mais ne pourrait-on parler de Complaintes ?) :

« Mon corps a mal à sa belle âme

Ma belle âm= e a mal à son corps »[66]

Selon Pascal Pia, les poèmes dans lesquels Pan se plain= t ou magnifie la femme sont de la même veine que les Dernier vers, composés à la même époque que cette ultime Moralité.

Ainsi, Laforgue a voulu mêler, dans une oeuvre incontestablement moderne, des fragments de vers et un récit en pros= e. Dès lors se dessine clairement l'originalité de notre poète : tout en reprenant des mythes du passé avec une certai= ne fidélité, il dépasse son modèle, le compl&egrav= e;te et l'enrichit d'éléments divers, aboutissant ainsi à u= ne vertigineuse polysémie.

Il s'inscrit de plus au sein de cet ensemble complexe, transpo= sant sa position de poète dans un personnage mythique, et donnant de ce f= ait une dimension éternelle à sa poésie.

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3) Intertextualité et mythologie germanique.=

 

 

Voyons à présent ce qu'il en est quant à = la mythologie germanique.

Comme nous l'avons vu, celle-ci n'apparaît qu'à travers certains mythes wagnériens ; dans Dimanches III, poème des Derniers vers, Laforgue évoque à trois reprises les Walkyries. De même, ces redoutables messagères de Wotan apparaissent dans Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flû= te à sept tuyaux, où la nymphe chasseresse :=

« pousse des clameurs de Walkyrie. »

Mais c'est surtout dans Lohengrin. fils de Parsifal que= la mythologie germanique prend toute son ampleur. Dans l'oeuvre de Wagner, Laforgue trouve une bonne part de son inspiration. Alors qu'il était= en Allemagne, il a assisté à de nombreux opéras de l'illu= stre compositeur, notamment Parsifal et Siegfried qui l'enthousiasment.

On remarque de réelles similitudes entre le livret du <= i>Lohengrin de Wagner, composé entre 1845 et 1848, et la Moralité en question.  De fait, il est pos= sible que notre poète ait eu connaissance de cette oeuvre grâce &agr= ave; ses amis musiciens, les frères Ysaye.

Ainsi, dans Lohengrin, fils de Parsifal comme dans son modèle wagnérien, Elsa, jeune fille condamnée à tort, invoque au cours d'une longue requête le pur héros qui d= oit venir la sauver.

L'apparition du cygne immaculé monté par Lohengr= in est décrite de manière analogue : alors que Wagner s'exclame :

« Voyez ! Voyez ! son armure étincelle ! »

Laforgue reprend comme en écho :=

« Ah ! le voilà ! le voilà ! le voilà ! (...) Un éphèbe, en armure radieuse, s'avançait... »[67]

Comme dans la légende initiale, Lohengrin intervient, c= hez Laforgue, au moment critique, sauve Eisa et se prépare à l'épouser. Mais on constate d'emblée de nombreuses ruptures p= ar rapport à la tradition wagnérienne.

En effet, chez Laforgue, l'identité du héros n'e= st plus voilée de mystère, puisque Lohengrin se présente d'emblée dans le détail :

« J'arrive tout droit de Saint-Graal. Parsifal est = mon père ; je n'ai jamais connu ma mère. Je suis Lohengrin, le chevalier errant. »[68]

De ce fait, l'intrigue tourne court, et le départ de Lohengrin, à la fin du récit, reste problématique. Tou= te la tension qui, dans les versions de référence, découl= ait de l'interdiction de demander son nom au jeune homme est ici éludée, il ne peut plus y avoir de transgression de l'interdi= t. De plus, dans la Moralité de Laforgue, c'est Lohengrin qui presse Ei= sa de questions auxquelles elle n'est pas à même de répond= re. Contrairement aux deux mythes antiques précédemment traités, il n'existe pas, chez notre poète, la même volonté de se conformer au mythe germanique originel. La premi&egrav= e;re rupture a lieu dans la confrontation au texte de référence, q= ui n'est plus qu'un modèle perverti, privé de sa dynamique et de= son intérêt dramatique. Cela ne dispense pourtant pas Lohengrin, fils de Parsifal d'avoir à subir bien d'autres interféren= ces. Dans cette Moralité aussi, en effet, Laforgue se plaît à mêler mythes germaniques et contes de fées, religions païennes et chrétienne, culture du monde arabe et réalité contemporaine.

Si, au début du récit, les personnages évoqués restent en rapport avec le mythe originel, la déviation ne se fait pas longtemps attendre. Ainsi, aux figures traditionnelles du Saint-Graal, de Parsifal et d'Elsa succèdent insensiblement des éléments appartenant au registre épico-chevaleresque, tels que les chevaliers errants, les hérauts, l'olifant. Puis le glissement d'un univers à un autr= e se confirme ; lorsque Lohengrin se voit qualifié de « Prince charmant », on accède au Merveilleux du conte de fé= ;es. On rejoint encore, comme à chaque fois, l'hommage rendu au culte lun= aire, avec l'évocation des vestales, de Séléné, d'Hécate, d'Endymion et enfin de Diane. On remarque en outre beaucou= p de descriptions venant s'inscrire dans la lignée de L'Imitation de Notre-Dame la Lune, ce qui n'a plus rien à voir avec le mythe germanique. Cette mythologie lunaire prend de plus en plus de place dans la Moralité, jusqu'à venir concurrencer le thème majeur. = De plus, elle colore le texte d'accents flaubertiens ; de fait, l'épiso= de de la dégradation de la vestale Elsa fait d'avantage songer à= Salammbô, elle-même prêtresse attachée au culte de la lune, qu'à l'Elsa de la mythologie allemande.

Ainsi, on remarque que les vestales de Laforgue sont vêt= ues de « guimpes de lin » quand les Prêtres de Tanit portent des « robes de lin ». On peut également mettre en parallèle le procès de l'Elsa laforguienne et le chapitre consacré à la mort de Mathô, chez Flaubert. En= fin, la parenté entre les vestales attachées au culte lunaire de Laforgue et Salammbô apparaît également dans cet exemple= : alors que les premières « exhibent à l'Astre bienfaisant leurs jeunes poitrines », l'héroïne de Flaubert « laissait voir ses deux seins, par deux échancrures ».[69]

Ainsi, Flaubert se retrouve une nouvelle fois inscrit dans l'intertexte laforguien. La contamination d'éléments étrangers au mythe d'origine se poursuit ensuite en prenant un visage chrétien. On pourrait rapprocher l'attente solennelle dont fait l'ob= jet Lohengrin d'une attente messianique ; dans cette optique, son arrivée ferait figure d'épiphanie. Cette vision chrétienne est de plus renforcée par de multiples allusions aux rites catholiques, telle que « l'Eucharistie d'Immaculée-Conception ». On touche même au domaine musulman, puisque sont mentionnés dans cette Moralité la Mecque et le Commandeur des Croyants.

Enfin, Laforgue se fait fort d'intégrer à cet ensemble déjà chaotique sa propre poésie. Outre les références à la lune, on a notamment des extraits de <= i>la Complainte des Cloches de Brabant, de la Complainte des pianos que l= 'on entend dans les quartiers aisés et de la Complainte du Roi de Thulé, à la page 109 de notre Moralité. Or, on remarque que deux de ces Complaintes ont un lien implicite avec la mytholog= ie germanique ; de fait, Brabant est le nom de famille d'Elsa dans le mythe de référence. De même, la légende du Roi de Thul&ea= cute; est un mythe germanique fort ancien, repris plus tard par Wagner. Aussi peu= t-on dire qu'avec la mythologie germanique on est confronté à un intertexte des plus complexes, riche et confus tout à la fois. Afin = d'en résoudre les difficultés, Claude Abastado propose une interprétation psychanalytique du personnage ; cette dernière= est certes tentante, elle donne un éclairage original au texte et semble= en lever les principales difficultés. Cependant, elle appelle une certa= ine méfiance : plus encore que d'un point de vue psychanalytique, souvent étroit et stérile, il convient d'analyser la mythologie laforguienne d'un point de vue artistique. De fait, les mythes les plus div= ers s'entremêlent mais restent cependant attachés à une fam= ille mythologique bien définie. Dès lors, l'aspect chaotique, polysémique et le paganisme exacerbé de l'oeuvre de Laforgue procèdent d'une volonté esthétique n'ayant que faire d= 'une interprétation psychologisante.

Après l'étude des mythologies païennes du passé, il convient à présent de s'intéresser aux textes sacrés, qui n'ont cessé d'affleurer dans notre première section. Ainsi, nous avons pu constater que les images sacrées empruntées aux registres catholiques ou hindous interfèrent souvent avec les mythes païens, provoquant ainsi d'importants glissements de sens ; mais peut-on considérer que la réciproque est vraie ? Au sein des mythes sacrés, peut-on rel= ever la même volonté syncrétique ?


B) Les mythes religieux : Dans quelle mesure sont-ils fidèles à leurs sources sacrées ?

 

 

 

1) Les mythes chrétiens sont-ils conformes à = la tradition biblique ?

 

 

 

Les mythes chrétiens reviennent souvent au sein de la mythologie laforguienne ; aussi convient-il d'étudier quelles sont l= es figures privilégiées de notre poète, que nous confronterons ensuite à leur original biblique.

Dans un premier temps, Laforgue traite les mythes chrét= iens comme il avait traité les mythes antiques : il évoque, sans o= rdre apparent, des personnages bibliques, des épisodes de l'histoire Sain= te, et fait même allusion à certains rituels de l'Eglise Catholiqu= e.

La figure du Christ intervient ainsi à plusieurs repris= es au sein de la mythologie laforguienne, sans pour autant constituer une figu= re centrale.

Le plus souvent, c'est le Christ en croix qu'évoqu&eacu= te; le poète, toujours plus attiré par la mise à l'épreuve de la faiblesse humaine qu'à d'éventuelles potentialités divines. Ainsi, il évoque dans Marche funèbre pour la mort de la Terre :

« Jésus triste et doux qui douta de la Foi

Dont il avait vécu, dont il mourrait victime. »[70]

Le Christ lui-même connaît des souffrances humaine= s et des instants de doute, à l'instar de Laforgue qui perd la Foi &agrav= e; la mort de sa mère. Comme l'homme encore, le fils de Dieu se sent abandonné quand il crie :

« Eli, Eli, lema sabachtani ? »

(« Mon Père, mon Père, pourquoi m'as = tu abandonné ? »)

Laforgue fait sienne cette clameur, qui devient chez lui « l'Universel lamasabaktani ».[71]

L'humanité toute entière partage cette angoisse = d'un dieu absent, qui abandonne les hommes à leur maudite condition.

Ainsi, Laforgue ne s'intéresse qu'à un ép= isode des plus brefs de la vie du Christ, son expérience du doute sous le poids d'une souffrance inique, ce qui représente, aux yeux de notre poète, la condition même de l'homme.

C'est toujours cette persécution morale et physique, do= nt Dieu est l'unique responsable, que Laforgue dénonce à travers= les mythes de Caïn, Nabuchodonosor, enfin à travers le long et cruel martyr de Job, dont notre poète donne sa version dans Justice= :

« C'est l'éternel sanglot, c'est l'éternel cantique,

C'était celui que Job sur s= on fumier biblique,

Grattant sa chair pourrie avec un = vil tesson,

Jetait au dieu jaloux, au maî= ;tre du tonnerre

Qui flagellait son droit du vent d= e sa colère,

C'est l'éternel sanglot et = rien ne lui répond. »[72]

On le voit, la position de Laforgue est une position partiale. Pour lui, Dieu n'entend pas le Christ sur sa croix, ni Job sur son fumier ; il s'en détourne, les abandonnant à la misère qu'il a lui-même engendrée. De plus, c'est le de= stin de l'humanité entière que symbolisent le Christ en croix et J= ob : partout il n'y a que souffrance, et Dieu est impuissant à la soulage= r.

Il emprunte en outre à plusieurs reprises le vocabulaire religieux, qui enrichit le champ lexical de plus d'un poème. Ainsi, = il se plaît à représenter la lune comme une hostie, ce qui= lui donne une dimension mystique justifiant le fait qu'on lui rende un culte. De même, les termes de ciboire, Sainte-Table, ex-voto, baptême et même Bible ne sont pas rares chez lui ; on les rencontre alors dans l= es contextes les plus divers. En utilisant ainsi le champ sémantique du religieux, Laforgue confère à ses écrits une dimension quasi-sacrée. De plus, il n'hésite pas à s'inscrire au sein de cette mythologie chrétienne, devenant lui même une véritable figure christique. Dès les Premiers poème= s, il sait rendre grâce à son « Sacré-Coeur », analogie du Sacré Coeu= r du Christ. Ainsi, le coeur du poète devient ostensoir dans Apoth&eac= ute;ose. Il s'agit encore d'un « Coeur énorme et lourd qui ruissel= ait d'amour », tout comme celui du Christ[73]. Puis Laforgue s'insc= rit dans le schéma de la Chute, dans Lassitude :

« Car j'étais dans l'Eden, l'arbre de la Science

Ne m'avais pas en= core tenté, j'avais la Foi   (...)

Maintenant que j'= ai pris le vieux fruit défendu

Maintenant que je= vis dans cette idée amère

Que mon rêv= e divin n'était qu'une chimère

Si mon front est = plus fier, mon coeur a tout perdu ! »[74]

II se présente donc en poète déchu, qui fléchit sous le poids du péché originel, et qui en même temps devient une sorte de Christ humain. Il est celui dont le c= oeur saigne, qui souffre et console à la fois ; car enfin c'est une « belle âme », qui propose aux hommes victimes = de la Chute :

« les Edens de mes Vers ».[75]

Comme dans la tradition romantique, le poète reste une créature maudite que Dieu aime à faire souffrir ; mais il a compris que tous les hommes sont sous le coup de la malédiction divi= ne, liée au péché originel. Il devient alors figure christique, puisqu'il souffre pour redonner aux hommes une idée du Paradis perdu. Il va même jusqu'à annoncer :

« la Bible nouvelle qui va faire déserter les cités. La vanité de tout, le déchirement de l'Illusion, l'Angoisse des Temps, le renoncement, l'Inutilité de l'Univers. »[76]

La philosophie nihiliste, héritée de Schopenhaue= r, est ici en passe de supplanter la religion traditionnelle.

Mais Laforgue, qui ne croit plus en Dieu, n'abandonne pas pour autant cette vision chrétienne, qui hante ses poésies et même encore, on s'en souvient, ses Moralités légenda= ires ; aussi peut-on se demander s'il ne faut pas voir dans notre poète un Messie des temps modernes, nous exhortant à ne plus croire en Dieu, = mais en l'art et en l'Inconscient, dans une optique qui reste essentiellement pessimiste.

Toujours est-il que cette mythologie chrétienne, si féconde, oriente pour une bonne part la vision laforguienne de la fe= mme.

 

 

2) Mythologie chrétienne et mythologie de la femme chez Jules Laforgue.

 

 

Riche en figures hautement symboliques, la mythologie chrétienne se révèle encore déterminante quant à la vision Iaforguienne de la femme. De fait, on retrouve chez notre poète l'ambivalence fondamentale dont procède toute figure féminine, tantôt ange, tantôt démon.

La femme angélique s'incarne d'abord sous les traits de Tessa, héroïne éponyme de la première aventure dramatique de Laforgue ; cette jeune fille au coeur pur sauve le peintre Gu= ido de son amertume et d'une profonde misogynie, provoquée par une ancie= nne déception amoureuse qu'il ressasse sans cesse. Grâce aux effor= ts de Tessa, Guido finit par admettre qu'il existe des femmes de bien, avant de conclure avec enthousiasme :

« La femme est faite pour emparadiser l'homme ! »[77]

Par la suite, cette femme chaste et aimante ne disparaît= pas dans l'oeuvre poétique. Tantôt appelée « la Sulamite », qui est à l'origine la destinataire du Can= tique des Cantiques, tantôt simplement désignée par le pr= onom personnel « Elle », avec un « e &raqu= o; majuscule, cette femme est idéalisée par Laforgue jusqu'&agra= ve; devenir une créature purement spirituelle. Elle devient « Madone », « Regard incarné », comme dans la Complainte des cloches et surtout dans les impressions sur la Femme, regroupées au sein= des Mélanges posthumes, et où l'on trouve cet article :

« Rega= rd incarné —

Elle est la seule race de femme que je ne parvienne pas à déshabiller. (...)

Elle n'a pas pour moi d'organes sexuels (...)

Elle est tout Regard, un re= gard incarné, emprisonné dans une forme diaphane, et s'écou= lant par les yeux. »[78]

Cette appréhension de la femme, qui confine à l'adoration, nous rapproche de la vision chrétienne de l'ange, de la sainte ou même de la Vierge ; cette femme n'est pas de chair, il s'ag= it d'un fantasme poétique, d'un pur idéal.

Or, Laforgue ne se laisse pas aveugler par l'apparence d'ange = de lumière que savent revêtir certaines femmes. Obéissant à un clivage manichéen, notre poète retourne la radieu= se figure angélique pour lui faire succéder celle ténébreuse, du Démon en personne.

Dans cette optique, la femme devient alors la descendance d'Ev= e, qui porte en elle le péché originel et induit l'homme en tentation. Créature déchue, elle met tout en oeuvre pour amen= er ses victimes à se damner avec elle. La figure mythologique d'Eve séduite par le Serpent, précipitant Adam dans la Chute en lui faisant goûter le fruit défendu, devient chez Laforgue l'emblème de la femme, perdition de l'homme. Il évoque de plu= s le mythe de Dalila qui, ayant séduit Samson, le trahit, lui coupe les cheveux, garants de sa force, et le livre aux Philistins.

Enfin, un mythe biblique, emprunté au Nouveau Testament, résume parfaitement le visage démoniaque de la femme : le myt= he de Salomé. Il est à noter que cette figure hante d'abord la poésie de Jules Laforgue, avant de devenir l'héroïne éponyme d'une de ses Moralités légendaires. Ain= si, elle est déjà suggérée dans toute l'horreur de = son mythe dans ces quelques vers de l'Imitation de Notre-Dame la Lune : =

« Je veux baiser ta patène triste,

Plat veuf du chef de Saint Jean-Baptiste ! »[79]=

De même, dans Dimanches XLVIII, Laforgue évoque Salammbô, double flaubertien de Salomé. Mais il = ne s'agit là que de connotations diffuses, n'ayant qu'un lointain rappo= rt avec le mythe biblique. Tel n'est pas le cas de la Salomé des= Moralités légendaires, qui s'inspire plus directement du mythe initial. On retrouve ainsi la trilogie Tétrarque / Salomé / Jean-Baptiste, désigné ici sous son nom hébreux de Laokanann. De même, la dynamique d'ensemble n'est guère bouleversée ;= si Salomé n'est jamais nommée dans la Bible, elle n'apparaî= ;t chez Laforgue que dans les dernières pages de la Moralité. Son rôle est analogue à celui de la séductrice biblique : e= lle envoûte le Tétrarque, afin d'obtenir de lui la tête de Jean-Baptiste. Emeraude-Archétypas, qui a promis tout ce que Salomé voudrait, se voit obligé de faire décapiter le Saint. Il est à noter que la Salomé laforguienne emploie pour formuler sa demande les termes de son homologue biblique ; en effet, Matthi= eu rapporte que la jeune fille s'adressa en ces termes au Tétrarque :

« Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean= le Baptiste. »

De même, l'héroïne de Laforgue annonce :

« Je désirerais que vous me fassiez monter c= hez moi, en un plat quelconque, la tête de Laokanann. »[80]

Ici tout au moins, la fidélité au modèle initial transparaît clairement. Cependant, tout en considérant= la Bible comme un modèle indéniable, il faut souligner que Lafor= gue, à plusieurs reprises, prend des libertés vis-à-vis du mythe de référence. Ainsi, notre poète fait totalement abstraction du personnage d'Hérodias, femme d'Hérode par remariage et mère de Salomé. Or, dans le récit bibliqu= e, c'est elle la véritable instigatrice du meurtre de Jean-Baptiste, qu= and Salomé n'est que l'instrument, l'arme du crime si j'ose dire. Au contraire, chez Laforgue, le premier rôle revient à Salom&eacu= te;, dont la mère n'est jamais mentionnée.

De même, notre poète s'éloigne à nouveau du mythe biblique en supprimant l'épisode central que constituait la danse érotique de Salomé ; celle que l'évangile désigne comme la Danseuse ne danse pas chez Laforg= ue, mais, par un paradoxe ironique, tient un long discours alambiqué qui= ne charme qu'Hérode. Par opposition, Jean-Baptiste, désign&eacut= e; dans la Bible comme « la Voix qui crie dans le désert » ne souffle pas un mot dans notre Moralité= ! Enfin, l'ultime trahison par rapport au modèle initial est démasquée par Mireille Dottin, qui montre que :

« révocation du Christ, l'attente messianiqu= e, bref toute la dimension religieuse du récit, ainsi que le rôle crucial du Baptiste, auquel seule l'épigraphe énigmatique attribuée au père Jourdain pourrait faire allusion, tout cela= est déclaré manquant. »[81]

Par une volonté délibérée de se démarquer de la tradition chrétienne à laquelle il emprunte pourtant, Laforgue va jusqu'à transposer à Salomé, femme damnée, des attributs christiques. Elle devient ainsi « petit Messie à Matrice » et « Immaculée Conception », autant de propos sacrilèges pour qui se réfère à l'Evangile. On = peut donc noter chez Laforgue une volonté de démystifier le récit biblique, quitte à passer pour un iconoclaste, et d'ajo= uter au mythe sacré une nouvelle symbolique plus moderne. De fait, nous v= errons plus loin que la Salomé laforguienne est avant tout un mythe décadent, partant de la Bible pour mieux s'en détacher. L'usa= ge que notre poète réserve à la Bible relève en ou= tre d'une double dynamique : D'une part, il choisit certains mythes ou certaines figures, s'empare de leur portée symbolique et les retourne dans un = sens ironique ; d'autre part, il affirme une volonté initiale de tout changer, met à distance les textes sacrés et leur redonne une dimension humaine.

Or, ces mythes sacrés ne sont pas seulement alimentés par la source chrétienne ; il convient en particuli= er de noter l'importance considérable de la branche hindouiste et bouddhique.

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3) Mythologie hindoue et Bouddhisme : Quelles sont les figures d'élection de Laforgue, et dans quel but fait-il appel à des religions aussi lointaines ?

 

 

Dès les Premiers poèmes, l'hindouisme et = le bouddhisme se posent comme concurrents directs des mythes païens et chrétiens.

Laforgue s'attache d'abord à la religion védique, qui est au bouddhisme ce que l'Ancien Testament est au christianisme. Dans = Les Chauves-souris, poème LIII des Fleurs de bonne volonté= , notre poète évoque d'abord les Védas ; ces livres sacrés de l'Inde écrits en sanskrit, et dont le nom signifie « savoir », sont attribués à la révélation de Brahma. Ce dieu a lui-même sa place dans = la mythologie laforguienne, puisque le poète rend hommage dès le= s Préludes autobiographiques à :

« l'être en forme, Brahma seul est Tout-Un en soi. »

De fait, le dieu Brahma est la personnification de l'essence de toute chose, l'incarnation de l'âme absolue, ce qui lui vaut sa représentation la plus fréquente avec quatre bras et quatre têtes, symbole de son omniscience et de son omniprésence. Lafo= rgue évoque encore dans ses poésies les Dévas, ces dieux nouveaux qui affrontent les divinités primordiales, ou Asuras, et prennent le pas sur elles. Enfin, il fait allusion à une derni&egrav= e;re figure védique, au sein des Moralités légendaires cette fois ; il s'agit de la déesse Aditi, dont le nom, proclam&eacu= te; par Syrinx, relance sa fuite devant les assauts de Pan. Aditi devient, dans la bouche de la nymphe, une sorte de cri de guerre qui lui donne le courage de poursuivre sa course, au même titre que les « clameurs de Walkyries ». On assiste ici à un étonnant mé= ;lange de mythologies grecque, germanique et hindoue. Mais il n'y a aucune gratuité dans ce rapprochement ; de fait, au sein d'une oeuvre ayant= la mythologie comme thématique d'ensemble, le mythe grec illustre un versant de ce vaste sujet, quand la figure germanique illustre le côté guerrier de la nymphe chasseresse. Enfin, Aditi symbolise= ici l'indéfectible liberté de Syrinx. En effet, Mircea Eliade nous apprend que la déesse Aditi, grande déesse-mère de la religion védique, est une représentation de la Terre, voire de l'Univers entier, et qu'elle illustre donc par extension la largeur et la liberté. Son nom même fait écho à son essentielle indépendance, puisqu'il signifie « la Non-Liée », « la Libre », l'indivisée et l'indivisible.[82] C'est en outre une déesse bienfaisante, qui rend la santé, et une figure materne= lle, qui donne naissance aux douze Adityas. Ainsi, la valeur symbolique des figu= res védiques choisies par Laforgue présente une certaine analogie avec la symbolique des figures classiques. On retrouve d'abord une vision panthéiste du monde, dans laquelle Brahma succède à Pa= n ; de même, l'image rassurante et maternelle n'est plus Maïa mais Aditi.

Le bouddhisme, quant à lui, fait appel à une mythologie plus personnelle. Selon Léon Guichard, ce serait Jean Lah= or, auteur de l'Illusion et de la Gloire du Néant qui aura= it contribué à implanter en France la mode du bouddhisme. Il sig= nale encore une Introduction à l'histoire du bouddhisme de Burnouf= , et la prolifération des traductions de livres hindous publiées de 1850 à 1870. Enfin, Leconte de Liste et Paul Bourget contribuent, co= mme Laforgue, à la vulgarisation de ce courant. Dans un premier temps, n= otre poète évoque les principaux épisodes de la vie de Boud= dha, sur laquelle il semble bien documenté. Ainsi, il le désigne souvent du nom de Cakya, c'est-à-dire Cakyamuni, littéralement :

« Le sage issu de la famille des Cakya. »= ;

II s'attarde peu sur l'enfance dorée de Bouddha, dans le palais du Roi son père. Alors qu'il vivait ainsi coupé du mon= de, ignorant tout de la souffrance humaine, le jeune prince a une révélation qui lui montre, sous les traits d'un vieillard, d'= un malade, d'un cadavre et d'un moine mendiant l'universalité de la dou= leur en ce monde. Dès lors, il quitte la cour pour vivre pendant sept ans auprès des brahmanes, observant comme eux un ascétisme des pl= us sévères. Mais là ne se situe pas le bonheur, et Bouddha comprend que le salut se trouve dans la Voie Moyenne, entre une vie de plai= sirs excessifs et une vie de mortification.

C'est dans la Complainte des voix sous le figuier Bouddhiqu= e que Laforgue évoque pour la première fois explicitement la vi= e du Bouddha. On trouve en particulier cette exclamation des Jeunes Gens :

« Vie ou Néant ! choisir - Ah ! Quelle discipline !

Que n'est-il un Eden entre ces deux usines ? »[83]

Ce poème fait référence à l'illumination d'Uruvelâ, que mentionne Henri Arvon dans son essai su= r le bouddhisme. Alors qu'il reposait à l'ombre d'un figuier, Bouddha a soudain la révélation des quatre Saintes Vérité= s, soit la douleur universelle, l'origine de cette douleur, son anéantissement et le chemin de cet anéantissement. C'est d'ailleurs de cet épisode que le prince gagne son nom de Bouddha, qui signifie l'Illuminé. Or, Laforgue s'intéresse vivement &agrav= e; tout ce qui traite de notre souffrance dans ce monde, et des moyens de s'en délivrer. Dès lors, il adhère au bouddhisme et reprend= le conflit en ces termes, dans un chapitre de ses Pensées et paradox= es, qu'il intitule Le Choix de la vie (nirvanâh ou amour) :=

« II n'y a de choix qu'entre deux : ou bien vous vo= ulez le néant, le repos - ou la vie. »[84]

Ceux qui choisissent le repos suivent la voie du nirvanâ= h ; les autres, quant à eux, restent prisonniers de « l'amour= des sexes ». On le voit, cette doctrine est une interprétation assez fidèle de l'enseignement bouddhique, qui prône que l'ori= gine de la douleur se trouve dans la soif d'existence, le ridicule vouloir-vivre= des hommes. Paradoxalement, ces derniers s'attachent à une vie qui ne pe= ut être que malheureuse, puisque vouée à l'impermanence de toute chose. Le bouddhisme amène à se détacher du monde phénoménal, irréel ; c'est pourquoi Laforgue s'enthousiasme pour cette religion, dans laquelle il voit un remède possible à notre absurde condition. Il se proclame d'ailleurs bouddh= iste lui-même, dans une lettre de septembre 1882 à son ami Kahn :

« Avant j'étais bouddhiste tragique, et maintenant je suis bouddhiste dilettante. »[85]

Ce que Laforgue retient du bouddhisme, c'est bien cette théorie de l'existence comme souffrance sans fin ; il s'intér= esse en outre de très près au Nirvanâh. Dans la religion bouddhique, le Moi est réduit à une création momentanée et fortuite due à la coopération mutuelle d= es cinq éléments physiques et mentaux composant l'homme. Ce Moi, bien que non-substantiel, est néanmoins soumis à un éternel cycle de réincarnations, sanctionnant un étern= el vouloir-vivre. Lorsque l'homme abandonne cette volonté d'exister, al= ors le cycle des réincarnations prend fin et l'homme échappe &agr= ave; la fatalité du devenir.

Cette image du Nirvanâh fascine Laforgue. Il l'év= oque souvent au fil de son oeuvre ; dès les Préludes autobiographiques, il aspire à :

« La tourbillonnante éternelle agonie

D'un Nirvanâh des Danaï= des de génie. »[86]

Les Danaïdes, dont la présence fait écho à l'adjectif « éternelle », évoq= uent ici la fin définitive de l'existence et le repos éternel. On = voit donc que c'est surtout dans l'optique philosophique que Laforgue emprunte au bouddhisme. Il adhère au pessimisme profond de cette croyance qui interdit aux hommes de croire que quelque chose peut être durable, éternel et prône l'affranchissement le plus radical par rapport à cette existence.

Cependant, en matière purement esthétique, nulle mythologie n'est plus significative que celle développée par Laforgue au sein d'un courant fin de siècle ; cette dernière,= en effet, affirme sa volonté d'ériger au rang de mythes à part entière les figures décadentes les plus variées. Même les mythes sacrés perdent bientôt leur aspect trop solennel et sérieux ; c'est ainsi que Bouddha lui-même devient « Lord Bouddha » mélange subtil entre le personnage mythologique traditionnel et une figure nouvelle, décaden= te, celle du Dandy.


C) Les mythes décadents : à quelle source Laforgue puise-t-il ces éléments, qui à l'origine ne s= 'inscrivent dans aucune mythologie préexistante ?

 

 

 

1) Que devient la vision de la femme dans l'esthétiq= ue décadentiste de cette fin de siècle ?

 

 

 

La femme conserve une place centrale au sein de cette mytholog= ie nouvelle élaborée au XIXème siècle. Créa= ture ambivalente, elle aime à revêtir divers masques, créant ainsi autour d'elle une mythologie à son image, fluctuante et contradictoire. Pour les écrivains et les poètes de cette période, elle est d'abord l'Eternel Féminin ; la femme, élevée sur un piédestal, est idéalisée, déifiée et adorée à l'instar d'une déess= e. Selon Léon Guichard, on retrouve chez Laforgue ce visage de la femme= :

« Les Fleur= s de bonne volonté. Le Concile féerique et les Derniers vers -= de même que les Moralités légendaires, qui furent écrites pendant la période= de l'année 1886, - sont placés sous le signe de l'Etemel féminin. »[87]

Ainsi, notre poète sacrifie au culte de cette femme idéale et supérieure, cette idée de femme. C'est dans = le Concile féerique, oeuvre de= 1886, qu'apparaît ce personnage, baptisé simplement La Dame, et qui = se définit comme il suit :

« Je s= uis la Femme, on me connaît (...)

J'ai l'art de tou= tes les écoles,

J'ai des âm= es pour tous les goûts. (...)

Nos armes ne sont= pas égales,

Pour que je vous tende la main :

Vous n'êtes= que de braves mâles,

Je suis l'Eternel Féminin ! »[88]

Chez Laforgue, la femme se présente d'abord comme une créature supérieure à l'homme, universelle et idéale, l'Etemel Féminin. Il ne s'agit cependant pas d'une créature purement spirituelle comme le Regard Incarné de la vision chrétienne : Cette femme a conscience de son corps, à = tel point qu'elle y soumet l'homme, selon son bon plaisir.

Or, à cet Eternel féminin trop pompeux, trop solennel, Laforgue préfère la figure plus modeste et plus dis= crète des jeunes filles, qui tend à s'affirmer dans les Moralités légendaires. De fait, Ophélie, K= ate, Elsa, Salomé, Ruth, Andromède, Syrinx, toutes ces héroïnes laforguiennes ont les traits de jeunes femmes à peine pubères, et l'on sait à quel point Laforgue était attiré et intrigué tout à la fois par ce genre de peti= tes personnes. Ainsi, en février 1886, il écrit à Kahn son étonnement vis-à-vis de

« ces êtres absolument inédits pour mo= i, que sont les jeunes filles. »[89]

De même que les grands héros mythologiques étaient trop surhumains, « pas assez frères », de même la figure majestueuse de l'Eternel Féminin restait froide et inaccessible pour notre poète. Il introduit donc dans sa mythologie de la femme des portraits de jeunes fille= s, privées d'attributs féminins trop voyants, petites soeurs et maîtresses tout à la fois. De ces deux figures complémentaires de la femme naît le mythe de l'Amour Absolu, q= ue Laforgue développe surtout dans Des Fleurs de bonne volonté. On trouve ainsi le couple de la pure Je= une Femme et de l'Homme idéal dans L'Aurore promise ; de même, le poète donne sa définition personnelle de l'amour dans Arabesq= ue du malheur :

« Si o= n ne tombe pas d'un même

Ensemble à genoux, c'est factice,

C'est du toc. Voilà la just= ice,

Selon moi, voilà comment j'aime. »[90]

L'amour est donc conçu comme une communion totale de l'âme et du corps, au sein de la mythologie laforguienne de la femme. Cependant, un troisième mythe, celui de la femme fatale, vient obscu= rcir l'optimisme des deux premières figures. Cette créature perver= se, vénéneuse, déjà immortalisée par Baudela= ire, apparaît de plus dans cette fin de siècle à travers la littérature fantastique ; ainsi, Poe la peint sous les traits d'un vampire avide, qui traque sans pitié sa proie masculine. Fascinante = et terrifiante tout à la fois, elle amène l'homme à l'ado= rer quand il devrait l'exécrer comme une image de sa propre mort.=

C'est à travers deux Moralités légendaires de 1885, Le Miracle des roses et Salom&eacu= te;, que Laforgue exploite le caractère ambivalent de cette femme fatale, perdition aux allures de Paradis.

 

 

2) Le Miracle des r= oses et Salomé : étude= de l'intertexte moderne et interprétation de ces deux facettes du mythe= de la femme fatale.

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Le Miracle des roses a un statut à part au sein du recueil des Moralités légendaires. De fait, avant de connaître son statut définitif en 1885, cette nouvelle connut une première version en 1882, avec d'importantes variantes. Dans une lettre du 20 août à Sandâ Mahâ= li, Laforgue présente sa première nouvelle comme l'histoire d'une petite Russe épileptique qui vit ses derniers jours dans la station = de Hombourg. Plus tard, dans la version de 1885, c'est Ruth, frêle Angla= ise tuberculeuse, qui devient l'héroïne de la Moralité, tout comme Baden-Baden, où Laforgue a connu le plus mortel ennui, est ven= u se substituer à Hombourg.

L'originalité de cette nouvelle, outre le fait qu'elle = ait connu deux états successifs, vient encore de cela qu'elle ne met en scène aucun personnage mythologique ou légendaire. Dans Le Miracle des roses, l'intertexte= est donc à première vue obscur, et l'on s'interroge quant au mythe évoqué ici. Le prénom de Ruth peut faire penser &agrav= e; Ruth la Moabite, personnage de l'Ancien Testament ; mais il n'existe qu'un rapport bien mince et hypothétique entre ces deux figures féminines. Le seul rapprochement consiste dans le fait que la Ruth biblique voit mourir son beau-frère, son beau-père et son mar= i, cependant que l'héroïne laforguienne conduit à une mort certaine tous ses prétendants. On remarque en outre dans cette nouve= lle de nombreuses allusions à la liturgie catholique, notamment dans la description de la procession de la Fête-Dieu, c'est-à-dire la fête de l'Eucharistie, le deuxième jeudi après la Pentecôte. Cette procession s'accompagne de plus d'un refrain emprunt= é à la Complainte des cloches<= /i>, ce qui confirme l'émergence d'une liturgie proprement laforguienne, ainsi que l'omniprésence des poésies dans l'intertexte des Moralités légendaires.

Mais les textes sacrés ne sont pas, cette fois, la principale référence de cette Moralité. L'intertexte d= u Miracle des roses est en effet principalement constitué d'une nouvelle contemporaine, puisqu'il s'a= git de Un Coeur simple, le premier = des Trois contes de Flaubert.

De fait, nombreuses sont les occurrences du modèle flau= bertien dans le texte de Laforgue. Citons par exemple les conflits dont font l'objet les reposoirs dans l'un et l'autre texte : alors que Flaubert mentionne « qu'il y eut des rivalités » au sujet de l'emplacement d'un reposoir, notre poète parle :

« de pénibles rivalités entre les deux hôtels d'Angleterre et de France. »[91]

De même, une foule de détails présents dan= s le modèle flaubertien réapparaissent dans la Moralité laforguienne ; ainsi, la myriade d'objets entourant Ruth rappelle ceux que Félicité entasse dans sa chambre. On retrouve en particulier = les « images colorées » dont Patrick tente de distraire sa soeur, et qui font écho à la « géographie en couleur » dont hérite f= inalement Félicité. Enfin, la connivence la plus explicite entre les de= ux textes se situe dans le tableau de la Procession, que Flaubert décrit comme il suit :

« Tous les enfants des écoles, les chantres,= les pompiers, marchaient sur le trottoir. (...) Trois des plus mignonnes petites filles, frisées comme des anges, jetaient en l'air des pétale= s de roses (...) Le grand soleil d'or rayonnait. Il se fit un silence. &raq= uo;

Et Laforgue de reprendre presque mot pour mot dans sa Moralité :

« Une école de gamins, quatre chantres, des fillettes, angelots de sucre d'orge (...) frisées, couronnées= de muguet, et portant des corbeilles pleines de pétales à semer (...) Soleil légendaire du Très Saint Sacrement... O silence = en plein jour au soleil, etc. »[92]

Ainsi, on peut dire que c'est selon le modèle flauberti= en que s'exprime la liturgie laforguienne dans Le Miracle des roses.

Mais, une fois de plus, l'intertextualité ne se résume pas à cet aspect descriptif. C'est ainsi que le mythe = de la Femme Fatale se trouve amplement développé, sous un angle original. De fait, la jeune héroïne, Ruth, fait d'abord figure = de victime. Elle est malade, très faible, et attend la mort avec résignation ; mais on s'aperçoit bientôt que la jeune f= emme est obsédée par la mort qu'elle parvient à répa= ndre autour d'elle sans le vouloir consciemment :

« Et voilà le secret lâché ! Ce= tte Ruth, cette charmante agonisante, par une insondable fatalité, passe= sa vie à répandre le suicide sur son chemin, son chemin de croix. »[93]

II s'agit donc d'une figure ambivalente, qui souffre en faisant souffrir, meurt en causant la mort. Au premier abord, elle apparaît en martyre, victime de la fatalité et déjà détachée de ce monde ; mais, au cours de la Moralité, = elle se révèle à bien des égards, cruelle. Alors qu'= elle assiste à une course de taureaux, elle éprouve une telle fascination pour ce spectacle sanglant qu'elle insiste personnellement auprès du « Signor présidente » pour prolonger le carnage le plus longtemps possible. Elle semble même tir= er une certaine jouissance devant ce flot de sang versé, ce qui la rapp= roche d'un autre personnage des Trois con= tes de Flaubert, Saint Julien l'Hospitalier, qui prend également plaisir à contempler de grands massacres d'animaux.

Chez Ruth, la hantise du sang s'exprime encore sous la forme de cauchemars obsédants, qui lui rappellent tous les suicides qu'elle a provoqués. Son refrain morbide « le sang, le sang, l&agra= ve;, sur les gazons ! »[94] fait écho &agr= ave; celui de l'héroïne shakespearienne Lady Macbeth, comme elle meurtrière tourmentée par ses crimes. Enfin, le médail= lon en oeil de paon, si mystérieux, que porte Ruth n'est pas sans rappel= er la roue de paon nain dont est parée Salomé chez Laforgue. De fait, ce dernier établit volontairement un lien de parenté en= tre ces deux visages complémentaires du mythe décadent de la Femme Fatale.

Le Miracle des roses est la plus élaborée, et de ce fait la plus complexe des Moralités légendaires. En effet, le jeu intertextuel développé par Laforgue fait interv= enir une grande diversité de références. C'est ainsi que l'= on assiste à une nette affirmation d'une liturgie propre à notre poète ; mais contre toute attente le modèle de référence, loin d'être un texte religieux, se révèle être une oeuvre de Gustave Flaubert. A côté de cette référence contemporaine, on trouve également des emprunts à Shakespeare. On aboutit donc finalem= ent à une figure féminine ambiguë, procédant d'une profonde dualité. Il s'agit d'un portrait de femme fatale à l'état latent, qui donne la mort mais en éprouve encore une culpabilité certaine. Telle ne sera plus le cas avec Salomé, = qui incarne le mythe de la Femme Fatale absolue, dénuée de tout scrupule, et qui cause la mort tant par plaisir que par jeu.

Nous avons vu dans quelle mesure la Salomé de Jules Laforgue empruntait au Nouveau Testament, texte à l'origine de ce mythe. Néanmoins, nous avons également constaté qu'un passage aussi court de l'Evangile ne saurait, à lui seul, constituer l'unique intertexte de la Moralité ; et c'est encore à Flaubert que se réf&egrav= e;re notre poète, puisqu'il emprunte simultanément à deux textes voisins : Hérodias, nouvelle des Trois contes , et = Salammbô.

D'emblée, le décor fait appel au double intertex= te flaubertien.

« Le monolithe dégrossi, excavé, évidé, aménagé et finalement poli en un mont de basalte noir jaspé de blanc » que Laforgue décrit = dans la première page de sa Moralité s'apparente autant à la citadelle de Machaerous d'Hérodias qu'au « palais bâ= ;ti en marbre numidique tacheté de jaune » dans lequel se déroule Salammbô.[95]

On observe le même souci de conformité au modèle initial dans la foule de détails accompagnant le palai= s : c'est ainsi qu'on retrouve les jardins suspendus, les écuries, la ménagerie, toutes précisions créant une impression d'exotisme raffiné. De même, l'entrée en scène d= e l'héroïne, Salomé, présente une similitude frappante avec le modè= le flaubertien. Dans le texte de Laforgue comme dans l'Hérodias de Flaubert, la jeune fille ne paraît qu'à la fin, et son arrivée n'est signalée que par une phrase remarquable de brièveté, tranchant avec le reste du récit. Par la suite, l'héroïne laforguienne hérite des principaux attributs de ses célèbres aînées ; alors que Salammbô a « la chevelure poudrée de sable violet », Salomé a, quant à elle, « les= cheveux saupoudrés de pollens inconnus ». De même, elle possède, tout comme la prêtresse de Tanit, « une pe= tite lyre noire » ; enfin, « le carré de soie gorge= de pigeon » de la Salomé flaubertienne devient, par une curi= euse métamorphose, « la roue de paon nain » servant= de brassière à l'avatar laforguien de ce personnage.[96] On peut en= core souligner que la fidélité de Laforgue vis-à-vis de son intertexte s'étend au déroulement du récit, puisque l'= on retrouve de part et d'autre le même schéma narratif. Ainsi, on assiste à la mise en place du festin, au cours duquel Salomé apparaît ; l'auteur décrit alors son costume, sa grande beauté, avant de rapporter son chant puis son discours ; ce dernier provoque dans l'assemblée la gêne et la stupéfaction ; = puis Salomé fait au Tétrarque sa requête, et on lui apporte = sur un plateau la tête de Jean-Baptiste. Enfin, on peut soulever une dernière analogie entre les différents textes quant à = la mort de Salomé / Salammbô ; Flaubert conclut ainsi Salammb&oci= rc; :

« Ainsi mourut la fille d'Hamilcar, pour avoir touché au manteau de Tanit. »

De même, Laforgue donne à sa Moralité cet épilogue :

« Ainsi connut le trépas, Salomé, du moins celle des îles blanches ésotériques, (...) pour a= voir voulu vivre dans le factice et non à la bonne franquette, à l'instar de chacun de nous. »[97]=

Plus qu'aux références bibliques, c'est donc bie= n au texte de Flaubert qu'emprunté le plus manifestement la Salomé de Laforgue. On peut également la rapprocher de la toile baptisée L'Apparition, de Gustave Moreau, amplement commentée par Huysmans dans A Rebours, et qui= met en relief le caractère profondément décadent du personnage. Cette synthèse du mythe fin de siècle de la femme fatale n'est pourtant pas sans revêtir, chez Laforgue, une rée= lle originalité. De fait, chez notre auteur, Salomé s'empare du premier rôle, réservé traditionnellement à Hérodias ; cette dernière, mère de Salomé selon= la Bible et héroïne éponyme chez Flaubert, n'apparaît jamais dans la Moralité. Ainsi, Salomé acquiert une véritable indépendance ; elle n'est plus l'instrument dont Hérodias se sert pour accomplir ses sombres projets, mais devient la femme fatale qui, de manière libre et autonome, commandite l'assassi= nat de Saint Jean-Baptiste. En devenant coupable consciente et responsable, elle accède au statut d'héroïne éponyme pour la première fois dans l'histoire de la littérature. Grâce à Laforgue, elle obtient l'importance et la profondeur qui sied &agr= ave; tout personnage mythologique et prend sa place au sein du panthéon f= in de siècle.

Ainsi, notre poète apporte une contribution d'importanc= e au mythe de la femme fatale, dont il dresse deux portraits complémentai= res à travers Salomé = et Le Miracle des roses. De mêm= e, il rend un somptueux hommage à Hamlet, mythe décadent par excellence, et figure d'élection, d'identification même de Laforgue.

 

 

3) Le mythe de Hamlet : en quoi a-t-on encore affaire au personnage de Shakespeare ?

 

 

Hamlet, tout comme Salomé, est un mythe emblémat= ique du XIXème siècle finissant. Déjà, Baudelaire en faisait l'une de ses « âmes sœurs », voyan= t en lui un reflet de la condition poétique. Dans son article The Hamlet myth, Rosette Lamond me= t en évidence l'importance du mythe de Hamlet au sein de la poésie baudelairienne. De fait, la sombre figure du Prince de Danemark est explicitement évoquée dans La Béatrice, où l'on trouve ces vers :

« Contemplons à loisir cette caricature

Et cette ombre d'Hamlet imitant la posture

Le regard indécis et les cheveux au vent »[98]

De plus, Rosette Lamond rappelle que, pour Mallarmé aussi :

« Hamlet is the hero par excellence, a prototype of modem intellectual. »[99]

Ainsi, Laforgue s'inscrit dans une tradition littéraire= et artistique déjà bien affirmée ; néanmoins, dans aucune oeuvre comme dans celle de notre poète, le mythe de Hamlet n'= est à ce point récurrent, pour ne pas dire obsédant.

Il connaît d'abord de nombreuses occurrences dans les Premiers poèmes. Ainsi, Excuse macabre témoigne de = la place déjà centrale de cette figure moderne dans la réflexion poétique de Laforgue. D'emblée, ce poè= ;me est dédié :

« à Hamlet, Prince de Danemark. »=

De plus, la longue réflexion sur le crâne d'une morte, qui constitue l'argument de cette pièce, n'est pas sans rappe= ler la fameuse scène du cimetière dans le drame de Shakespeare, où le crâne du bouffon Yorick amène le Prince à considérer la vanité de toute chose. Notre poète repre= nd d'ailleurs la célèbre tirade :

« Vanité , vanité , tout n'est que vanité »

 Qui devient chez= lui :

« Et puisqu'en fin de compte, il n'est rien ici-bas

Qui ne soit vanité ... »[100]

Cette formule devient le leitmotiv de Laforgue dans ce premier volet des oeuvres poétiques, puisqu'elle revient dans Berceuse et dans Soir de Carnaval ; de même, l’évocation d'un crâne est encore l'argument du poème, A un crâne qui n'avait plus sa mâchoire supérieu= re.

L'obsession dont fait l'objet le mythe d'Hamlet se confirme da= ns Les Complaintes ; dès les Préludes autobiographiques,= on retrouve en effet le refrain « Vanité, vanité vous dis-je ! » Peu à peu, des personnages secondaires apparaissent, à l'exemple des fossoyeurs de la Complainte de l'oubli des morts, ou encore d'Ophélie qui fait son apparition dans un poème de L'Imitation de Notre-Dame la Lune, St&eacut= e;rilité. Mais c'est avec Des Fleurs de bonne volonté que l'on constate l'amplification la plus significative = de ce mythe, qui concurrence à lui seul les divers autres thèmes. Ainsi, Yorick apparaît sous les traits du « fin jongleur » de Rigueur &a= grave; nulle autre pareille ; quant à l'idée récurrente de « Sex Nausea », partagée par Laforgue, elle est exprimée dans Avant dernier = mot :

« La F= emme ?

- J'en sors

La mort

Dans l'âme. »[101]

A cela s'ajoutent des images plus diffuses, comme cette jeune pensionnaire qui, à l'instar d'Ophélie, se précipite d= ans un fleuve dans Dimanche XVI. La= forgue procède encore au renforcement du mythe d'Hamlet dans Des Fleurs de bonne volonté= et Derniers vers au moyen d'épigraphes, qui sont autant de citations en anglais du Hamlet de Shakespeare ; ces dernières, outre leur rôle d'amplification, infléchisse= nt également le sens général du poème en regard de notre mythe. Après un recueil dédié à la Lune, = Laforgue en compose un autre qu'il place sous l'égide du Prince Danois, dans toute sa dimension décadente et complexe.

Ainsi, Des Fleurs de b= onne volonté ne comptent pas moins de onze épigraphes, et l'on= en trouve encore trois dans les Dernie= rs vers. Or, on peut remarquer que ces citations, qui donnent le ton &agra= ve; certains poèmes, ne sont pas sans rapport. On peut de fait constater= une certaine continuité, puisque ces épigraphes ne font appel qu'à quatre grands épisodes du drame de Shakespeare.

Ainsi, le premier ensemble de cinq épigraphes concerne l'acte III, scène deux, du vers 119 au vers144, soit le dialogue dans lequel Hamlet invite instamment Ophélie à ne se jamais marier= , et à rechercher au plus vite la retraite d'un couvent plutôt que = de risquer d'enfanter des pécheurs tel que lui. Laforgue cite d'emblée cet épisode comme dédicace de son recueil des= Fleurs de bonne volonté, pu= is le reprend dans le poème XL, Pe= tites misères d'automne ; il s'attache alors à l'auto-accusation à laquelle se livre Hamlet :

« I could accuse me of such things, that it were better, my mother had not borne me. » =

De même, dans son poème, Laforgue évoque sa fuite devant une jeune fille avenante, insistant ainsi sur l'idée qu= 'il vaut mieux fuir l'autre sexe, se retirer dans un quelconque couvent, plutôt que de risquer de donner naissance à de futurs pécheurs. Le même passage est repris presque textuellement dans les Derniers vers, comme épigraphe au poème XII, où se trouvent évoqués furtivement le décor sombre d'Elseneur, ainsi = que les portraits furtifs d'Hamlet et Ophélie, sans cesse interrompus pa= r le leitmotiv :

« Oh, dans un couvent, dans un couvent, un couvent = dans ma ville natale ... »[102]

On le voit, cet épisode du couvent est réellement obsédant pour Laforgue, qui, de nouveau, prend pour épigraphe= de Romance, poème VIII des Fleurs de bonne volonté, l'injonction fameuse « To a nunnery, go. » Au sein de= ce premier ensemble, on retrouve cette formule à trois reprises ; &agra= ve; chaque fois, elle annonce un poème développant le thèm= e de Sex Nausea, de pureté que la femme ne doit pas altérer et finalement de folie latente.

Quant à la dernière épigraphe, elle met l'accent sur la coquetterie des femmes, que Hamlet réprouve comme sacrilège. Ainsi= , la citation

« I have heard of your pain= ting too, well enough ... »[103]

que l'on trouve en III 1), vers 137 à 143 chez Shakespe= are donne le thème de l'argumentation développée par Lafor= gue dans Dimanches XXXIV, où= il reprend les mêmes accusations que Hamlet, dans des termes néanmoins beaucoup plus misogynes.

Le premier ensemble d'épigraphes, qui fait donc référence à la première scène de l'acte = III, est dominé par l'image de Sex Nausea que Laforgue et Hamlet ont en commun. On peut en outre noter, chez l'un comme chez l'autre, une volonté de rendre leurs propos incohérents. Enfin, ils présentent encore la même vision ambivalente de la femme, tantôt pure et chaste, tantôt Péché incarné= ;.

Le deuxième ensemble regroupe quatre citations appartenant à la scène deux du troisième acte, des vers 97 à 110 et 136 -137 ; il s'agit des propos plaisants échangés par Hamlet et Ophélie quelqu= es minutes avant le début de la pièce piège, arrang&eacut= e;e par Hamlet pour confondre l'oncle félon. La femme est de nouveau au coeur des préoccupations de notre poète, comme le prouve l'épigraphe D'Aquarelle en c= inq minutes, poème VII des F= leurs de bonne volonté. En effet, Hamlet y affirme dans un style lapid= aire que l'amour d'une femme est la brièveté même, annonçant le thème du poème de Laforgue : la fin d'une idylle, figurée métaphoriquement par l'évocation d'un orage qui éclate.

Le ton devient ensuite plus léger et badin, à travers les deux citations formant les épigraphes de Ballade et de Dimanches XXVIII ; de fait, ces dernières retracent le comportement mutin et grivois d'Hamlet envers Ophélie. Notre poète s'applique à reproduire le même style dans ses poèmes, comme en témoigne ce passage de Fifre, dernière pièce à comporter une épigraphe issue de l'acte trois, scène deux :

« Vous= me dites avoir

Le culte du devoi= r ?

Et moi donc ! ven= ez voir... »[104]

Dans l'épigraphe comme dans les poésies, le ton devient plus gai, plus allègre, plus plaisant ; même les titres illustrent cette volonté de détente : « ballade », « fifre » sont des mots à connotation légère et joyeuse, qui reproduisent à merveille les propos osés que tient Hamlet dans l'épigraphe.

Le troisième grand ensemble, quant à lui, fait intervenir une tierce personne, Polonius, tout en empruntant ses citations à l'acte deux, scène deux, vers 118 à 121 et 179 &agra= ve; 182. Il s'agit précisément du passage où Hamlet s'empl= oie à tromper Polonius, en chaussant le masque de la folie. Maniaque, poème IV des Fleu= rs de bonne volonté et Dimanches X= VI ont pour épigraphes les deux passages les plus manifestes où = le prince passe réellement pour un dément aux yeux de Polonius, grâce à un masque parfait. Avec le même souci d'exactitu= de, Laforgue reproduit dans ses poèmes les propos décousus du Pri= nce, et retranscrit, dans un style tourmenté, renonciation de sa folie sérieuse. Cette fois encore, le titre Maniaque, en employant un terme de psychiatrie, fait ouvertement référence au thème majeur de la folie.

La dernière épigraphe de cet ensemble constitue la dédicace au recueil de= s Derniers vers ; elle revêt d= e ce fait un statut à part, puisqu'elle n'exerce pas d'influence sur un poème particulier, mais au contraire sur un recueil entier. De plus, nous avons cette fois affaire à une citation double, comportant d'une part la lettre d'amour envoyée par Hamlet à Ophélie, et que Polonius cite une première fois devant le roi et la reine, aux v= ers 118 à 121. Laforgue s'attribue ces propos, puisqu'il les signe de ses propres initiales J.L. Il annonce ainsi un second recueil dédi&eacut= e; à Hamlet, avec cette fois une identification plus forte du poè= ;te lui-même à son personnage. La seconde dédicace du recueil est constituée d'un long extrait de l'acte deux, scène première, dans lequel Ophélie relate le comportement insensé qu'a le Prince en sa présence, et qui constitue selon Polonius « The very extasy of love. »[105] Le masque de la folie est toujours présent, à son plus haut niveau de perfection.

Enfin, la dernière épigraphe, qui a sa source da= ns la scène trois de l'acte I, se compose des recommandations de Laërte à sa soeur, qui doit rester prudente et chaste ; cela n'= est pas sans rappeler les conseils prodigués par Hamlet en personne dans= la première scène de l'acte trois. Ici ils concernent Dimanches XLIV, poème des Fleurs de bonne volonté o&u= grave; Laforgue développe l'ambiguïté femme / lune. De mê= me, l'astre nocturne est présent dans les propos de Laërte : <= /o:p>

« The chariest maid is prodigal enough

If she unmask her beauty to the moon. »[106]

Ainsi, on voit que les Fleurs de bonne volonté et les = Derniers Vers apportent une importante contribution au mythe d'Hamlet ; Laforgue= retranscrit dans ses poésies les passages du drame de Shakespeare qui l'ont le p= lus marqué, tout en observant une certaine fidélité au modèle initial. Les rapports du Prince avec les femmes, sa folie intermittente et l'affirmation très nette de la Sex Nausea sont les éléments les plus clairement repris. De plus, l'analyse laforguienne témoigne d'une vision pertinente du Grand Théâtre du Monde, tel que le concevait le dramaturge anglais. Comme le remarque Albert Sonnenfeld dans son article Hamlet the German and Laforgue,

« Without exception these selection portray Hamlet as a playful fool, hiding his own profound melanch= oly behind a mask of contrived, if not irrational, gaiety. »[107]

Hamlet s'avance masqué, joue le fou devant Polonius et Ophélie et cache ses sentiments profonds sous un extérieur enjoué et insensé.

Il convient encore de remarquer que dans douze épigraph= es sur quatorze, Hamlet a la parole, tant en soliloques qu'en dialogues avec Ophélie ou Polonius ; sa présence se trouve renforcée = par cette importance élocutoire, que le héros conserve chez Lafor= gue. C'est ainsi que notre poète applique le même procéd&eac= ute; à un texte en prose, qui perpétue le mythe d'Hamlet sous un j= our plus décadent encore.

Deux textes en prose viennent= se superposer aux oeuvres poétiques, tentant d'exorciser une fois de pl= us le fantôme obsédant d'Hamlet. Le premier, A propos de Hamlet, est une très courte nouvelle inspirée du voyage que fit Laforgue à Elseneur, le premier janvier 1886. Il mêle à des souvenirs réels une discuss= ion fictive avec « l'infortuné prince, notre maître à tous » comme s'il le rencontrait en personne. Notre poète évoque alors les villes d'Europe, et le succès q= u'y connaît le mythe d'Hamlet. Mais, si c'est bien le personnage shakespearien qui obsède Laforgue au point de créer cette hallucination, il n'y a cependant guère de références = au texte dramatique d'origine. Tel n'est pas le cas de la Moralité légendaire intitulée Hamlet, ou les suites de la piété filiale, datant de 1885 mais qui a été remodelée après le voyage à Elseneur. De fait, l'intertextualité y est des plus riches, présentant d'abord de nombreux emprunts à Shakespeare lui-même. Ainsi, le portrait de Hamlet, tout de noir vêtu et portant l'épée, est assez conforme à l'image immortalisée par l'illustre dramaturge ; de plus, il est fait à plusieurs reprises allusion à Fortimbras, à Laërtes, autant de personnages témoignant d'une certai= ne fidélité à la pièce initiale. Laforgue observe = en outre les données de base du drame : quand s'ouvre la nouvelle, Haml= et père vient d'être assassiné en l'état de péché mortel, de même que la mère est déjà « prostituée » selon les di= res du prince. De là découle chez le Hamlet laforguien la fameuse= Sex Nausea, puisqu'il affirme que le crime de sa mère reste :<= /o:p>

« une vision qui m= 'a saccagé la femme ... »[108]

Notre auteur fait encore référence aux grands épisodes tragiques de la pièce, à savoir la mort d'Ophélie, celle de Polonius, enfin la pièce piège qui doit démasquer l'oncle coupab= le ; mais ici, Le Meurtre de Gonzague est écrit par Hamlet lui-même. Il conserve le cadre de Vienne, et = de nombreux autres détails, ainsi que l'efficacité d'une telle représentation, qui, chez Laforgue comme chez Shakespeare, démasque l'oncle criminel qui se trahit. Nous retrouvons encore chez notre auteur la célèbre scène du cimetière, dans laquelle Hamlet apprend des fossoyeurs les divers bruits qui courent &agrav= e; son propos ; et le prince de philosopher sur la vanité de toute chos= e, en considérant avec mélancolie le crâne du bouffon Yori= ck. Enfin, Laforgue reste fidèle à son modèle pour le dénouement de sa Moralité, puisqu'il fait tuer le prince par Laërte, soucieux de venger les vies de sa soeur et de son père.=

Ainsi, on peut donc relever c= hez notre auteur une conformité manifeste à l'original immortalisé par Shakespeare. Cette impression se trouve d'ailleurs renforcée par des citations fameuses, telles que « Words , words , words » renvoyant à la scène deux de l'acte deux, vers 187, ou encore « Alas , poor Yorick » que = l'on trouve à l'acte cinq, scène première, vers 157.[109] Laforgue pousse plus loin la reprise en reproduisant dans sa Moralité certains monologues célèbres, tels le fameux « To be or not to be » qui se poursuit par une réflexion sur ce que doit être la mort : le raisonnement shakespearien rapprochant la mort du sommeil et du rêve devient chez Laforgue :

« Mourir ! C'est entendu, on meurt sans s'en apercevoir comme chaque soir on entre en sommeil (...) Mais ne plus être, ne plus y être, ne plus en être ! »[110]

Avec une certaine profondeur philosophique, Laforgue exploite les différents sens que recouvre l'anglais, et analyse les propos d'Hamlet tout en les reprenant à pe= ine modifiés. Enfin, si la pièce de Shakespeare appartient au cyc= le des tragédies de la vengeance, Laforgue reproduit le dilemme dans le= quel le prince se retrouve prisonnier. En effet, le devoir de venger le meurtre = de son père donne l'occasion au personnage laforguien de quitter sa « tour d'ivoire » pour devenir un héros &agrav= e; part entière. Il lui faut tuer son oncle afin de se constituer un devenir. Mais il est soumis aux mêmes retards et hésitations q= ue son homonyme britannique : l'action est remise sans fin à plus tard, cependant que toute la Moralité est scandée par le leitmotiv « il faut agir. » Au départ, l'intérêt dramatique est identique dans les deux versions du m= ythe : il convient de voir quelle attitude adoptera le héros laforguien, confronté à un contexte de crise. Bien que cette Moralit&eacu= te; affiche un très net intertexte shakespearien, elle n'en est pas moins soumise au parasitage dont font l'objet, chez Laforgue, toutes les sources premières de son inspiration. Ainsi, le passage où Hamlet, po= ur se « faire la main » égorge un canari puis massacre scarabées, papillons, limaces, crapauds, grenouilles, toute= une fourmilière, des nids d'oiseaux et même des fleurs écha= ppe totalement à l'intertexte principal. Il s'agit en effet d'une reprise parodique d'un des Trois contes= de Flaubert, La Légende de Saint Julien l'Hospitalier, qui rapporte la vie d'un jeune noble prenant grand plaisir aux carnages. C'est ainsi qu'il massacre au cours de ses chasses une multitude de cervidés, d'oiseaux et de bêtes de toutes sortes.= On peut rapprocher des passages entiers de ces deux récits, et certaines phrases semblent même reprises sans retouche du texte de Flaubert, co= mme celle qui annonce le départ de Julien pour la chasse :

« Un matin d'hiver= , il partit avant le jour »

Laforgue reprend cette citati= on en ces termes :

« Un jour, Hamlet était parti de grand matin à la chasse. »[111]

Mais les allusions ne sont pas toujours aussi développées ; ainsi, le fantôme de Néron assassiné apparaît en filigranes derrière = les quelques mots en latin « Qualis ... artifex ... pereo. &raq= uo; Comme les autres Moralités, = Hamlet, ou les suites de la piété filiale collectionne donc les r= éférences culturelles, appartenant aux registres et aux époques les plus variés. De plus, de nombreuses bribes de poème de Laforgue lui-même parasitent l'intertexte, et nous verrons de fait que cette nouvelle peut s'interpréter comme un portrait de Laforgue en Hamlet. Citons à cet effet que le Roi de Thulé figure au programme des comédiens, faisant ainsi écho à La Complainte du Roi de Thulé ; de plus, on trouve dans = la Moralité une longue citation de la Complainte des crépuscules célibataires, extrait des Fleurs de bonne volonté, et= qui devient ici un couplet de la pièce écrite par Hamlet. On peut enfin relever des emprunts à Fifre (Fleurs de bonne volonté XXXIII) et à La vie qu'elles me font mener(Fleurs de bonne volonté XXXVII= ). Ainsi, on constate une double dynamique au sein de l'oeuvre laforguienne : d'une part la poésie est contaminée par des thèmes des= Moralités légendaires, et d'autre part elle parasite ces dernières. Mais le fantôme d'Ha= mlet reste une constante, dont notre poète ne parvient pas à faire totalement abstraction.

 

Nous avons donc pu constater à travers cette analyse que l'intertexte laforguien est des plus riches, des plus denses et des plus complexes ; les différents mythes interfèrent et se superpose= nt les uns aux autres de manière à créer une rhapsodie polysémique n'ayant plus qu'un lointain rapport avec le modèle initial. Dans cette nouvelle interprétation des mythes anciens ou modernes réside déjà une grande partie de l'incontesta= ble originalité de Jules Laforgue ; mais ce dernier ne saurait se conten= ter d'une oeuvre se nourrissant uniquement d'intertextes variés. Notre poète, qui a toujours affirmé sa volonté de se démarquer de ses prédécesseurs, déclare dans une lettre à sa soeur qu'il n'a « qu'un seul but : faire de l'original à tout prix. » II s'agit bel et bien d'un engagement esthétique, qui tient à la fois du défi et = du mot d'ordre. Après le traitement révélateur appliqué à l'intertexte, que nous venons d'étudier, Laforgue va plus loin ; il inaugure une mythologie personnelle, réun= issant sous l'égide de la Lune, la représentation antique de l'astre= , la figure décadente du Pierrot, et finalement un ensemble de personnages prenant à la clarté lunaire une dimension et une signification toutes nouvelles.


Chapitre troisième) Mythologie lunaire de Jules Laforgue.

 

 

« Figure-toi que je veux faire imprimer cet été (...) quelque chose comme contribution (beitrage) au cult= e de la lune, plusieurs piécettes à la Lune, un décaméron de pierrots, et sur les succédanés de= la lune pendant le jour : les perles, les phtisiques, les cygnes et les linges. »[112]=

 

 

A) Mystique et symbolique lunaire.

 

 

 

1) Mystique lunaire traditionnelle.

 

 

Nous avons déjà vu rapidement, dans la partie I = b), la fascination qu'exercé la lune sur les artistes du XIXème siècle ; mais elle occupe chez Laforgue une place de tout premier or= dre, à tel point que cela appelle une étude plus approfondie. Pour Mircea Eliade, la lune a une dimension essentiellement mystique dans l'imag= inaire collectif. Il souligne en effet que, dès les temps les plus reculés, les hommes lui ont toujours voué un culte particulie= r, l'adorant non pour elle-même mais pour ce quelle révéla= it de sacré. Source de toute fertilité, la lune est originelleme= nt liée à la femme, à la fécondité et &agra= ve; la régénération. Elle est également liée à la mort, dont elle devient la patrie dans certaines religions très anciennes. Maîtresse de toute chose et guide des morts, e= lle est encore la patronne de tous les destins. Selon Eliade, c'est parce que :

« la lune révèle à l'homme sa propre condition humaine, que dans un certain sens l'homme se regarde et se retrouve dans la lune »[113] qu'elle suscite, au cours des pages, un tel intérêt. De fait, contrairement au sol= eil, toujours égal à lui-même, la lune en vient vite à symboliser le devenir humain. Elle croît, décroît, disparaît enfin, tout comme l'homme, évoluant de la naissance à la mort. C'est ainsi que la mythologie lunaire exprime d'embl&eacu= te;e sa dualité, puisqu'elle porte en elle tant la mort que la féc= ondité.

Dans l'Antiquité, la lune reste une figure mythologique ambivalente, bien que de tout premier ordre. Elle est représent&eacu= te;e par « la déesse aux trois formes », chacune de= ces formes correspondant à une phase lunaire.

Le premier visage de la déesse lune est celui de Diane- Artémis, soeur d'Apollon, le dieu solaire. Cette divinité est d'abord la chasseresse qui sait prendre soin des jeunes animaux. Elle est encore vouée à la plus inconditionnelle chasteté, et châtie celles de ses compagnes qui n'ont pas su rester pures. Son cha= mp d'action est la terre, et on lui attribue généralement des pouvoirs en relation avec la mystique la plus ancienne ; c'est ainsi qu'elle passe pour savoir provoquer la maladie ou la mort subite chez les mortels, = mais a également le don de favoriser les accouchements et de dispenser la fécondité. Le second visage de la divinité lunaire est plus inquiétant. Il s'agit de celui d'Hécate, déesse de l'ombre, des nuits mystérieuses pendant lesquelles la lune se cache. Elle est encore la déesse des carrefours alors considér&eacut= e;s comme des lieux hantés et magiques, et accompagne toutes les pratiqu= es occultes. Son domaine de prédilection est l'Hadès, ainsi que = la terre lorsque la nuit est profonde.

Enfin, l'Antiquité gréco-latine prête enco= re à la lune le visage de Séléné, divinité céleste cette fois, et moins ennemie de l'amour que les deux figures précédentes. En effet, à l'origine, Séléné, soeur d'Hélios, n'a rien à voir = avec Diane- Artémis. Elle se laisse séduire facilement par Zeus, q= ui lui donne trois filles, puis par le dieu Pan et enfin par le beau berger Endymion, qui passe pour ne lui avoir donné pas moins de cinquante filles ! Ainsi, la mythologie gréco-latine accorde une place importa= nte au culte de la lune, dont les trois principaux attributs sont la Chasteté, le Mystère et la Fécondité.

Enfin, on peut signaler une dernière figure lunaire à laquelle Laforgue fait quelques fois allusion : il s'agit de la déesse Phénicienne Astarté, attachée à u= ne symbolique des ténèbres et de la fécondité, ain= si qu'à la mort dans une légende basée sur la descente aux Enfers. Ainsi, dans la symbolique antique, l'image de le lune reste double = et paradoxale, puisqu'elle peut signifier tant la chasteté que la fécondité, tant la vie que la mort. Toujours est-il que cette divinité fascine les hommes en reflétant leur propre conditio= n, gouvernée par la loi universelle du devenir.

Or, Laforgue reprend ces différents aspects du mythe ancien, pour le réactualiser dans ses poésies.

2) Représentation symbolique de la lune laforguienne= .

 

 

Chez Laforgue, la lune est partout. Elle participe à son décor intime, à son modernisme même et à son originalité.

Paradoxalement, un seul poème de L'Imitation de Notre-Dame la Lune, intitulé Climat, faune et flore de la lune = exploite le pittoresque de cet astre. On y trouve décrit un paysage blê= me, froid et inhospitalier, dont l'atmosphère est fixe,

« En climat de silence, écho de l'hypogée,

D'un ciel atone où nul nuag= e ne s'endort »[114]

Mais notre poète ne mêle ses élémen= ts à aucune légende, et n'introduit à aucun moment d'éléments merveilleux ; il vient, non sans lyrisme, de plant= er le décor dans lequel va évoluer son recueil lunaire : climat polaire, faune fantastique et pâle, flore immaculée ; il s'agit d'un univers de pureté et de froideur où tout semble condamné à l'immobilité. Dès lors, la lune apparaît dans toute sa dimension symbolique, au sein d'un recueil qui= lui est spécialement consacré, L'Imitation de Notre-Dame la Lune, ouvrage daté de 1885.

Dans le poème liminaire, Laforgue commence par régler ses comptes au soleil, dont il exècre la symbolique sexuelle ; il lui préfère d'entrée la lune et les pierrots, figures chastes et désincarnées. Le rapport avec la symbolique antique est maintenu, comme en témoigne l'épigraph= e du recueil :

" Ah ! Quel juillet nous avons passé

Par arnica silent= ia lunae ! "[115]=

Le second vers, en latin, est emprunté au Chant II de l'Enéide, vers 225, évoquant le moment où la phalange argienne s'apprête à aborder le rivage ennemi « par les silences complices d= e la lune ». L'astre a donc gardé chez Laforgue son pouvoir d'action sur les destinées, favorisant certains hommes, en perdant d'autres. Elle peut se révéler cruelle et dangereuse comme do= uce et consolatrice. Enfin, notre poète lui conserve les trois grandes valeurs qui lui sont attachées dans l'Antiquité à Diane-Artémis, à savoir la chasteté, la pureté = et la stérilité.

La chasteté, opposée à l'image de débauche liée au soleil, est celle des vestales vouées= au culte de Diane. La pureté, quant à elle, apparaît &agra= ve; travers des personnages lunaires comme le pierrot, et dans le paysage lunai= re en lui-même, où domine une blancheur cristalline. C'est également une pureté glacée, où le froid fige t= out dans une pâle clarté. Enfin, la valeur intrinsèque de la lune laforguienne est la stérilité. A ce sujet, les titres so= nt éloquents ; dans La Lune est stérile, Laforgue décrit l'astre comme « un pa= pe abortif à l'amiable » qui tue les foetus et voue les femm= es à la stérilité. De même, ce thème est de nouveau développé dans Stérilité, où Ophélie représente cette fécondité anéantie,

« La remise

Sans rancune des ovules

Aux félines Ophélies,

Orphelines en folie. »[116]

Ces vers témoignent bien d'une certaine horreur de la c= hair et de la conception considérée comme une monstruosité. Ainsi Laforgue s'attache à la froideur lunaire, métaphore de = la chasteté et de la stérilité, seul cadre possible pour = des héroïnes pures. Mais il dépasse pourtant la symbolique c= lassique de la lune, afin de lui donner un caractère indiscutablement moderne= et décadent.

Laforgue instaure d'abord avec la lune une sorte de communion mystique, car il voit en elle le seul élément possible de Sal= ut. Ce rapport quasi-charnel à l'astre apparaît bien dans Petits mystères, où = il est d'abord question de fiançailles avec cette lune tant chérie :

« Me ferait-elle des avances ?

Est-ce là = le rayon qui fiance

Nos coeurs humains à son coeur frais ? »[117]

II espère être un de ces élus de la lune d= ont parle déjà Baudelaire dans le poème XXXVII du Spleen de Paris, Les bienfaits de la lune ; tout comme cette dernière était, chez Baudelaire, « la fatidique marraine de tous l= es lunatiques », Laforgue la supplie ainsi :

« Qu'a= ux hommes, je sois ton filleul ».

Il y a donc bien chez lui la volonté d'un lien direct a= vec la lune, car il voit là un moyen de transcender sa misérable condition ; dans le même poème, il la supplie encore :

« Vola= tilise-moi les moelles ».

La lune est donc bien, pour Laforgue, cet ailleurs mythique au= quel ont toujours tendu les poètes, la négation absolue de ce monde « terre-à-terre », un univers entièreme= nt poétique aux antipodes de la réalité sociale. Elle s'apparente à l'astre shakespearien diffusant le rêve et la f&= eacute;erie dans Le Songe d'une nuit d'été. Bien plus, elle est encore la porte qui permet d'accéder aux deux postulations de notre poète, vers l'inconscient d'une part, vers un inéluctable néant d'autre p= art.

La lune laforguienne entretient donc un rapport privilégié avec l'inconscient. Comme ce dernier, elle règne sur la vie nocturne ; elle est également témoin = d'un ailleurs, réplique inconnue de notre Terre comme l'inconscient l'est= de nous-même. De fait, l'aspiration de Laforgue à la lune comprend cette postulation vers l'inconscient ; dans Nobles et touchantes divagations sous la lune, on trouve la synthèse de= ces deux tendances :

« Oui,= par delà nos arts, par delà nos époques,

Et nos hérédités, tes îles de candeur,

Inconscience = ;! »[118]

Ici, Laforgue confond la lune et l'inconscience, qui forme un même domaine lointain et mystérieux, porteur d'espoir, en cela qu'il promet autre chose que la médiocrité de cette Terre. Ma= is plus sûrement encore que l'inconscient, c'est le vide, le néan= t de tout, que l'univers lunaire révèle. La symbolique s'affine au= fil de L'Imitation de Notre-Dame la Lun= e. L'astre immobile, sans couleur et sans vie, est finalement sans espoir, ce = qui provoque l'angoisse et le désespoir du poète qui s'éta= it voué à son culte. Il reconnaît la vanité de tout dans les derniers poèmes du recueil ; ainsi, la lune est défi= nie dans Les Litanies des derniers quar= tiers de la Lune comme :

« Vort= ex-nombril

Du Tout-Nihil, (.= ..)

O Chanaan<= span style=3D'font-size:12.0pt;line-height:200%;font-family:"Comic Sans MS"'>

Du bon Néant »[119]

L'astre symbolise donc clairement la nullité de toute chose, et figure le centre absent d'un Tout qui se confond avec le Né= ;ant lui-même. Afin de bien accentuer cette ressemblance, Laforgue joue à plusieurs reprises sur le fait que l'on trouve dans « lune » l'anagramme phonétique de « nule » (nulle). Aussi cet aspect de la mythologie laforguienne nous renseigne-t-il sur la philosophie profondément pessimiste, pour ne pas dire nihiliste, de notre poète. Comme le souligne Hiddleston :

« Le Tout, qui, chez les Romantiques, était = un symbole et une notion positifs, la réalité totale, est fait i= ci de négation et d'absence. »[120]

De fait, on constate chez Laforgue un profond désenchantement, même vis-à-vis de la mythologie lunair= e. Dans le dernier poème de L'I= mitation de Notre-Dame la Lune, Avis, je= vous prie, il se contente de soupirer douloureusement :

« H&ea= cute;las ! des Lunes, des Lunes ! »

L'astre lunaire n'est donc plus un facteur de Rédemptio= n, mais un reflet de la mélancolie du poète. Ce dernier n'en asp= ire pas moins à un engloutissement dans la lune, et va même jusqu'à vouer un culte à ce symbole du Néant, affichan= t de ce fait une certaine philosophie du renoncement.

 

 

 

3) Le culte rendu à la lune par Laforgue.=

 

 

Laforgue semble donc se complaire dans les images vertigineuse= s de Nihil que présente la lune ; loin de s'éloigner de ce Néant reconnu pour tel, il va au contraire lui vouer un culte particulier, empruntant à des mystiques variées.

Ainsi, il commence par adorer la lune dans une optique chrétienne. Il s'agit d'une véritable dévotion, et not= re poète apparaît comme le Grand Prêtre de la Lune, qu'il vénère comme l'Hostie dans Etats et devant laquelle il tombe en extase le plus souvent. Ce culte n'est pas entièrement simulé dans une visée littéraire ; = en effet, on sait grâce à un Agenda retrouvé que lors de s= es voyages à Tarbes, Berlin, Coblentz et Paris Laforgue aimait à contempler celle qu'il appelait communément « sa Dame Blanche », afin de lui adresser ses plus sincères dévotions. On trouve la trace de cette ferveur dans de nombreux poèmes de L'Imitation de Notre-pame la Lune, et plus particulièrement dans ceux qui sont d'emblée proposés comme des litanies. Le genre de la litanie appartient à la liturgie catholique ; il s'agit de longues prières psalmodiées en alternance par le prêtre et par = les fidèles, dans les circonstances solennelles. Chez Laforgue, deux lit= anies viennent encadrer le recueil de L'I= mitation de Notre-Dame la Lune, mimant ainsi le cycle lunaire. La Litanie des premiers quartiers de la L= une nous présente d'emblée l'astre dans toute sa dimension mystiq= ue. Notre poète rend hommage à la « Lune bénie&= nbsp;», encore représentée par la chaste figure de Diane-Artém= is, mais qui acquiert un visage définitivement catholique avec ces deux = vers :

« Rosa= ce et dôme

Des derniers psaumes »[121]

La première litanie à la Lune en fait donc une figure sainte appartenant à la liturgie catholique, toute empreinte = de mystère et prometteuse de Salut, du « Grand Pardon » qu'imploré Laforgue dans sa prière. Mais = la litanie finale est très différente : la Lune est toujours une image catholique et sacrée, puisqu'elle fait figure d' « Eucharistie », de « ciboire »= , et même de

« Miro= ir et Bible

Des Impassibles ».[122]

Mais le culte est surtout rendu à la transcendance qu'e= lle promet dans le Néant, seul infini à la portée des homm= es. Ainsi, la lune bénéficie d'abord d'un culte très proch= e de la liturgie catholique, où elle se trouve révéré= ;e comme une figure sainte, à laquelle on dédie des litanies. Ma= is elle en vient vite à figurer un culte renversé, puisque c'est= le Néant que promet la lune. La Transcendance est inversée ici := il n'y a plus d'élévation mais au contraire une chute inévitable dans l'infini du Nihil. La ferveur de Laforgue pour une t= elle religion trahit son pessimisme profond, hérité des lectures de Hartmann et Schopenhauer, qui prônent le néant de toute chose.=

Mais cette vénération dépasse, semble-t-i= l, le culte du néant que symbolise la mythologie lunaire. De fait, un deuxième versant emprunte sa dévotion au bouddhisme, dont on = a vu l'importance dans la poésie de Laforgue. En effet, dans le bouddhisme comme dans bon nombre de religions anciennes, le culte lunaire est essentiellement féminin, par opposition au culte solaire, masculin. = Dans cette optique, le dévouement et les prières du poète à la lune prennent une toute autre dimension, privilégiant ce= tte fois la symbolique féminine. Ainsi, l'ambivalence entre la femme et = la lune apparaît dans de nombreux poèmes du recueil. Dans Nuitamment par exemple, on assiste à la multiplication des formules polysémiques se rapportant a= ussi bien à une femme qu'à l'astre lunaire. On peut voir, dans l'étreinte où le poète croit se saisir de la lune, un fantasme sexuel se rapportant à une amoureuse de chair et de sang. De même, à travers sa personnification, l'astre lunaire prend les traits de la femme aimable telle que la conçoit Laforgue. Il fait allusion à son « teint », à sa « mise », à la pâleur de son visage, tout comme s'il faisait le portrait d'une belle jeune femme marquée par la lune. Ainsi, Laforgue opère un glissement de sens ; Partant d'un cul= te catholique traditionnel, il en vient bientôt à consacrer sa ferveur à la quête de la femme, à travers l'adoration d= 'un astre au visage féminin. Par la suite, on constate la confirmation de cette confusion femme / lune, sous l'égide d'un culte commun ; dans = Jeux, le poète s'exclame&nb= sp;:

« Ah != la Lune, la Lune m'obsède ! »

tout en développant le thème de son incurable solitude. On assiste donc à une première personnification de = la lune qui, sous des traits féminins, devient cette femme qui fait cruellement défaut à notre poète.

Or, à ce premier visage pâle et mélancoliq= ue se substitue un autre, qui tend à s'affirmer avec beaucoup plus d'insistance ; il s'agit du visage du Pierrot, multiple et symbolique, qui vient enrichir la mythologie lunaire de Jules Laforgue.


B) Le Pierrot, complément et amplification de la mythologie lunaire.<= o:p>

 

 

 

I) Le Pierrot lunaire selon Jules Laforgue : Clown ou Dandy= ?

 

 

Le personnage de Pierrot apparaît dès les Complaintes dans la poésie = de Laforgue, avant de devenir omniprésent dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, où il fait figure de représentant sur Terre de l'astre nocturne. Mais sa patrie de coeur reste la lune, et il se sent exilé sur cette Terre. Comme le dit not= re poète dans sa première série de Pierrots :

« Ils sont de la secte du Blême », « Blancs enfants de la lune / Et lunologues éminents » qui vont, se « sustentant d'azur ».[123]

II s'agit donc au prime abord de personnages étranges, tombés comme en disgrâce sur cette Terre qui convient bien peu à leurs aspirations. C'est pourquoi ils paraissent toujours évanescents, naïfs et inadaptés. Ils sont encore d'une grande candeur quand ils se confondent avec le personnage de la comptine Au clair de la lune, dans la Complainte de Lord Pierrot. Enfin,= ils conservent le blanc costume traditionnel, pure livrée de lune, le &l= aquo; Cône enfariné sur le noir serre-tête en soie » et la cas= aque floue, aux manches flottantes. Le Pierrot lunaire selon Laforgue est donc d'abord un personnage sans couleur ni consistance, aux contours flous, qui = semble se demander ce qu'il fait sur cette Terre. Cette situation donne lieu &agra= ve; des développements cocasses qui renouent avec la pantomime traditionnelle, opérant son grand retour au XIXème siè= cle. C'est ainsi que l'on assiste dès la Complainte de Lord Pierrot aux pantalonnades de notre personnage, c'est-à-d= ire à des bouffonneries relevant du registre farcesque. Dans la mê= me Complainte, il est encore fait allusion au « rôle &ra= quo; de Pierrot, qui semble s'inscrire dans une tradition dramatique renouant av= ec sa valeur initiale de personnage de Commedia del’Arte. Enfin, la Complainte des noces de Pierrot évoque les « dolentes pantomimes », rôle= de prédilection de notre personnage lunaire. Mais chez Laforgue, Pierro= t se détache d'un rôle trop fixe pour en venir à incarner des valeurs autonomes, chères à son auteur.

Ainsi, il se grime d'abord en clown, semblant privilégi= er le rire et la comédie. De fait, Laforgue est passionné par les clowns, à tel point qu'il déclare à son amie, la poétesse Sandâ Mahâii :

« Les clowns me paraissent arrivés à = la vraie sagesse. Je devrais être clown, j'ai manqué ma destinée. »[124]

Lecteur consciencieux de l'Impératrice d'Allemagne, not= re poète ne peut guère se permettre de « faire le clown » ; c'est donc son double lunaire, onirique et désincarné, le Pierrot, qui va hériter de la «&n= bsp;bouche clownesque » et de l'attitude incohérente. Pourtant ce portrait de l'artiste en Pierrot de comédie n'est guère convainquant, et l'on perçoit derrière la dérision certains accents désespérés qui donnent au personnage = une gravité toute particulière.

En effet, à travers ce personnage emblématique du mythe lunaire, Laforgue développe ce qu'il nomme lui-même « son cher humour de pierrot », qui fait son originalité au sein de l'époque décadente. Il cultive = dans ses poésies une constante incertitude entre le rire et les larmes, q= u'il érige au niveau de principe esthétique. En ceci, on peut croi= re qu'il se souvient des grands principes du Fumisme qui dissimule sous l'exubérance la plus délirante une profonde angoisse mé= ;taphysique et existentielle. Dès lors, Pierrot quitte le masque du clown pour revêtir celui, plus élégant, du dandy. Il devient ainsi= une sorte de Pierrot aristocratique tel que l'a peint Rouault. A rôle différent costume différent : il devient Lord Pierrot, élégant et maniéré, avec « sa face i= mberbe au cold-cream » et « un scarabée égypti= en en manière de bague ». Laforgue, dandy lui-même, ne laisse passer aucune occasion de rattacher son personnage lunaire au courant d'époque. Ainsi, les pierrots deviennent des :

« Dandys de la lune », avec « = ;un coeur plein de dandysme lunaire, en un drôle de corps. »[125]

Or, ce dandysme lunaire comporte une dimension philosophique importante aux yeux de Laforgue. Le Pierrot devient complexe, évolue= du domaine de la mythologie lunaire à celui d'emblème philosophi= que. A cet égard, on trouve dans le dernier quatrain de Pierrot V = une sorte de « manifeste pierrotique », énonçant un art de vivre, une attitude qui pourrait être une forme de dandysme poussée à sa dernière extrémité :

« Et que, chers frères, le beau rôle,

Est de vivre de b= ut en blanc

Et, dût-on = se battre les flancs,

De hausser &agrav= e; tout les épaules. »[126]

Ces propos résument bien ce premier aspect du pierrot laforguien ; il s'agit d'une élite, dont notre poète se réclame, et dont il adopte l'attitude ambivalente et rêveuse. = Il développe l'art de la pirouette ambiguë, qui traduit d'avantage l'attitude désespérée de l'homme pris au piège = de l'absurdité de l'existence qu'une volonté délibé= ;rée de faire rire. « Vivre de but en blanc » devient la formule laforguienne par excellence ; elle signifie « vivre au j= our le jour », et l'adjectif « blanc » donne à cette expression une connotation lunaire. Quant à la recommandation de « hausser à tout les épaules », elle relève d'une doctrine de l'Absurde= que Hiddieston a remarquablement cernée dans son article Espace et temps laforguiens ; selo= n lui, le monde décrit par le Pierrot est :

« Ce monde absurde où l'enchaînement de cause à effet a quelque chose de moins mécanique et de moins inévitable, un monde dont la seule loi est le hasard ou le gratuit. C'est un monde à l'envers, où Le semblable, c'est le contraire, et où les juxtapositions les plus saugrenues et insensées remplacent l'empire de la nécessité par celu= i de la liberté. »[127]

Ainsi, ce Pierrot lunaire présente une profonde dualité, une ambiguïté essentielle héritée= de la lune. Grimé en clown, il quitte la léthargie lunaire et la profonde mélancolie pour attirer l'attention par ses cabrioles ; mai= s il ne s'agit pourtant pas d'un personnage comique, loin s'en faut. Il sait se montrer sous le jour grave du dandy, et devenir le pessimiste dépositaire d'une philosophie de l'absurde. Dès lors, le masq= ue de dandy vivant dans le dilettantisme ne suffit plus pour expliquer les contradictions profondes du personnage. C'est pourquoi nous allons à présent évoluer vers l'analyse d'un Pierrot plus cynique, notamment dans son rapport aux femmes.

 

 

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2) Pierrot Fumiste. Bouddha cynique.

 

 

Nous venons de voir un Pierrot masqué, ne prenant la pa= role que pour énoncer un mot d'ordre, édicter le mode de vie que doivent suivre tous ceux qui, comme Laforgue, se réclament « de la secte du Blême ». Cependant, ce personn= age accède à une parole plus personnelle à partir du moment où il est en présence de la femme. Or, dans ce contexte, il r= ompt d'emblée avec l'amoureux transi de Colombine de la tradition. Au contraire, chez Laforgue, le poète n'est pas dupe de la femme ; il reconnaît en elle un être redoutable, attirant mais maléfique. Il prend donc le parti de rester un éternel célibataire, que la femme obsède mais qu'il ne peut se résoudre à aimer. De cette attitude naît la frustration, que Pierrot traduit en violence verbale à l'égard de la femme= ; il fait preuve d'un cynisme incisif et d'une cruauté parfaitement gratuite, dès Autre Complain= te de Lord Pierrot, où il affiche un nouvel aspect dominé par l'humour noir. Ce poème se présente sous la forme d'un dialog= ue entre le poète et sa jeune épouse. Or, on constate d'emblée une distance ironique par rapport à l'amour, ce qui a pour conséquence un perpétuel décalage entre les élans sincères, pleins de passion et de candeur de la jeune femme, et les réponses brèves et mordantes de Pierrot. Ainsi, l'on obtient ce genre de contrastes :

« Et s= i ce cri lui part : Dieu de Dieu, que je t'aime !

— Dieu reconnaîtra les siens. »[128]

Les plaintes et les protestations de fidélité n'obtiennent pas de meilleur succès. Cela aboutit à un dialog= ue de sourd, où l'absurde triomphe en maître, accentuant la dégradation de l'amour. La femme est ici victime des propos sordides= de Pierrot, à tel point qu'elle finit par en mourir, au grand étonnement de son cruel époux. Mais ce dernier ne tarde pas à retrouver sa superbe indifférence.

On retrouve le même cynisme, dont la femme fait les frai= s, dans Pierrot Fumiste, piè= ;ce de 1882, « plus noire que les Corbeaux de Henry Becque », selon l'avis de notre poè= te. Le thème en est simple : Pierrot, « poète tr&egrav= e;s lyrique et boursier, trente ans », épouse Colombinette, « ingénue, dix-neuf ans. »[129] La noce est d'abord troublée par l'attitude exubérante et scandaleuse de Pierrot,= qui fait des acrobaties, crie « cocorico ! » et multiplie= les canulars grotesques dignes du milieu Hydropathe. Mais le nœud dramatiq= ue de la pièce réside dans la nuit de noces : le suspense est entretenu jusqu'à la fin, mais il ne se passe finalement rien, et Colombinette est toujours vierge au matin.

La jeune fille se montre d'abord satisfaite, attribuant ce ret= ard au respect que son époux a pour elle. Mais le temps passe, et Pierrot reste chaste, n'ayant pour Colombinette qu'une tendresse toute paternelle. = Au fil des jours, il s'expose à l'agacement grandissant de la jeune épouse, ainsi qu'à l'inquiétude de toute la famille, q= ui aboutit pour finir à un procès en séparation mettant en avant la présumée impuissance de Pierrot. Or, les dernières lignes de cette pièce procèdent d'un retournement total de situation, puisque Laforgue annonce avec cruaut&eacut= e; et cynisme :

« II usa de sa dernière nuit de mari, l'éreinta d'amour comme un taureau, puis au matin, sifflotant comme = si rien ne se fût passé, il fit ses malles et partit pour le Caire »

Il  jette mê= ;me ces propos à Colombinette en guise d'adieu :<= /p>

« Te voilà veuve irremariable ! »[130]

Le dénouement de cette histoire semble même causer à Pierrot un certain plaisir, comme s'il était satisfait du b= on tour qu'il a joué à la femme. Ainsi, à travers la Complainte comme à travers la pièce, on assiste à l'émergence d'un Pierrot d'un genre nouveau, n'ayant plus rien &agra= ve; voir avec le doux rêveur lunaire se contentant de soupirer sans espoir sous les fenêtres d'une inaccessible Colombine. Au contraire, Laforgue lui offre l'occasion de prendre sa revanche, et de prendre la femme à son propre piège. Cette fois, c'est elle qui sera bernée, alo= rs que Pierrot s'en tirera à bon compte ; car ce qu'il refuse surtout, c'est cette femme au service des lois supérieures de l'espèce= et de la reproduction, et ses propos trahissent bien l'horreur où il ti= ent la conception. Ce phénomène, courant chez les héros décadents (on se souviendra, par exemple, de Des Esseintes dans le r= oman de Huysmans A rebours) peut également rappeler la sagesse bouddhique, que Laforgue tient en haute estime. De fait, le traité sur le bouddhisme de Henri Arvon nous app= rend qu'à l'âge de seize ans, le jeune prince, futur Bouddha, obtie= nt la main de sa cousine, qui peu de temps après lui donne un fils. Malgré cela, le Bouddha n'aura de cesse de repousser les femmes, son épouse comprise, afin de se maintenir loin du « fleuve des passions ». Dans son enseignement, il édicté que la pire des fautes, pour un mouni, est d'avoir des rapports avec une femme. En= fin, il n'admet que longtemps après et à contre-coeur son épouse au sein de sa communauté, car pour lui l'arrivé= e de la femme signifie la fin de la chasteté, de la pureté et de la sérénité nécessaires à la vraie foi. La doctrine de Bouddha est donc très sévère à rencontre des femmes, accusées de ruiner la foi des hommes en leur i= mposant des rapports charnels.

Or, ce sont ces propos issus du bouddhisme que Pierrot applique à la lettre dans ses rapports à la femme. Tel un prêtre dévoué à la parole du maître, il reste délibérément vierge et repousse toute figure féminine par des paroles d'une rare cruauté. Afin de s'en libérer, il joue la comédie de l'insensibilité, fait étalage de son impuissance notoire avant de répudier celle qui resterait malgré tout en bonne et due forme. Mais chez Laforgue on p= eut en outre soupçonner Pierrot d'un certain sadisme ; certes il repouss= e la femme pour sauver son intégrité et pour ne pas s'abaisser à des rapports charnels, mais son jeu relève aussi pour une b= onne part d'un divertissement cruel, dont notre personnage tire une égoïste satisfaction. Ainsi, ces deux exemples révèlent la face sombre du Pierrot, moins victime que bourrea= u, réglant définitivement ses comptes avec la femme. Sous le mas= que de Bouddha, il reste une image chaste et stérile comme la lune, sa déesse tutélaire ; mais son attitude dominante procède d'un fumisme et d'un cynisme absolu, puisqu'il tolère la femme &agra= ve; ses côtés pour mieux la chasser, tout en lui faisant bien sent= ir à quel point ce qu'elle représente lui est odieux :

« T'oc= cupe pas, sois ton Regard,

Et sois l'â= me qui s'exécute ;

Tu fournis la matière brute,

Je me charge de l'oeuvre d'art. »[131]

Le fumisme de Pierrot comporte donc une nette tendance à= ; la misogynie, qui n'est pas sans rappeler la Sex Nausea d'Hamlet. Or, ne peut-= on voir dans ce personnage indécis, qui se conduit en insensé et préfère fuir la femme plutôt que l'affronter, un concur= rent direct du héros lunaire qu'est Pierrot ?

 

 

 

 

 

 

3) Pierrot, rival d'Hamlet.

 

 

 

Il est fréquent, chez Laforgue, que des mythologies interfèrent entre elles et se mêlent les unes aux autres. C'est aussi le cas pour la mythologie lunaire qui voit surgir à côté de la pâle figure de Pierrot le sombre visage d'Ham= let. Laforgue souligne en effet les similitudes unissant ses personnages à priori antagonistes.

Il s'agit d'abord de deux personnages dramatiques, fictifs, et acteurs principaux d'un drame qui s'organise autour d'eux. Ce sont encore d= es personnages éponymes, présents dans la plus grande partie de l'oeuvre où ils interviennent. Très lucides l'un comme l'autr= e, ils ont à coeur de démasquer la réalité, qui consiste à démasquer le meurtrier du père pour Hamlet,= et à voir la femme telle qu'elle est vraiment pour Pierrot.

Cette première analogie est encore renforcée par Laforgue, qui fait de ses deux héros des hommes de lettres, des arti= stes quelque peu fantasques ; Pierrot devient ainsi un « poète très lyrique », et Hamlet un auteur dramatique. Le souci = de similitude est poussé jusqu'à influencer l'aspect extérieur des deux personnages : l'un est un dandy accompli, dont le portrait figure au mur de la chambre, l'autre est sa réplique en bla= nc, le « dandy lunaire ». Seules les couleurs des casaques sont antithétiques, l'une noire, l'autre d'un blanc immaculé. Mais la valeur symbolique reste inchangée, puisqu'il s'agit dans les deux cas de non-couleurs, témoins d'un trouble extrême de la personnalité. De fait, Hamlet et Pierrot présentent le m&ecir= c;me comportement névrosé, et les mêmes symptômes. Ils jouent tous deux la folie, mais une folie sérieuse qui induit en err= eur tout l'entourage. Pierrot, comme le Prince de Danemark, s'applique à avoir le comportement le plus insensé possible devant les invit&eacu= te;s de la noce, dans Pierrot Fumiste. Ses bonds désordonnés, ses éclats de rire incontrôlés, ses plaisanteries d'un goût douteux le clas= sent sans hésitation parmi les déments. Ce comportement fait d'ailleurs, chez nos deux originaux, figure de refuge ; ils craignent en ef= fet d'affronter le réel et de devoir agir en conséquence.

Hamlet et Pierrot sont, chez Laforgue, emblématiques d'= une incurable incapacité à agir. L'action en elle-même paraît intolérable pour ceux qui se proposaient de vivre tranquilles et « de but en blanc », selon l'éthique aristocratique remise au goût du jour par le dandysm= e.

Enfin, ce sont encore deux personnages minés de contradictions qui les réduisent à vivre dans l'expectative, l'hésitation et les tergiversations sans fin. L'attitude de Pierrot = dans la pièce de Laforgue est significative à cet égard ; l= es didascalies nous renseignent sur le déroulement de la nuit de noces, quand il est sur le point de mettre un terme à la virginité de Colombinette : « Pierrot va la posséder, et soudain... » il s'arrête net devant l'action, ne peut le m= ener à son terme, et retarde autant que possible le moment de possé= ;der sa femme, tout comme Hamlet remet sans cesse à plus tard la vengeance qu'il doit à son père. Chez l'un comme chez l'autre, l'immane= nce de l'action entraîne un incontrôlable mouvement de recul.

Enfin, on observe chez Hamlet et chez Pierrot une misogynie similaire et la même conception dégradante de la femme. C'est ainsi que le Hamlet laforguien réduit Ophélie à :=

« une Anglaise imbue de naissance de la philosophie égoïste de Hobbes. »

De même, Pierrot se permet ce commentaire devant la femme qu'il contemple et semblait aimer :

« Oui, divins, ces yeux ! Mais rien n'existe

Derrière != Son âme est affaire d'oculiste ! »[132]

On a bien affaire au même cynisme, à la même distance par rapport à la beauté féminine, reconnue d'emblée comme une apparence vaine et trompeuse, une enveloppe attrayante sans profondeur aucune. C'est avec un recul témoignant de= la plus profonde misogynie que Hamlet considère, chez Laforgue, la mort d'Ophélie dont il se sait responsable. De même, Pierrot tue de= ses paroles empoisonnées la femme qui l'aime, dans Autre Complainte de L= ord Pierrot, sans l'ombre d'un remord, et comme sans y songer. Il convient pour l'un comme pour l'autre de fuir la femme à tout prix, quitte à= ; la tuer indirectement si elle devient trop gênante. Et ils dissimulent la gravité de leurs actes derrière un esprit fumiste comparable, ayant à coeur d'enfouir leurs sentiments et leurs personnalité= ;s authentiques derrière un masque de dérision.

Chez Laforgue, Hamlet et Pierrot sont donc clairement frères, et introduisent la rivalité à l'intérie= ur de son oeuvre. Ils obéissent en effet à une même symbolique, et constituent des mythes voisins. Notre poète tente de résoudre la concurrence entre ses deux personnages ; ainsi, Hamlet règne sur l'une des Moralit&= eacute;s légendaires, et Pierrot est le héros d'une pièce de théâtre. De même, dans le domaine poétique, Les Fleurs de bonne volonté= sont à Hamlet ce que L'Imitation = de Notre-Dame la Lune est à Pierrot. Enfin, il arrive que nos deux mythes se superposent totalement, par le biais de figures ambiguës répondant aussi bien à l'un qu'à l'autre.

Mais si les personnages lunaires, comme Pierrot, doivent parfo= is faire face à des rivalités relevant de mythologies parallèles, il faut cependant noter que la mythologie lunaire n'en conserve pas moins une place considérable dans l'oeuvre de Laforgue, à tel point qu'elle déborde parfois du volume qui lui est consacré pour aller colorer de sa clarté onirique les autres univers mythologiques.


C) Généralisation de la mythologie lunaire.

 

 

 

1) Omniprésence de la Lune dans l'oeuvre de Laforgue= .

 

 

 

Les chapitres précédents ont montré l'importance du thème lunaire dans l'oeuvre poétique de Jules Laforgue. Même la prose n'est pas exempte de la présence plus = ou moins accentuée de la lune ; en effet, dans les Moralités légendaires, chaque nouvelle comporte au moins une scène lunaire, qui constitue de ce fait le seul point d'or= gue entre des mythes aussi différents.

Ainsi, Hamlet, ou les = suites de la piété filiale s'achève sur une scène baignée de clarté lunaire ; cette dernière accompagne d'une clarté complice la fuite d'Hamlet et de Kate, après la révélation de la pièce piège. Tout n'est que théâtre dans cette Moralité ; la lune elle-même p= rend des accents dramatiques :

« jouant, non sans succès , l'enchantement d= es nuits polaires. »[133]

On assiste ici au retournement de la lune shakespearienne du Songe d'une nuit d'été. L'enchantement est conservé, et l'astre nocturne diffuse toujours sa clarté onirique et déréalisante, mais avec une certaine froideur, qui rappelle que chez Laforgue la lune ne dispense plus la fécondité, mais au contraire voue tout ce qui l'entoure &agra= ve; une inconditionnelle stérilité. De plus, la lune est ici un a= stre de mort, puisqu'elle éclaire le cimetière où repose Ophélie et supervise la fin tragique d'Hamlet. En effet, lorsque le Prince rencontre Laërtes se recueillant sur la tombe de sa soeur, la l= une, qui connaît déjà l'issue de cette confrontation, devient « spécialement claire », tel un fantôme blafard prêt à fondre sur sa prochaine victime. Le dénouement de la Moralité voit bien, en effet, Laërtes t= uer Hamlet, qui l'a gravement offensé, avant de s'enfuir, effaré = du crime qu'il vient de commettre. Seul pèse désormais un « silence de lune », qui enveloppe dans la même clarté morbide le cadavre encore chaud d'Hamlet et les tombes de mor= ts plus anciens. La Moralité s'achève sur ce pathétique tableau dont la lune reste seul témoin. Elle fait ici figure d'élément dramatique à part entière, puisqu'elle sert à la fois d'éclairage et d'unique témoin. C'est u= ne lune en deuil, qui n'est pas sans rappeler les croyances anciennes voyant d= ans l'astre nocturne la patrie de ceux qui ont quitté la vie terrestre.<= /span>

Le Miracle des roses propose une version différente de cette mythologie lunaire. D'emblée, la lune est ici concurrencée par son rival= , le « bon soleil », qui attire une clientèle au crépuscule de sa vie. De même, les soirées sont illuminées par des myriades d'étoiles, sans que la lune ne so= it jamais mentionnée ; et c'est de nouveau le « grand soleil= de Juin » qui règne sur la procession de la fête-Dieu, épisode central de cette Moralité. De fait, les allusions à la lune sont plus subtilement dissimulées, mais cette dernière n'est pas pour autant privée de sa place d'honneur. = En effet, elle est le témoin céleste, muet et impartial, de tous= les suicides provoqués par Ruth, et c'est peut-être elle qui détient la clé de cet insondable mystère. Ici, la lune= se rapprocherait plutôt de la figure maléfique d'Hécate, q= ui règne sur toutes les pratiques occultes échappant à l'entendement humain. Elle est encore fortement liée à l'idée de mort ; en effet, les suicides des prétendants de Ru= th ont toujours lieu le soir. Si, en ce qui concerne l'amoureux parisien et le Signor Présidente de San Sébastian, Laforgue omet de faire mention de l'astre lunaire, il encadre cependant avec précision le funeste mystère de Ruth. En effet, le premier suicide d'un jeune hom= me, lors d'un séjour aux Indes :

« s'est trouvé improvisé par une nuit= de lune ».[134]

Ainsi, au départ, l'astre maléfique prési= de bien au spectacle de ce premier suicide qui en appellera beaucoup d'autres, tous aussi incompréhensibles. De même, les dernières li= gnes de cette Moralité nous apprennent que le soir même de la fête-Dieu, le jeune homme qui avait commandé à la fille= tte d'aller répandre des pétales de rosés autour de la cha= ise longue de Ruth, la délivrant ainsi des ses sanglantes hallucinations= , se donne à son tour la mort :

« sans autre témoin de l'état de son pauvre coeur que Celui qui règne dans les cieux. »[135]

Ces propos sont ambigus car Laforgue n'est pas un poète mystique ; cela nous amène à penser que plus, qu'un dieu hypothétique, le témoin céleste est cette fois encore = la lune, comme dans la Moralité précédente. Elle apparaît de fait tout aussi funeste, et son rôle consiste de nouveau à servir de témoin aux morts les plus violentes et les plus sanglantes.

Au contraire la lune reprend une place de toute première importance, signalée comme telle par son lever en prose, à travers Lohengrin . fils de Parsifa= l. La « Pleine-Lune » est d'emblée présent= e, et préside à la dégradation de la vestale Elsa ; elle peu= t de ce fait être rattachée au culte de Diane-Artémis. Le ca= dre de cette Moralité est lui aussi uniformément lunaire, avec une très nette dominante du blanc. L'action déréalisante d= e la lune donne un caractère mystérieux et enchanté à= ; la cérémonie. L'astre qui se lève ici est explicitement c= elui qui régnait sur toute L'Imit= ation de Notre-Dame la Lune, revêtant les aspects successifs d'Hostie consacrée, d'Eucharistie et de juge impartial et froid des affaires humaines.

Au coeur de la cérémonie religieuse, on remarque= la présence d'un culte rendu à Séléné, visa= ge céleste de la lune. Mais ses Vestales, « vierges, dignes d'entretenir ses mystères », rappellent plutôt le c= ulte d'Artémis, des plus sévères sur le chapitre de la chasteté. Enfin, Laforgue signale la présence d'un « confesseur d'Hécate » ; ainsi cette Moralité rassemble d'entrée les trois visages de la lune, reconnue comme grande divinité tutélaire à laquelle on rend un culte fervent.

Ce premier mouvement, qui tend à placer la lune, dans t= oute la complexité de sa symbolique, au centre de l'intrigue tend à= ; se confirmer par la suite. Ainsi l'arrivée de Lohengrin peut être interprétée comme un effet magique de l'enchantement de la Pleine-Lune, illuminant l'entrée en scène du jeune hér= os. Le premier chapitre reste jusqu'au bout baigné de lune qui enveloppe= de sa douce clarté les serments d'amour que se font Eisa et Lohengrin ; elle préside ensuite à leurs noces, qui sont toutes empreinte= s de culte lunaire. Le choeur des soprani psalmodie :

« Hypnotisez-vous devers la Lune »[136]

Celle-ci devient le témoin d'un mariage, et non plus de morts violentes. Au deuxième chapitre, il fait toujours nuit ; de fa= it, Lohengrin, fils de Parsifal présente cette particularité que le jour n'arrive jamais, et = que la lune se voit de ce fait investie du rôle du soleil ; elle guide d'abord les jeunes époux vers la villa nuptiale, et répand sur cet endroit « les féeries lunaires » dont elle seule a le secret. Elle inonde tout, contamine tout, règne sur tout : jamais l'omniprésence du lunaire n'a été aussi percept= ible que dans cette nouvelle, essentiellement nocturne, véritable manifes= te de la mythologie lunaire en prose.

Finalement, la Moralité s'achève « da= ns un cyclone de féeries lunaires »[137]. Lohengrin, emmené par son cygne vers un ailleurs mythique, abandonne une scène baignée de lune où seule demeure la malheureuse Elsa. Objet de culte rappelant celui des oeuvres poétiques, la lune = est encore ici l'élément dynamique, qui scande l'action et soulig= ne chaque rebondissement en braquant sur lui sa lumière éclatant= e. Elle crée enfin un univers à sa ressemblance, devenant la réplique parfaite, transposée à la prose, de l'astre f= étiche glorifié par Laforgue dans L= 'Imitation de Notre-Dame la Lune. Dans Sal= omé, la lune occupe de nouveau une place plus circonscrite ; son rival le soleil revient à la charge dans toute l'ampleur du « soleil de juillet » qui inonde dès les premières pages le Pa= lais Tétrarchique. De fait, le premier chapitre est essentiellement diurn= e ; le second, qui relate la visite du palais, en particulier de l'Aquarium, se= mble se situer dans un flou temporel où il ne fait clairement ni jour ni nuit. Enfin, le troisième chapitre s'accompagne de l'affirmation de = plus en plus nette d'une atmosphère nocturne et lunaire, comme tend &agra= ve; le prouver l'extrait de la Litanie = des derniers quartiers de la lune que Laforgue insère ici.

La lune est mentionnée dès l'entrée de Salomé, et semble protéger de son pâle halo cette frêle jeune fille, pour laquelle

« elle s'était saignée aux quatre veines. »[138]

La présence du lunaire explose enfin dans le chapitre I= V, qui lie une nouvelle fois à la mort l'astre nocturne ; en effet, la = lune devient alors témoin du double trépas de laokanann et de Salo= mé elle-même. L'atmosphère nocturne protège des regards indiscrets les expériences auxquelles Salomé se livre sur la tête du Saint. C'est donc Hécate, instigatrice maléfique des pratiques magiques, qui apparaît ici. Elle ne sauvera pas la princesse d'une mort certaine, et contemple de son oeil froid le spectacle funeste sur lequel Laforgue clôt sa Moralité.

Pan et la Syrinx, ou l'invent= ion de la flûte à sept tuyaux observe, nous l'avons dit, l'exigence dramatique d'unité de temps, se dérou= lant ainsi de l'aube jusques au soir. C'est donc à la fin de cette nouvel= le que la lune prend toute son ampleur. Mais elle est en fait présente, d'une manière un peu détournée, dès les premières pages, à travers les allusions à la nuit précédente :

« Inondée d'un mémorable solo de lune ».[139]

Ainsi, la Moralité est d'emblée placée so= us l'égide de l'astre lunaire. De même, il est fait allusion &agr= ave; la nuit suivante dès le milieu de la nouvelle ; de cette maniè= ;re la lune, qui ne peut être présente que le soir, est cependant évoquée au cours du récit, et en vient à encadr= er l'intrigue elle-même. Enfin elle se lève pour de bon :

« le clair de lune d'Artémis-Vigie &raq= uo;[140]

annonce que le récit touche à sa fin. Cette fois= , la lune n'assiste pas à un spectacle de mort, mais éclaire et favorise la métamorphose magique de Syrinx en roseaux, lui permettant ainsi d'échapper à Pan et de conserver sa chasteté immaculée. La Moralité se clôt sur ce triomphe lunaire,= qui laisse exploser sa lumineuse gloire devant un Pan fort dépité= :

« La lune, la voilà ! Glorieuse et palpable, rondement aveuglante, qui monte à l'horizon mélancolique et p= ur au dessus de la ligne noire des collines ! »[141]

De nouveau, l'épilogue se conclut sur un enchantement lunaire qui envahit tout. Il affirme ainsi son emprise sur la nature dans sa totalité, et crée un climat extatique auquel rien ne peut échapper.

A son tour, Pers&eacut= e;e et Andromède, ou le plus heureux des trois sacrifie à l'universalité du lunaire, qui ne fait son entrée en sc&egrav= e;ne qu'à un moment bien précis de la Moralité. La vie d'Andromède est essentiellement diurne et monotone, mais le soir, av= ec le coucher de soleil et l'avènement de la lune, annonce un changemen= t, quelque chose d'enfin nouveau ; de fait, l'apparition de la lune coïnc= ide avec l'arrivée de Persée, au chapitre III :

" Allons, silence et horizon prêts pour la mortuaire lune - quand ! Oh ! Bénis soient les dieux qui envoient, juste au mo= ment voulu, un troisième personnage. »[142]

Comme dans Lohengrin, = fils de Parsifal, l'arrivée providentielle a lieu au moment où= la lune se lève, ce qui confirme bien la fonction dramatique de l'élément lunaire, qui souligne la mise en scène et les coups de théâtre. De fait, comme Lohengrin, Persée, repoussé par Andromède :

« file dans l'enchantement du lever de lune ».[143]

De nouveau, le tableau final affiche une nette dominante macab= re, comme en témoigne le monstre massacré sur lequel pleure amèrement Andromède. Or, comme dans Pan et la Syrinx et dans Lohengrin, fils de Parsifal, la magie lunaire entre en action, ressuscite le Monstre-Dragon et le métamorphose en beau jeune homme. On peut donc constater que Laforgue rapproche la mythologie lunaire de la magie, attribu= ant à la lune un pouvoir de métamorphose. Dans Persée et Andromède, ou le plus heureux des trois= la magie lunaire apparaît dans toute sa dimension, instaurant un univers merveilleux et onirique à l'image de celui du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare.

Enfin, un dernier texte indépendant, rattaché pl= us tard par le Mercure de France à l'ensemble des Moralités légendaires, comporte des accents lunai= res incontestables ; il s'agit du conte Les deux Pigeons, une cruelle histoire d'amour. Une jeune femme, Juliette, tente de fuir l'amour de son ami Gaspard ; mais toute fuite se révèle vite illusoire, car cet homme la suit partout où elle se rend. Finalement, lors d'une ultime poursuite en pleine forêt, les protagonistes ont un terrible accident : ils tombent dans un profond fossé, n'en ressortent que très grièvement bless&eacut= e;s. Ce récit s'achève donc sur un pessimisme sans faille, qui pas= se par la résignation à un état inférieur à= la situation de départ : les personnages sont en effet liés l'un à l'autre, affreusement diminués par leur accident, et hantés par la tentation du suicide.

Or, dans cette nouvelle si noire, on ne trouve d'autres éléments mythologiques que la lune, qui accompagne les protagonistes d'un bout à l'autre de leurs tragiques destinée= s, enveloppant l'intrigue de sa clarté « vieil or &raqu= o;.

Ainsi, chez Laforgue, la lune est omniprésente, tant da= ns l'oeuvre en prose que dans les vers. Elle revêt une double symbolique, liée tantôt à la mort, aux destins sordides, tantô= ;t à la magie, à l'enchantement et à la métamorpho= se. Enfin, elle tient lieu d'élément dramatique, en soulignant une intrigue parfois un peu confuse ou trop mince. Cette universalité de= la mythologie lunaire n'est pas sans conséquence ; de fait, la plupart = des héros laforguiens se trouvent malgré eux confondus sous la même bannière, devenant à leur tour des héros lu= naires.

 

 

2) La constante lunaire chez les principaux héros laforguiens.

 

 

Il est possible de discerner dans chaque personnage des Moralités légendaires des traits lunaires plus ou moins accentués.

Nous avons déjà remarqué à quel po= int Hamlet faisait figure de Pierrot descendu de la lune, ayant troqué sa blanche casaque contre des vêtements noirs. Comme son homologue lunai= re, le prince s'agite « mais Tout le mène » ; il e= st également la victime des lois inconscientes qui lui dictent ses acti= ons. Ophélie, jeune héroïne morte chaste, fait égaleme= nt figure de personnage lunaire ; elle est en effet digne de devenir l'une des Vestales de l'astre de Pureté. Chez Laforgue, l'histoire de Hamlet. ou les suites de la piété filiale, de même que le mythe général d'Hamlet, s'inscrivent donc au sein d'une mythologie lunaire dont le héros est un Pierrot en habits noirs.

Dans Le Miracle des Ro= ses, c'est Ruth qui devient l'héroïne lunaire par excellence. Lors de son entrée en scène, elle est annoncée comme :

« un être de crépuscule. »[144]

De fait, elle appartient à ces phtisiques qui sont, pour Laforgue, des :

« succédanés de la lune pendant le jour. »

Cela la rattache explicitement à la mythologie lunaire = : la maladie vient mettre un terme à sa vie, tout comme la lune vient met= tre fin à une journée ensoleillée. Elle est déj&agr= ave; pâle et froide comme l'astre lui-même ; de plus, elle entretien= t un double rapport avec la mort qu'elle porte en elle et qu'elle propage autour d'elle, imitant en cela la lune des légendes les plus anciennes. Ruth est encore vouée à la chasteté, exprimée en ces termes par Laforgue :

« Trop pure, en effet, pour vivre, l'inviolable Ruth. »[145]

C'est un être exsangue dont le visage semble faire écho à l'astre nocturne, dont il emprunte la pâleur et = le mystère, la tristesse, la mélancolie, mêlée &agr= ave; une certaine inquiétude. Cette jeune phtisique incarne donc l'héroïne lunaire par excellence dans la mythologie laforguienn= e.

Quant aux protagonistes de Lohengrin, fils de Parsifal, ils procèdent d'une tendance double et contrad= ictoire. En effet, Eisa apparaît d'emblée toute désignée = pour incarner le personnage lunaire. Laforgue nous la présente comme une Vestale vouée au culte de l'astre nocturne. Mais elle a rompu son vo= eu de chasteté, ce qui constitue une première rupture dans son rapport à la lune : elle ne pourra se prévaloir, comme Ruth ou Ophélie, d'une aura d'immaculée pureté. De plus, &agra= ve; l'arrivée de Lohengrin, Elsa rompt définitivement avec le cul= te lunaire, et va jusqu'à affirmer lors des cérémonies :<= o:p>

« Moi, je ne crois à rien d'ici ; ma parole,= je considère leur lune comme une marâtre, une glabre idole de vieux. »[146]

De fait, l'authentique héros lunaire de cette Moralité est bien Lohengrin qui arrive en chevauchant un cygne blanc, animal lunaire par excellence qui figure déjà dans Climat, faune et flore de la Lune.= Le cygne fait de plus partie des possibles succédanées de la lune pendant le jour, au même titre que les phtisiques.

Laforgue accentue encore cette ascendance, puisqu'il nous mont= re Lohengrin renvoyer sa gracieuse monture en direction :

« de l'horizon qu'obstrué la Pleine-Lune ».

De plus, les commentaires de l'assemblée réunie = pour la dégradation d'Elsa renforcent l'identité lunaire de Loheng= rin, d'abord pris pour :

« Endymion lui-même, le petit jeune homme de Diane ».[147]

Ces propos font référence au berger Endymion, do= nt tomba amoureuse Séléné, la figure céleste de la lune. Ainsi, par cette analogie, Lohengrin fait figure de favori de la lune= .

Quant à sa fuite finale devant Elsa, elle rappelle bien entendu la fuite de Pierrot devant la femme. Nous avons donc ici une nouvel= le figure de Pierrot, qui prend les allures d'un Chevalier du Graal. L'armure blanche de Lohengrin rappelle la casaque du Pierrot, tout aussi blanche ; de même, le soir de noces de Lohengrin et Eisa présente bien des similitudes avec la nuit de noces de Pierrot et Colombinette dans Pierrot fumiste. De fait, dans la Villa-Nuptiale, Lohengrin accable la jeune fille de propos détachés, ironiques et somme toute cruels, qui ont pour effet= de la faire pleurer ; Comme Colombinette, Elsa, déçue de voir ses élans amoureux rester sans réponse, s'écrie :

« Ah ! tu ne m'aimes pas ! »[148]

La désillusion des deux figures féminines corres= pond à la fuite des deux « héros » masculins= ; Alors que Pierrot fait ses malles pour le Caire, Lohengrin abandonne sa jeu= ne épouse pour suivre son cygne lunaire :

« vers les altitudes de la Métaphysique de l'amour, aux glaciers miroirs que nulle haleine de jeune fille ne saurait t= ernir de buée pour y tracer du doigt son nom avec la date. »[149]

Ainsi, Lohengrin opère devant la femme une dérob= ade digne de Pierrot, et paraît comme ce dernier prêt à tout pour conserver sa chasteté et sa stérilité de lune.

Mais la mythologie lunaire ne tarde pas à s'exprimer de nouveau à travers des figures féminines ; ainsi , Salom&eacut= e; nous est présentée comme une proche parente de la lune, qui p= lus est, « soeur de lait de la voie lactée ». Elle= est de plus une héroïne mystérieuse et inquiétante, se livrant nuitamment à des « tripotages occultes &raqu= o; ; le lien avec Hécate est de nouveau établi, et cette dernière contamine de sa présence empoisonnée l'ensemb= le de la Moralité. Le lien avec la symbolique lunaire est en outre renforcé par le rapprochement opéré par Laforgue entre Salomé et Salammbô, prêtresse attachée au culte d= e la lune.

Avec la nymphe Syrinx, Laforgue décharge ses héroïnes lunaires de leur caractère maléfique ; il choisit au contraire de mettre l'accent sur la chasteté du personnag= e, dévouée compagne de Diane à laquelle elle adresse une longue prière. La déesse retrouve là ses attributs classiques, son goût pour la chasse et sa rudesse de coeur. Quant à Pan, il apparaît à l'inverse comme personnage anti-lunaire par excellence, qui tente de profaner le culte de la lune, ast= re partial qui a permis à Syrinx de lui échapper. Il adresse donc à Diane ces propos désabusés :

« O Diane, ta divinité me laisse froid ... »[150]

et lui représente la cruauté dont il est victime. Cependant, la représentation poétique de Pan, composant &agra= ve; la clarté de la lune, lui donne infailliblement des airs de Pierrot lunaire.

Enfin, dans Pers&eacut= e;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, le personnage lunaire e= st plus flou, moins défini. Le Monstre-Dragon rend hommage à la Lune, qu'il bénit chaque soir ; il bénéficie de plus d= e la magie lunaire, qui opère sa métamorphose, d'un monstre mort à un beau jeune homme bien vivant, en :

« inondant sa peau des enchantements du clair de lune ».

On peut donc le rattacher à la mythologie lunaire.

Ainsi, en prose comme en vers, nous avons pu constater l'universalité de la contamination de la mythologie lunaire chez Jul= es Laforgue. Ses héros lunaires sont à la fois plus humains, plus complexes, et plus ambigus aussi que les héros solaires de la mythol= ogie Antique. Tous présentent des défaillances : Hamlet a un comportement d'insensé, Ruth souffre de sanglantes hallucinations, Lohengrin, comme Pierrot, ne savent que fuir face à la femme ; Salomé présente un caractère névrosé évidant, Syrinx se veut inaccessible et, pour finir, c'est le Monstre-Dragon de Persée et Andromède qui paraît le plus sensé de tous !=

L'originalité de Laforgue consiste à présenter tous ces personnages, issus des univers mythologiques les = plus variés, sous une même coloration lunaire, qui leur donne une dimension nouvelle.

Mais son souci de surprendre va plus loin encore ; il introdui= t de fait dans ses propos une profonde et générale ironie, irréductible au seul élément lunaire. De fait, cette dérision s'exprime chez lui tant par des choix stylistiques que par = des thèses philosophiques, aboutissant ainsi à une parodie de mythologie.


IV) Originalité de Jules Laforgue : Altératio= n et renversement ironique de l'élément mythologique.

 

 

 

« A côté de toute grande oe= uvre, il y a une parodie. »

« L'humour est l'inverse de l'ironie. De même= , en effet, que l'humour est la plaisanterie cachée derrière le sérieux, l'ironie est le sérieux caché derrière= la plaisanterie. »[151]=

 

 

 

A) Altération de la mythologie : Comment, chez Lafor= gue, cette dernière en vient-elle à signifier tout autre chose que= son message initial, perdant ainsi sa signification et sa valeur intrinsèques ?

 

 

1) La mythologie comme dénonciation : critique sociopolitique de Jules Laforgue.

 

 

A l'origine, la mythologie relate une histoire sacrée q= ui a eu lieu à une époque lointaine et fabuleuse. Nous avons pu constater que, dans une certaine mesure, Laforgue se soumet à cette vocation première ; il ressuscite de fait des légendes appartenant aux mythologies gréco-latines, chrétiennes et bouddhiques, tout en participant à l'élaboration de mythes nouveaux puisant leur inspiration dans des périodes moins reculées.

Cependant, si la fonction symbolique de la mythologie est universelle, elle doit rester dans les limites d'une représentation = du monde, constituant une interprétation de la situation présente par rapport à un modèle du passé. En aucun cas elle n'= est donc autorisée à porter un jugement de valeur sur un événement ponctuel, moins encore à évoluer dans= une réalité politique ou sociale inscrite dans la société contemporaine. Or, Laforgue n'hésite pas &agra= ve; opérer ce glissement, et la valeur initiale de l'éléme= nt mythologique s'efface devant une dimension revendicatrice. La mythologie, plaquée artificiellement sur un domaine qui lui est inconnu, connaît de ce fait une première altération. Sa mission change du tout au tout : elle n'a plus de valeur explicative mais dénonciatrice et critique.

Il est à noter que, dès les poésies, les personnages mythologiques sont porteurs de revendications latentes. Le plus= bel exemple, dans les Premiers po&egrav= e;mes, est un « tableau parisien » dans la lignée baudelairienne, sans titre, et simplement introduit par cette épigra= phe :

« La société peut se diviser en gens = qui ont plus de dîners que d'appétits et en gens qui ont plus d'appétits que de dîners. »[152]

Ce poème traitera donc des inégalités révoltantes que l'on trouve dans les grandes villes, entre le faste = des plus riches et la détresse noire des plus pauvres. Laforgue évoque ainsi les miséreux que l'on peut rencontrer dans les quartiers déshérités, les « filles mères », les « béquillards mendiants&nb= sp;», les « gueux aux pieds bleuis par les morsures des bises », les « petits vieux cassés aux jambes grelottantes », bref tous les exclus du Paris dynamique et bourgeois. Il s'agit d'une véritable dénonciation des problèmes sociaux de l'époque, auxquels Laforgue n'est pas insensible ; il développe de nouveau ce thème dans les Complaintes. Il est vrai que la pl= upart des revendications de ce recueil sont adressées à la femme trompeuse et cruelle ; cependant, la critique politique et sociale y trouve= sa place. Ainsi, la Complainte des com= ices agricoles renvoie une vision amère de la vie des campagnes, qui tient plus de la servitude que de la noble tâche chantée par d= es générations de Romantiques. De même, la Complainte de la ville de Paris re= prend le thème des inégalités flagrantes de la capitale, où le pauvre n'a pas sa place et se voit contraint à dispara&= icirc;tre purement et simplement.

Or, une image mythologique s'impose, qui réunit sous une égide commune tous les miséreux des villes et des campagnes, celle de Job. Ce Pauvre, ce Persécuté biblique incarne &agrav= e; lui seul, pour Laforgue, toute la détresse humaine. Ainsi notre aute= ur établit un lien très fort entre un personnage de la mythologie chrétienne, Job, dépouillé de tous ses biens par Dieu lui-même, et les nombreux martyrs des temps modernes qui ont perdu to= ut espoir de voir leur condition évoluer favorablement.

Ce procédé analogique entre un personnage mythologique et une classe contemporaine déshéritée se confirme par la suite dans l'oeuvre de Laforgue. Ainsi, des passages entiers des Moralités légenda= ires sont consacrés à la critique politique et aux revendications sociales.

Le premier à en faire les frais est Hamlet, personnage emblématique de la mythologie nouvelle et décadente de Laforg= ue. Nous avons déjà eu l'occasion de souligner la symbolique rich= e et complexe d'Hamlet ; mais toute cette dimension traditionnelle s'efface &agr= ave; deux reprises pour céder la place à une dénonciation sociale totalement anachronique, puisqu'elle lui fait tenir des propos d'un socialisme révolutionnaire ! Ainsi :

« Il croise des troupeaux de prolétaires, vi= eux, femmes, enfants, revenant des bagnes capitalistes quotidiens, voûtés sous leur sordide destinée (...) Parbleu ! Songe Hamlet, l'ordre social existant est un scandale à suffoquer la Natur= e ! Et moi, je ne suis qu'un parasite féodal. (...) Eh oui ! Levez-vous = un beau jour ! Mettez tout à feux et à sang ! Ecrasez comme puna= ises d'insomnies les castes, les religions, les idées, les langues ! »[153]

Derrière le personnage mythique d'Hamlet, c'est Laforgue qui parle, qui exhorte le peuple à se soulever contre l'esclavage qu= e la société capitaliste lui impose. Il y a de la part de notre au= teur un certain paradoxe ironique à placer ces propos dans la bouche d'un « parasite féodal », qui se place en totale contradiction avec les valeurs qu'il incarne malgré lui. Faire d'Ham= let un révolutionnaire, c'est en effet renverser du tout au tout la symbolique traditionnelle de ce personnage. Laforgue insiste sur l'id&eacut= e;e de socialisme naissant, et affirme un peu plus loin que Laërtes, lui aussi :

« s'occupe de la question des logements pour ouvrie= rs. »[154]

Le glissement du cadre tragique traditionnel institué p= ar Shakespeare au cadre actualisé de Laforgue semble dès lors irrémédiable. Le dilemme tragique lui-même change de portée ; il n'est plus question de venger le père mais de met= tre fin aux inégalités sociales. Là encore, on remarque que c'est Laërtes qui agit, quand Hamlet se perd dans un flot de paroles s= ans queue ni tête. On assiste donc à l'altération manifeste= de ce mythe, dépouillé de sa symbolique d'origine et forcé d'en endosser une autre, anachronique et contradictoire.

La critique sociale continue sur sa lancée dans les Moralités légendaires ; ainsi, dans Le Miracle des roses, la société contemporaine est accusée d'avoir produit la multitude de malades peuplant la petite ville d'eau. Sont ici dénoncés les effets pervers de la civilisation sur les person= nes trop faibles pour s'inscrire dans la dynamique économique. Ces dernières se voient dépeintes par Laforgue, sans aucune complaisance, dans leurs moindres tics et dans leurs symptômes inquiétants. Finalement, notre auteur conclut :

« Ce sont les hydropathes, enfants d'un sièc= le trop brillant : on en a mis partout. »[155]

Ainsi, le modernisme et l'expansion capitaliste ne seraient propres, selon Laforgue, qu'à produire des fous, des miséreux= et des marginaux, comme le sont aussi ces Hydropathes réunis en cénacles qu'a fréquentés Laforgue, et auxquels il adre= sse ici un clin d'oeil ironique.

Le Miracle des Rosés est encore un premier coup porté à rencontre du mythe de la femme fatale : elle fait ell= e-même figure de malade, victime d'une époque qui l'empêche de revêtir sa vraie grandeur. Dans cette optique sociale, elle subit plus qu'elle n'agit, à l'instar de Ruth, dérisoire femme fatale prisonnière de son époque. L'attaque se fait plus féro= ce à rencontre du mythe de la femme fatale dans Salomé. Au fil de cette Moralité, on s'élo= igne de plus en plus de la symbolique traditionnelle du personnage, pour parvenir finalement à une Salomé plus dérisoire que réellement dangereuse. Il convient de déceler dans l'interpr&= eacute;tation laforguienne du personnage une volonté critique, satirique mêm= e, envers cette femme moderne qui voit le jour à la fin du XIXème siècle, annonçant déjà les courants d'ém= ancipation de notre époque. Salomé devient l'emblème de cette cla= sse politique ascendante. Elle cumule les aspects de la femme nouvelle : c'est = une célibataire qui refuse d'entendre parier de mariage, une savante, versée dans la chimie, et l'astronomie, un bas-bleu enfin à q= ui le Tétrarque, émerveillé, offre comme récompens= e de sa prestation l'Université ! Le mythe de la femme fatale, en vogue à la fin du XIXème siècle, connaît là sa = plus profonde altération. Salomé, tueuse d'hommes cruelle et subli= me devient ici la parodie dérisoire de la femme à la mode, éprise de sciences et de belles lettres. La critique de ce phénomène contemporain va plus loin encore ; selon Mireille Dottin :

« La Salomé de Laforgue est une décad= ente ridicule, comme il y eut des Précieuses ridicules. »[156]

Elle décèle en effet chez ce personnage une dénonciation des abus du décadentisme, alors à son apogée. De fait, la femme fatale est masquée chez Laforgue pa= r un voile de tics et autres lubies inquiétantes, caractérisant traditionnellement les héros dits « décadents = ;». Salomé nous apparaît comme une très jeune fille, frêle, maladive, hypocondriaque. Elle présente un physique d'androgyne, des hanches maigres et une poitrine insignifiante. Mais sa par= ure recherchée témoigne d'un goût de l'artifice dans la plus pure tradition décadente. De plus, elle affiche une prédilect= ion pour le macabre, en revêtant une robe du soir « violet gros-deuil ». Enfin, son caractère même est celui d= 'une décadente : Salomé apparaît sous le jour d'un petit personnage blasé, qui pratique la mise à distance de soi avec= une conscience très nette de sa propre supériorité ; c'est= une décadente « par excès » qui tente de démontrer que l'idéal de la femme fatale, tout comme les autr= es topoï décadents, ont fait leur temps.

Le texte de Salomé comporte, pour qui veut l'entendre, = une triple résonance critique, dont nous venons d'exploiter les veines sociale et esthétique ; il reste la place pour une troisième critique, politique cette fois, visant la Cour d'Allemagne où Laforg= ue travaille comme lecteur quand il écrit Salomé. Mireille Dottin met en relief cette satire o&ugr= ave; la Cour est figurée métaphoriquement dans le texte par les « îles Blanches ésotériques », li= eu retranché du reste du monde où notre auteur a enduré de longues heures d'ennui. Dans cette optique, le portrait du Tétrarque doit être compris comme la caricature de l'Impératrice d'Allemagne, souffrant, à l'image de son pendant mythologique, des «  caprices de grande ennuyée ».

Du même coup, les princes du Nord, dont Laforgue soulign= e la rigidité, les mœurs grossières et la nullité en m= atière artistique sont sans aucun doute des caricatures d'officiers allemands réellement côtoyés par notre auteur.

Ainsi plus que tout mythe chrétien ou décadent, c'est la volonté critique, dénonciatrice et démystificatrice qui domine ici. La mythologie devient donc le fer de lance de Laforgue, qui exprime à travers elle les revendications politiques, esthétiques et sociales qui lui tiennent à coeur. C'est ainsi qu'il dénonce l'exploitation de la classe ouvrière par la bouche d'Hamlet ou de laokanann, tourne en dérision la femme moderne et fait choir de son sommet le mythe décadent de la femme fatale, à travers le personnage de Salomé. On aboutit ainsi à une mythologie appauvrie et dérisoire, dont les bases sont = sérieusement ébranlées. Or, c'est par les philosophies de Hartmann et de Schopenhauer que Laforgue achèvera le travail de démolition entrepris ici.

 

2) La mythologie sous le poids de l'Inconscient : Laforgue, lecteur de Hartmann.

 

 

 

Dans son oeuvre majeure, La philosophie de l'Inconscient, dont la traduction fut disponible à Paris dès 1877, Hartmann pose l'Inconscient comme « l'Un-Tout », âme cosmique et logique immanent= e de l'univers, son principe créateur et organisateur. C'est encore une puissance redoutable et providentielle, à laquelle nul ne se peut soustraire ; cependant, il permet aux hommes qui s'y soumettent d'accéder à la conscience mystique du Beau.

Laforgue est enthousiasmé par cette philosophie qu'il découvre lors de son studieux séjour à Paris ; il adop= te alors sans réserve la doctrine d'Hartmann, dont la philosophie va devenir l'un des principes fondateurs de la création poétique laforguienne. Ainsi, dans un article de sa Critique d'art, intitulé L'Inconscient en art, Laforgue affirme qu= e :

« Le Génie, c'est l'Immortel Inconscient (..= .) L'instinct est en tout et partout, c'est lui qui mène l'univers. »[157]

Ces propos empruntent directement à La philosophie de l'Inconscient, et plus particulièremen= t au chapitre L'Inconscient dans le Jugement Esthétique, où Hartmann soutient l'opinion que :

« Pour le génie, qui doit ses conceptions à l'Inconscient, tous les éléments de l'oeuvre artisti= que sont si étroitement liés, si bien coordonnés et associés entre eux que l'unité parfaite de l'oeuvre ne permet= de la comparer qu'aux organismes de la nature, qui doivent également le= ur unité à l'Inconscient. »[158]

Or, ce qui vaut pour l'art en général se vérifie facilement au niveau de la mythologie ; de fait, cette dernière subit le poids de l'Inconscient, qui occupe une place centr= ale dans l'oeuvre de Laforgue, et s'en trouve une nouvelle fois altérée. D'entrée de jeu, le culte de l'Inconscient vi= ent concurrencer celui que Laforgue rendait à ses personnages mythologiq= ues ; c'est ainsi que le recueil des Co= mplaintes s'ouvre sur une prière à l'Inconscient sacralisé, comm= e en témoignent ces vers :

« Que votre inconsciente Volonté Soit faite = dans l'Eternité ! »[159]

La Complainte propitia= toire à l'Inconscient, dont sont issus ces deux vers, place le recueil sous le commandement de cette force universelle ; tout ce qui le compose s'= en trouvera donc contaminé. Dans une étude intitulée Dans l'intertexte laforguien : Hartmann et quelques autres, Hiddleston signale l'emploi de termes récurrents dans la poésie de Jules Laforgu= e, citant en exemples les expressions « Tout-Un », « Un-Tout », « agrégat inorganique » et « claviers » ; or, tout ce vocable appartient au champ lexical hartmannien, qui tisse un réseau parallèle qui nous éloigne de la mythologie d'origine. De même, les personnages mythologiques subissent ce glissement d'une donnée traditionnelle à l'avant garde de la psychanalyse.

Ainsi, Pierrot apparaît moins, chez Laforgue, comme un personnage dramatique jouant son rôle de façon autonome que co= mme un pantin dérisoire allant et venant au gré de l'Inconscient. Sans volonté propre et sans liberté, il ne lui reste plus qu'à invoquer l'âme du Grand Tout, qui doit prendre possession= de lui dans la Complainte de Lord Pier= rot :

« Inco= nscient, descendez en nous par réflexes ;

Brouillez les car= tes, les dictionnaires, les sexes. »[160]

Or, cette exhortation n'a que trop de succès, puisque bientôt Pierrot est réduit à l'état de jouet dérisoire dans les mains de l'Inconscient ; on assiste à une déstructuration du langage, du monde et finalement du mythe de Pierr= ot :

« Pier= rot s'agite et Tout le mène !

Laissez faire, laissez passer ;

Laisser passer, laisser faire :

Le semblable, c'e= st le contraire,

Et l'univers, c'e= st pas assez ! »[161]

Les mythes s'entremêlent au sein de cette confusion g&ea= cute;néralisée, où se trouvent confrontés rationnel et dérision, réel et impossible. A la figure traditionnelle de Colombine, amante = de Pierrot, se substitue Léda, et le tout se dissipe dans une pantomime échevelée réglant son compte à la tradition. No= us avons donc dans la Complainte de Lo= rd Pierrot un exemple du renversement d'une mythologie donnée sous l'impulsion de la force inconsciente, que le poète ne semble pas toujours maîtriser. D'une part le personnage mythique de Pierrot n'est plus qu'un pantin sans âme, d'autre part il sert de réceptacle à différentes valeurs qui, sans avoir de lien avec le mythe d'origine, ne s'en affirment pas moins par la bouche du Pierrot en question= . Il convient encore de noter que c'est un mythe moderne, le Pierrot, qui subit = le premier l'altération de l'Inconscient.

Cependant, il n'est pas le seul personnage laforguien à profiter de l'héritage de Hartmann, loin s'en faut. Laforgue était à tel point féru de cette philosophie qu'il a envisagé d'en donner sa propre interprétation sous la forme d= 'un roman, Un raté, dont il = ne viendra jamais à bout. S'il finit à renoncer à ce héros purement hartmannien, expérimentant tour à tour = les Trois Stades de l'Illusion, il incarne néanmoins une bonne partie de c= es valeurs dans les personnages des Mo= ralités légendaires. Ainsi, le long et obscur discours de Salomé,= qui chez Laforgue tient lieu de danse érotique, retrace avec fidélité les grands axes de la doctrine de Hartmann. La princ= esse déclare en effet parler « au nom de l'Inconscient », et exhorte l'assemblée à :

« entrer automatique comme Tout, dans les ordres de l'Harmonie Bienveillante. »[162]

Elle appelle au Néant, à l'infini, à trav= ers un discours alambiqué tout droit sorti des profondeurs inconscientes= . Il ne s'agit plus de la princesse Salomé, mais bien de l'Inconscient qui s'exprime par sa bouche. Elle devient simple support sur lequel va prendre forme le prédicat hartmannien. Nous assistons ici à la dérision suprême du personnage, qui devient un outil, un prétexte, tout comme le mythe dont il fait partie intégrante. Cette dégradation du mythe d'origine sous le joug de l'inconscient devient une constante dans les Mora= lités légendaires. Ainsi, cette force supérieure semble de nouv= eau gouverner le déroulement de = Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux ; de f= ait, l'action de cette nouvelle est scandée par le leitmotiv « Tout est dans Tout », qui fait appel à l'unité indivisible de l'inconscient tel que Hartmann le conç= oit. De plus, Laforgue accentue la dérision en se livrant à un jeu= de mots ; en effet, Pan prend tour à tour les traits du Tout Bouddhique, Brahma, du Tout comme vision panthéiste de la Nature, dans la vision gréco-latine, avant d'incarner pour finir le Un-Tout hartmannien. Il s'agit donc d'un personnage prêtant à la polysémie et à la multiplicité des interprétations, derrière lesquelles la symbolique de base se perd.

Enfin, on assiste à un ultime assaut de l'Inconscient d= ans Persée et Andromède, ou = le plus heureux des trois ; il se fait jour dans les propos du Monstre-Dra= gon, philosophe à ses heures, qui récite à Andromède pétrie d'ennui un poème qu'il intitule La vérité sur le cas de Tout. Il s'agit d'un nouv= el emprunt à la Philosophie de l'Inconscient, qui fait écho au « vocéro » de Salomé en même temps qu'il le complète. Le « héros » de ce t= exte est « l'Inconscient initial », principe supéri= eur qui régit notre univers. Une fois de plus, la thèse philosoph= ique s'empare de la première place et éclipse du même coup la mythologie. Dès lors, cette dernière se cantonne à un rôle de seconde zone, lorsqu'elle ne tombe pas définitivement = sous les coups d'une impitoyable dérision. L'entreprise de démystification se poursuit par la suite ; c'est ainsi que derrière l'image naïve du mythe se cachait le principe supérieur de l'Un-Tout, gouvernant tout être et toute chose, jusqu'à la mythologie elle-même qui revendiquait pourtant son essentielle autonomie.

Nous aboutissons dès lors à une vision profondément pessimiste de notre sujet d'étude, d'ores et déjà privé de son vernis Merveilleux. Or, cet ersatz de mythologie va de nouveau être dépouillé de sa valeur initiale et altéré, cette fois par la philosophie de Schopenhauer.

 

 

3) La mythologie confrontée au Néant : la philosophie pessimiste de Schopenhauer.

 

 

L'influence de Schopenhauer est considérable chez de nombreux écrivains du XIXème siècle finissant. On trou= ve ainsi chez Maupassant, Joyce, Tchékhov, des accents très nets= de sa philosophie. De même, Laforgue n'a jamais caché la dette qu= 'il avait envers le penseur allemand, qui constitue de fait pour lui un maître à penser tant dans le domaine éthique que dans le domaine esthétique.

La mythologie est de nouveau touchée de plein fouet par cette influence pessimiste. De fait, la philosophie de Schopenhauer aggrave encore la mythologie de la Femme, qui s'amenuise derrière des propos misogynes et désabusés. Le philosophe reproche aux femmes leur frivolité, leur coquetterie, leur prodigalité, et encore leur injustice, leur trahison, leur ingratitude. Or, Laforgue, en disciple fidèle, confirme le caractère fondamentalement vicieux de la femme, qu'il exprime à travers les Complaintes et les Premiers poèmes. C'est ains= i que la Complainte des Voix sous le figu= ier bouddhique dénonce la dualité de ces « bestiol= es à chignons, nécessaire divins », repoussantes et fascinantes tout à la fois. Chez Laforgue comme chez Schopenhauer le désir sexuel, bien que reconnu comme mirage, reste plus fort que tou= t.

Les Moralités légendaires réaffirment cet= te conception négative et misogyne de la femme ; qu'il s'agisse d'Hamle= t de Lohengrin ou de Persée, le héros laforguien adopte une attitu= de supérieure et méprisante vis-à-vis de la femme, Ainsi, Lohengrin quitte Elsa sur un simple « Adieu, vous ! »= désinvolte, sans l'ombre d'un remord. Tout en reconnaissant la nécessité = de satisfaire son appétit sexuel, ce personnage refuse cependant d'éprouver pour sa compagne un quelconque attachement, destiné à devenir un asservissement. Il suit en cela les recommandations de = Schopenhauer, pour lequel :

« Les hommes sont des maquereaux la moitié de leur vie, l'autre moitié des chapons. »[163]

C'est donc une vision profondément pessimiste de l'amour qui domine finalement dans cette Moralité. On assiste à la destruction du mythe de l'amour absolu ; de même la femme, qui fait i= ci figure de moyen, subit les conséquences de cette vision dégradée, démystifiée et désabusé= e. Toute transcendance est dès lors impossible, seule domine la réalité brute toute empreinte de misogynie. Dans cette optiqu= e, tout le génie de Laforgue consiste à exprimer sous une forme poétique des conceptions aussi pessimistes.

Les thèses de Schopenhauer lui permettent encore de régler définitivement son compte à Dieu. De fait, pour= le penseur allemand, Dieu est responsable de la misère humaine ; tous l= es maux de ce monde lui sont imputables, ce qui rend la condamnation des pécheurs encore plus intolérable. De même, Laforgue dénonce le caractère dérisoire d'un Dieu aveugle &agra= ve; la souffrance humaine, absent et insensible, qu'il répudie finalemen= t, dans la Chanson des morts :

« Pauv= re sagesse humaine

Dont le monde est= si fier

Tu te disais cert= aine

D'un ciel et d'un enfer.

Enfer et ciel, chimère !

On vit au cimetière

Sans Dieu ni Luci= fer ! »[164]

Ainsi, la mythologie chrétienne est ruinée, et succombe sous les assauts de la philosophie de Schopenhauer. Le libre-arbit= re subit la même altération ; Schopenhauer s'est appliqué à démontrer le néant de cette notion ; de même, = chez Laforgue, c'est un personnage mythologique, le Pierrot, qui met en relief l'illusion où nous entretient la religion catholique dans la Complainte du libre-arbitre. Le personnage lunaire pose au Christ la question du libre-arbitre humain, anéanti par l'omniscience de Dieu ; et le Christ, qui ne sait que répondre, damne Pierrot ; mais ce dernier a le dernier mot, et tire cette conclusion de leur entretien :

« T'en sais pas long,

Car t'as déplacé la question. »[165]

Le Pierrot sort donc vainqueur de cette confrontation, puisqu'= il a vérifié que le libre-arbitre est bien la plus grossière illusion dont nous aveugle la religion catholique ; la mythologie chrétienne se trouve du même coup ruinée, dénoncée comme menteuse et illusoire. Au contraire, la mythol= ogie bouddhique est relativement épargnée par cette entreprise de destruction généralisée ; de fait, Schopenhauer a, com= me Laforgue, éprouvé une certaine ferveur pour le bouddhisme, do= nt il admire la lucidité dans la conception de l'existence et dont il e= nvie l'ascétisme. De plus, les thèses de Schopenhauer s'inspirent parfois de la pensée bouddhiste, en particulier pour tout ce qui tra= ite de la souffrance humaine ; ainsi, Laforgue peut reprendre les thèses pessimistes de son maître à penser, sans pour autant dégrader la mythologie bouddhique, qui échappe seule à l'entreprise de démystification lancée par notre poète= . On peut pourtant remarquer que la dégradation pessimiste apparaît= au sein de cet ensemble mythologique ; s'il est vrai qu'aucune influence ne vi= ent l'altérer, le pessimisme est pourtant présent dès l'essence même de cette religion, ne promettant aucune rédempt= ion si ce n'est par l'affranchissement le plus radical.

De même, les mythes modernes n'échappent pas &agr= ave; cette dégradation généralisée ; ils sont au contraire souvent utilisés à des fins démystificatrice= s. Ainsi le Pierrot met en évidence le néant de notre libre-arbi= tre. De même, le personnage d'Hamlet devient à son tour le porte-pa= role du discours schopenhauerien. Ce mythe a en effet passionné le philos= ophe allemand, qui s'est attaché à montrer la parenté de ce monde avec le rêve. On trouve dans l'un de ses manuscrits l'aphorisme suivant :

« Voulez-vous connaître les rêves dont parle Hamlet, ces rêves qui pourraient être faits dans le somme= il de la mort ? Regardez-vous ! Notre existence présente, ce monde, cet= te vie : voici ces rêves. »[166]

Fidèle au modèle ici défini, Laforgue rep= rend la thèse de Schopenhauer dans sa Moralité Hamlet, ou les suites de la piété filiale. Ainsi,= son personnage en vient également à dénoncer que ce monde n'est qu'une grande illusion, un rêve qui se résout dans la dérision universelle :

« Toi, Silence, pardonnes à la Terre ; la pe= tite folle ne sait trop ce qu'elle fait ; au jour de la grande addition de la Conscience devant l'Idéal, elle sera étiquetée d'un pi= teux idem dans la colonne des évolutions miniatures de l'Evolution Unique, dans la colonne des quantités négligeables. &raq= uo;[167]

Tout n'est donc que rêve, illusions et fausses promesses dans ce monde, où les seules réalités sont la souffran= ce et l'ennui.

Ainsi chez Laforgue, Hamlet dépasse à plusieurs = reprises sa symbolique traditionnelle ; il milite d'abord contre les inégalités sociales, puis soutient la thèse de Schopenhauer, témoignant de l'adhérence de Laforgue à = ce courant de pensée. De fait, les emprunts au philosophe allemand sont nombreux, et ce, dès les oeuvres poétiques ; ainsi Préludes autobiographiques exploite des trouvailles tel que le néologisme « Etemullité », inventé par Schopenhauer lui-même pour désigner notre existence, oscillant entre l'infi= ni de la souffrance et l'ennui infini. De même, Laforgue place son recue= il sous l'égide de la « Céleste Etemullité » qui gouverne tout l'univers.

On peut également voir dans le spectacle des trois clow= ns, épisode central de Salom&eac= ute;, la reprise de conceptions philosophiques proprement schopenhaueriennes. Les trois pitres, qui jouent l'Idée, la Volonté et l'Inconscient, psalmodient des propos décousus à propos du Néant de t= out ; on a de même affaire à une Salomé imbue de pessimisme, qui gouverne avec l'Inconscient le déroulement de ce drame. Cela con= stitue une ultime attaque au mythe de la Femme fatale, qui devient ici une vile créature dominée par ses bas instincts. Tout comme la mytholo= gie chrétienne, ces deux mythes modernes sont donc profondément altérés par la philosophie de Schopenhauer. Or, ce qui domine finalement chez le philosophe comme chez notre poète, c'est une sort= e de rire métaphysique, fait de cynisme et d'ultime dérision. De f= ait, le pessimisme va de paire avec un sens certain de la dérision. Si l'existence est un rêve, elle peut encore se concevoir comme une pitoyable farce, où les bouffonneries et les quiproquos tragiques se succèdent. Il y a en effet un certain comique à voir les homm= es, poussés par la Chimère, espérer sans fin un bonheur il= lusoire. Dans Le Monde comme Volonté = et comme représentation, Schopenhauer établit le parallèle Monde visible / Monde risible, plus proche du Néant= que de l'Etre. Il pousse la dérision jusqu'au bout, aboutissant, puisque l'Homme prête à rire, à un comique total et dése= spéré. Or, plus encore que le vocabulaire et les thèses philosophiques, c'e= st cette dérision que retient le plus volontiers Laforgue. Il fait sien= le cynisme du philosophe allemand, et l'applique, entre autre, à l'élément mythologique.


B) La mythologie tournée en dérision : parodi= e et renversement ironique.

 

 

 

1) Une parodie de récit : caricature du modèle mythologique traditionnel.

 

 

 

Comme nous l'avons déjà remarqué dans la confrontation des textes de Laforgue avec leurs principaux intertextes, c'e= st donc la transgression sur le mode burlesque d'un modèle original qui fait chez lui force de loi. Cette manoeuvre, qui emprunte tant au cynisme de Schopenhauer qu'à l'esprit fumiste des Hydropathes, relève essentiellement d'une volonté de dérision et de parodie. Or, notre auteur l'exprime de différentes manières ; une parodie discrète affleure déjà dans les poésies, mais c= 'est dans les Moralités légendaires que Laforgue met en place un véritable travai= l de sape, visant sans compassion les mythes qu'il a choisis de traiter. Ainsi, = la volonté démystificatrice domine chez lui, et la mythologie, domaine sacré et solennel, devient le champ privilégié= de l'ironie et de la fantaisie la plus débridée.

Cependant, la parodie n'est pas toujours facile à saisi= r ; elle peut en effet se dissimuler derrière l'observation scrupuleuse = du modèle de référence. Cette reprise emphatique ne tarde pourtant pas à sonner faux, constituant ce qu'on pourrait appeler la parodie par excès.

Nous avions déjà eu l'occasion de noter, au prem= ier chapitre, le conformisme ostentatoire dont Laforgue fait preuve dans Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux ; les personnages sont tels que les présente un dictionnaire de mythologie, le décor et les données actantielles sont ceux qu'instauré le texte d'Ovide. Cependant, au sein de cette fidélité apparente viennent se greffer des surcharges, des anaphores et des redites, qui finissent par ôter au récit toute crédibilité, l'éloign= ant du même coup de son modèle classique. Ainsi, le leitmotiv = ;:

« Tout est dans Tout », que Pan profère à tout venant, devient vite burlesque et rompt avec la reprise consciencieuse du modèle ovidien. De même, les personn= ages déclarant leur identité comme s'ils récitaient un manu= el scolaire mettent en porte-à-faux cette apparence de rigueur, bien que tout ce qu'ils disent soit juste. On a donc affaire à une parodie par excès de références accumulées sans lien logique entre elles.

Laforgue, qui semble affectionner ce genre parodique, le repre= nd dans Salomé ; là,= ce sont plutôt les références décadentes qui s'accumulent sans fin, réunissant dans un ensemble chaotique les allusions à la peinture de Gustave Moreau, aux commentaires qu'en fa= it Huysmans, auxquelles s'ajoute encore la multitude des attributs décadents de Salomé. Cette Moralité présente de fait la synthèse de la Décadence, parodiée dans son ensemble à travers l'exubérance de cette nouvelle.

Laforgue pratique encore la dérision à travers l= es jeux de mots, systématiques chez lui. Le texte devient farcesque, abandonnant toute espèce de sérieux. Les jeux de mots en question, plus ou moins subtils, procèdent tantôt du néologisme fantaisiste, tantôt du calembour vaseux. Notre aute= ur annonce une nouvelle tendance, reprise plus tard par Ponge et Beckett, amat= eurs de jeux de mots des plus alambiqués. Dans les Moralités légendaires, l'argument mythologique do= it une nouvelle fois se plier à ce nouveau style de transgression parod= ique ; ainsi, dans Salomé, les crabes de l'aquarium ont

« des petits yeux rigoleurs de pince-sans-rire ».[168]

Ainsi, la plaisanterie « hénaurme &raqu= o;, telle que la cultivaient les Hydropatries, fait irruption à l'improv= iste dans le cadre solennel de la mythologie. De ce fait, pour le lecteur initié, le centre d'intérêt du texte est déplacé ; il ne consiste plus dans l'analyse d'une nouvelle version d'un mythe ancien, mais devient au contraire un jeu de démystification, où il s'agit de relever les calembours et au= tres plaisanteries burlesques donnant au texte une inclinaison nettement parodiq= ue. Aussi pourrait-on dire que l'écriture laforguienne joue une bonne fa= rce à la mythologie. De plus, d'autres procédés viennent aggraver cette tendance, et lui donnent un aspect irrévocable.

Laforgue cultive ainsi l'anachronisme dont on trouve des exemp= les dans toutes les Moralités portant sur un mythe antique. Alors que le propre du récit mythologique est de se situer dans une sorte de flou temporel, notre auteur tient quant à lui à dater très précisément les événements qu'il relate, créant ainsi distorsions et dérision. L'action d'Hamlet, ou les suites de la piété filiale débute « le quatorze juillet 1601, un samedi ». Mais ce souci de précision est annihilé à la page suivante, par « l'appareil de douche » censé figurer dans la chambre du Prince. La date n'est cependant pas choisie au hasard ; en effet c'est en 1601 que Shakespe= are acheva de composer son Hamlet. = Mais cette précision tend surtout à souligner l'énormit&eac= ute; des anachronismes auxquels Laforgue se livre joyeusement. Il représe= nte encore le héros mythique offrant des cigarettes aux comédiens, où s'apitoyant devant des ouvriers maltraités par le système capitaliste. Par cette confrontation délibérée entre une période ancienne et la réalité contemporaine, notre auteur institue comme principe parodique ce que Grojnowski nomme :

« le gag référentiel ».[169]

Il nous éloigne de ce = fait du modèle de référence, et altère toute crédibilité du récit mythologique, pour aboutir finale= ment à une pluralité anarchique de significations.

Il applique le même traitement à Lohengrin, fils de Parsifal ; au sein du cadre fermé de = la mythologie germanique, le monde moderne apparaît soudain sans crier g= are. Il est, entre autre, question de l'émancipation de la femme et d'expériences aérostatiques. Ces deux intrusions viennent rui= ner deux des moments les plus intenses du récit, à savoir la dégradation d'Elsa et l'arrivée de Lohengrin. Là encor= e, la tension dramatique s'évanouit derrière la dérision.=

Salomé, quoi qu'essentiellement décadente, fait cependant elle aussi les frais d'un anachronisme généralisé. Celui-ci s'exprime d'abord sur le plan social : laokanann, prophète du Nouveau Testament, devient ici un révolutionnaire à lunettes. De même, le Tétrarque, dans toute sa dimension biblique, coexiste avec « les flonflons du quatorze juillet » et la phot= ographie couleur. Ainsi, Laforgue s'amuse à brouiller les repères temporels. On ne sait jamais avec précision à quelle époque se tenir. Dans Pan et= la Svrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux, c'est le contexte chrétien de la Noël qui vient contrarier la mythologie classique. Enfin, dans Persé= e et Andromède, ou le plus heureux des trois, les rivages méditerranéens sont déjà peuplés de casi= nos. Ainsi, l'anachronisme n'épargne aucun texte, si ce n'est Le Miracle des Roses, censé= se dérouler à l'époque moderne. De ce procéd&eacut= e; qui bafoue la vraisemblance de l'énoncé naît un discours second faisant office de contre-chant de l'élément mythologiq= ue traditionnel. De plus, on constate des répercussions de ce double jeu jusque dans les citations de l'intertexte principal. En effet, ces dernières sont, la plupart du temps, tronquées, et truquées. La dimension parodique du texte est une nouvelle fois renforcée par cette duplication satirique, où la même formule perd tout son sens à partir du moment où l'on fait va= rier le moindre élément.

L'exemple le plus flagrant se trouve dans Hamlet, ou les suites de la piété filiale. Quand = le héros de Shakespeare s'écrie « Fragilité, t= on nom est femme ! », le personnage laforguien reprend en effet, su= r un mode bouffon :

« Stabilité ! Stabilité ! Ton nom est Femme ! »[170]

Ainsi, en faisant varier un seul élément de la tirade, Laforgue parvient à la retourner du tout au tout. Ce travail= de réécriture peut également procéder par détournement d'une phrase, voire d'une citation entière de l'oeuvre de référence ; ainsi, Hamlet s'attribue souvent, chez notre auteur, des tirades réservées à l'origine &agrav= e; d'autres personnages dramatiques. On aboutit finalement à ce que Delepierre nomme « une pièce farcie », ici constituée des vestiges d'un texte de référence. Ce procédé est encore repris dans Salomé, où le festin, épisode central de l'Hérodias de Flaubert, est repris par Laforgue sur le mode fantaisiste. Il reproduit en effet l'énumération descriptive, mais le banquet somptueux et exoti= que devient chez lui une collation végétarienne et ichtyophage !<= /span>

D'une manière générale, on peut donc conc= lure que Laforgue s'empare du récit et du mythe d'origine afin de mieux le tourner en dérision à travers des procédés aussi divers que l'anachronisme et les citations truquées. Mais la parodie= va plus loin, se détache de la structure du récit pour s'intéresser de plus près aux héros mythologiques.

 

 

 

2) Parodie de héros mythologiques.

 

 

 

De même que la fidélité au modèle de référence est illusoire, de même la reprise de hé= ;ros mythologiques est à nuancer chez Laforgue. En effet, nous savons qu'= il ne se satisfait pas des héros antiques, trop surhumains à son goût. Il reprend pourtant d'illustres figures mythologiques, comme ce= lles de Lohengrin ou de Persée, autant de héros éternels. M= ais Laforgue, loin de chanter leurs exploits, leur livre au contraire une guerre sans merci, dont ils ressortent infailliblement ridiculisés, passés au crible de la plus incisive ironie. Là encore, le renversement s'opère à plusieurs niveaux. L'altération= est d'emblée perceptible dans le traitement que Laforgue fait subir aux = noms propres. Comme pour les citations, il s'applique à conserver une certaine ressemblance avec l'original, pour mieux les tourner en dér= ision. Si Hamlet reste Hamlet, le personnage d'Ophélie est soumis à = la démultiplication et à la dégradation. En effet, la première Ophélie, l'authentique fille de Polonius, est déjà morte quand la Moralité commence. Elle renaî= ;t pourtant dans les propos amers d'Hamlet, qui soupire :

 « Pau= vre Ophélie, pauvre Lili ».

On constate que le personnage est déjà amenuisé par le diminutif familier qui lui est attribué. De p= lus, une seconde Ophélie, bien vivante cette fois, fait son apparition en= la personne de la jeune première de la troupe de comédiens. Mais elle est immédiatement reconnue comme imposture par le Prince qui la somme de reprendre son nom de baptême, tout en s'exclamant, furieux :=

« Comment ! Encore une Ophélia dans ma potio= n ! oh ! Cette usurière manie qu'ont les parents de coiffer leurs enfant= s de noms de théâtre ! »[171]

Ainsi, le personnage d'Ophélie se voit voué &agr= ave; une disparition certaine ; alors que l'authentique jeune fille n'est plus q= ue cette défunte et « pauvre Lili », celle qui la remplace doit reprendre son vrai nom, Kate. Le prénom « Ophélie » devient dès lors vide de se= ns, puisqu'il ne fait plus référence à personne mais représente au contraire :

« une pure histoire de planches et = de centimètres ».[172]

Shakespeare lui-même est soumis à la déris= ion ; il est élevé au rang de personnage dramatique chez Laforgue, qui en fait même le jeune premier de sa troupe. Mais là encore, pareil honneur ne vaut que dans la mesure où la dégradation s= uit sans attendre davantage ; de fait, Shakespeare devient William, puis « Bibi, abréviation de Billy, diminutif de William » dans la toute dernière page de la Moralit&eacut= e;. La nouvelle de Laforgue ne présente donc, en fait de personnages, qu= e de purs fantoches aux noms tronqués et écorchés, témoignant de leur peu d'importance au sein du récit. On retr= ouve un procédé similaire dans Salomé ; ainsi le Tétrarque Hérode-Antipas devient-il « Emeraude-Archetypas » sous la plume acerbe de Lafor= gue. Il souligne l'aspect décadent du personnage en faisant appel à l'émeraude, attribut par excellence des héros décadent= s. (On se souviendra, par exemple de la tortue de Des Esseintes, incrust&eacut= e;e de pierreries, dans A Rebours de Huysmans.) Le second versant du nom dont Laforgue coiffe le Tétrarque souligne l'archétype que constitue le sujet lui-même, traité sous toutes ses coutures en cette époque décade= nte. On remarque l'autodérision à laquelle se livre ici notre aute= ur, qui affirme que le sujet qu'il va traiter est un topos littéraire. Le personnage dérisoire que devient le Tétrarque chez lui est en= core entouré de pantins dont les noms reflètent le caractère essentiellement farcesque : Le Grand Mandarin, l'Arbitre des Eléganc= es, le Conservateur des Symboles, le Répétiteur des Gynécées et Sélections, le Pope des Neiges, sont autan= t de personnages absurdes dignes d'un Beckett ou d'un Jarry. Ainsi, la parodie d= es personnages mythologiques peut passer par l'attribution de noms fantaisistes qui trahissent leur rôle dérisoire. On remarque que cette altération du nom propre ne touche jamais le héros mythologiq= ue de la Moralité, mais plutôt son entourage proche. Mais le personnage principal n'est pas pour Autant épargné ; il subit= au contraire une parodie plus profonde encore que celle qui touche la surface = des noms. Il apparaît lui-même ridicule, et avec lui tout son h&eac= ute;ritage mythologique.

Ainsi, Laforgue conserve à Hamlet, Salomé et Lohengrin leur nom propre instauré par la tradition mythologique ; c= ela lui permet alors de procéder à une parodie intégrale du personnage mythologique. C'est bien le Hamlet mythique qui se révèle sous son vrai jour dans la Moralité, avec = :

« La petite épée au côté, coiffé d'un sombrero de noctambule ; »[173]

Son apparence authentique est donc peu noble, artificielle et maniérée, semblable à celle d'un dandy. De plus, il apparaît encore comme un névropathe, massacrant avec rage d'inoffensives bestioles. De même, Salomé fait figure d'illuminée, mais encore de décadente maladive et dérangée. Mais la figure la plus ouvertement moquée est Persée, dont Laforgue trace un portrait ultra satirique, avant de le renvoyer, ridiculisé, à son passé révolu. Persée devient ainsi l'anti-héros laforguien par excellence, = et notre auteur s'emploie à démolir pièce par pièc= e le topos du héros mythique. Il remet d'abord en doute la virilité= ; de Persée, qui :

« monte en amazone, croisant coquettement ses pieds= aux sandales de byssus. »[174]

II s'agit bien là d'un affront à la physionomie virile du héros traditionnel qui fait d'avantage figure de mignon, de « petit chéri des dieux », que de vainqueur de Méduse. Laforgue s'acharne encore sur ce personnage incarnant le héros absolu qu'il ne peut supporter ; il en fait un décadent, qui porte « un monocle d'émeraude » le rapproc= hant du Tétrarque de Salomé= ;, et aussi « nombre de bagues et de bracelets. » Loin d= e la sobre et virile figure du mythe classique, on a ici affaire au portrait d'un Pensée travesti et décadent. C'est encore un dandy, qui ne saurait se déplacer sans son miroir, et un personnage mièvre = au possible, dont :

« les bras sont tatoués d'un coeur perc&eacu= te; d'une flèche. »[175]

Enfin, Laforgue remet en cause la bravoure de son personnage, qu'il appelle par dérision « ce jeune héros. » En effet il triomphe du monstre grâce aux objets magiques offerts par les dieux ; il se montre en outre d'une tr&egra= ve;s grande lâcheté envers le Monstre-Dragon, qu'il « la= rde de balafres » alors que l'autre ne semble pas en mesure de se défendre. On assiste donc au retournement total du personnage mythologique, qui n'inspire plus ici d'admiration mais bien au contraire une certaine horreur mêlée de haine. A l'instar d'Andromède= , on le congédierait avec soulagement.

Mais Laforgue n'a pas seulement ridiculisé dans leur apparence les personnages mythologiques. On constate de fait une dernière dégradation au sein du langage mythique lui-mê= me. Ainsi les propos tenus par les héros, loin d'être nobles et édifiants, sont souvent de la plus grande vulgarité. Signalons à ce propos l'horrible « et ta soeur ! » que Hamlet lance au visage de Laërtes, qui se recueillait sur la tombe d'Ophélie. Cette seule phrase porte au mythe d'Hamlet un coup fatal, donnant au héros un aspect vulgaire indigne d'un Prince. De mê= me, Lohengrin repousse Elsa en s'exclamant « eh v... va donc ! » et Persée invite sans plus de façon Andromède à le suivre : « Allez hop ! A Cyth&egrav= e;re ! » ; quant à Salomé, elle s'exprime par « garulements mystiques ». (Le terme de garulement vi= ent du latin « garrulus », signifiant babillard, et désigne communément le cri du geai.)

A ces propos d'une grande familiarité s'ajoutent encore des tics du langage et des défa= uts de prononciation. Ainsi Persée a « un grasseyement incurablement affecté », Pan « roucoule chimériquement », et Salomé a « la voix sans timbre et sans sexe d'un malade qui réclame sa potion &raq= uo;. Nos personnages sont donc des malades grossiers ou ridicules bien éloignés de leur modèle classique. Si le récit = a pu être parodié, les personnages n'en sont pas moins des caricatu= res. Enfin, la dernière altération touche cette fois le domaine de l'action.

 

 

 

3) Une parodie d'action.

 

 

 

La mythologie est censée rapporter la geste des héros antiques. Or, Laforgue ne nous propose qu'une parodie d'action multipliant les ratés. L'action peut être seulement repoussée, ne pas intervenir du tout ou, ce qui est pire, avoir un e= ffet inverse à celui qu'on attendait. Mais on ne trouve chez notre auteur aucun fait héroïque susceptible de rester gravé dans les mémoires.

L'action, d'emblée considérée sous l'angl= e de la dérision, prend place dans un décor d'opéra-comique= ; ce terme revient d'ailleurs à plusieurs reprises dans les Moralités légendaires, et signale un décor de carton-pâte délibérém= ent artificiel. Ce dernier porte un ultime assaut à la crédibilité d'ensemble, interdisant de considérer l'élément mythologique sous un angle sérieux. Dans Salomé, le côté= ; simili est très accentué, comme en témoignent les éléphants en crépi, le sol du parc artificiel et les remparts de comédie. L'action est de plus jouée par des personnages prenant ouvertement des masques et, selon les termes de Jean-Pi= erre Guisto, qui :

« se lancent dans une pantomime débrid&eacut= e;e, massacrent une culture et se complaisent dans ces oripeaux. »[176]

C'est bien à la mise à mort de l'action, qui ne = peut être jouée que « pour de faux », que l'on assiste ici. De plus, même dans ce cadre dramatique, on ne trouve que= des parodies d'action qui trompent l'attente du lecteur au travers d'un schéma déceptif très élaboré.

Ainsi l'inaction chez Hamlet, scandée par le leitmotiv « il faut agir », trouve sa justification dans le sou= ci de se conformer au modèle shakespearien. Chez Laforgue comme chez Shakespeare, c'est Laërtes qui agit, tandis qu'Hamlet se perd en conjectures. Cependant le refus d'action n'est pas toujours motivé ;= la plupart du temps, Laforgue prend plaisir à berner son lecteur, lui promettant une action mythique qui n'a jamais lieu. Il se moque ainsi du même coup des gestes des héros de légende, toujours plus grandioses et inédits.

Pensée, décidément cible favorite de Laforgue, se prête à ravir à cette dérision d'action. Nous le voyons, face au Monstre-Dragon, brandir la tête coupée de Méduse en clamant fièrement son intention de pétrifier son adversaire. Or, le charme n'opère pas, et Lafor= gue s'empresse de souligner le ridicule de la situation :

« Le contraste est un peu trop grotesque entre le g= este brave et magistral qu'il a pris et le raté de la chose. »= [177]

Ici, l'acte raté n'aboutit qu'à un sourire moque= ur d'Andromède et à la fureur du héros. On a en outre une situation comique par excellence, combinant à une grande cause des petits effets. Persée, par son apparence, son langage et ses actions, prête à rire. La mythologie est définitivement altérée, et on préfère un bon monstre au piètre héros. L'exemple le plus significatif de parodie d'act= ion est sans doute Le Miracle des roses= ; Laforgue ne reprend aucun thème mythologique précis, mais ind= uit le lecteur dans un procédé déceptif d'un tout autre ge= nre. De fait, il compose son récit en trompe-l'oeil, en multipliant les mystères qui restent sans explication logique. Le premier concerne la broche de Ruth, « étrange, en effet, cette plaque d'émail qu'elle caresse sur sa poitrine sans sexe ». Mais= cet élément ne donne lieu à aucune intrigue, il se content= e de revenir au cours du récit, attirant à chaque fois notre atten= tion pour la décevoir aussitôt. De même, le mystère des suicidés, annoncé en grande pompe, n'est jamais élucidé, et reste un élément vain qui ne donne jamais lieu à une intrigue digne de ce nom. Laforgue retourne ici le mythe de la femme fatale, qui répand involontairement la mort dont e= lle est elle-même bien proche. Enfin, le noeud de la parodie se situe dan= s le Miracle des rosés, « Oui, le légendaire Miracle des roses » annoncé en grande pompe depuis le début de= la Moralité. Laforgue entretient grâce à cet élément la tension dramatique, et tient son lecteur en halein= e. Lorsque, pendant la cérémonie de la Fête-Dieu, une fill= ette vient répandre des pétales de rosés autour du lit de R= uth, on s'attend à ce que ce rite mystérieux aboutisse au Miracle = tant de fois annoncé. Mais il n'en est rien, et la seule surprise, c'est qu'il n'y en a pas, comme le souligne notre auteur non sans ironie : <= /o:p>

« II y a dans la vie des minutes absolument déchirantes, déchirantes pour toutes les classes de la société. Celle-ci n'en fut pas, mais il en est ; et l'excepti= on ne saurait que confirmer la règle. »[178]

Les masques tombent, la vérité est dévoilée dans toute son ironie : le Miracle des rosés annoncé à grand cri n'était qu'un génial canula= r, auquel les personnages comme le lecteur se sont laissés prendre. Laforgue a beau nous annoncer dans les dernières lignes que :

« Le Miracle était accompli dans toute sa gl= oire de sang et de rose », on n'est désormais plus dupe, et l'= on sait que les suicides continuent à se répandre autour de Ruth. Ainsi, cette Moralité nous fournit le meilleur exemple de parodie d'action ; par un mécanisme très élaboré de trompe-l'oeil successifs, elle nous abuse du début jusqu'à la fin. La mythologie visée ici est sans doute la mythologie chrétienne, riche en miracles de ce type.

Ainsi Laforgue procède au renversement de toute action,= et généralise la parodie à tous les niveaux. Or, ce traitement qu'il fait subir à l'élément mythologique n= 'est pas sans conséquences ; en effet, il rend impossible toute adh&eacut= e;rence à un domaine démystifié, dont il a découvert to= us les rouages. On a affaire à un tableau dérisoire d'une humanité en mal de transcendance, qui espère toujours en un hypothétique miracle ; mais dans Le Miracle des roses , le charme n'opère plus, et c'est l'élément parodique qui domine. De fait, ce dernier acc&egrav= e;de chez Laforgue à une place considérable qui le place sur un pi= ed d'égalité avec les autres genres littéraires.


C)  Cons&eacut= e;quence des principaux enjeux de cette  parodie généralisée.

 

 

 

1) Pour une esthétique nouvelle de la parodie : originalité de Jules Laforgue dans le traitement qu'il applique &agr= ave; l'élément mythologique.

 

 

 

La parodie est un phénomène très en vogue= au XIXème siècle, à tel point que Victor Hugo a pu affirm= er :

« A coté de toute grande oeuvre, il y a une parodie. »

Cependant, la plupart du temps, cette dernière ne vaut = que par rapport au réfèrent qu'elle attaque, occupant ainsi une p= lace de seconde zone dans la littérature. Or, avec Laforgue, la parodie se démarque de la reprise d'un genre noble sur le mode bas ; elle tend à devenir une fin en soi, un genre comme les autres, comportant sa propre lisibilité. Elle acquiert de ce fait une dimension iné= dite et se détermine de manière autonome avec ses propres règles de fonctionnement. L'originalité de notre auteur consi= ste donc à présenter la version parodique d'un épisode mythologique, tout en instituant la parodie comme genre à part entière. Dans cette optique, il est clair que l'élément mythologique est amené à évoluer, passant d'un premier plan référentiel à un simple prétexte d'écriture, et constituant en même temps le champ nécessaire et privilégié où la parodie va s'exe= rcer avec le plus de succès. Ainsi, la mythologie a tendance à s'effacer dans l'oeuvre de Laforgue. Dans Le Miracle des roses, il n'est fait référence à aucun mythe précis, alors que la parodie d'action est présente dans toute son ampleur, comme nous venons de le voir. Laforgue dénonce ici une certaine littérature facile, riche en rebondissements, mais transforme surtout en profondeur la notion de parodie, qui se passe ici avantageusement de cible mythologique bien définie, et affirme avec force sa puissance critique. On retrouve le même procédé dans Les deux pigeons, nouvelle rattachée plus tard aux Mora= lités légendaires. De nouveau l'élément mythologique res= te flou, mal défini, alors que la parodie est omniprésente. Elle touche de plein fouet les histoires de couples maudits, partagés ent= re haine et passion, que favorise une certaine littérature décadente.

Une nouvelle fois, l'élément mythologique s'effa= ce derrière la parodie. Ceci permet à Daniel Grojnowski d'affirm= er que :

« Les Moral= ités légendaires réinventent la parodie, en la constituant com= me texte exemplaire de tout texte, démystificateur de toute écriture. »[179]

Laforgue rompt, par la généralisation de ce procédé parodique, avec la mimésis nécessaire à tout récit mythique, et interdit l'adhérence de son lecteur à un texte privé de toute crédibilité. = De plus, ce retournement de la mythologie lui permet de mettre la littérature en accusation, et notre auteur ne tarde pas à écarter les mythes afin de s'intéresser aux enjeux littéraires qu'un tel genre représente. Ainsi, on peut déceler un fervente critique de l'académisme à travers= Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux ; mais notre auteur a une position tout aussi critique vis-à-vis de l'avant-garde, comme en témoigne l'attaque virulente du décadentisme que constitue Salomé. Il emprunte enfin au réalisme historique à la manière de Flaubert pour mieux s'en démarquer, co= mme dans Le Miracle des roses ; &ag= rave; travers la reprise parodique des épisodes descriptifs d'Un coeur simple, il dénon= ce l'illusion de vouloir donner par récriture « une image ex= acte de la vie ». Enfin, Laforgue semble parfois se rallier à l'idéalisme wagnérien, mais il ridiculise à son tour ce courant où le héros parvient à incarner un absolu dans= Lohengrin, fils de Parcifal. De fa= it, aucun des « héros » mythiques de Laforgue ne parvient à transmettre de Vérité éternelle, si = ce n'est leur incurable nullité. Ainsi, les principaux canons esthétiques sont renvoyés dos à dos, soumis aux assauts d'une même parodie. Notre auteur se livre à un véritable jeu de massacre, qui remet en cause toute une conception de l'art. Les figu= res mythologiques deviennent les instruments de cette démystification, en mettant l'accent sur les faiblesses de chaque courant. La désacralisation de la littérature, la perversion des genres nobles et la glorification de la parodie sont proclamées par Laforgue comme l'essence même de tout texte ; et notre auteur n'hésite = pas à proclamer lui-même ces convictions esthétiques.

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2) Affirmation d'une voix personnelle au sein de cet ensemble.=

 

 

La supériorité de la parodie sur les autres genr= es littéraires relève des convictions profondes de Laforgue. C'e= st pourquoi il la profère lui-même au sein de son oeuvre, o&ugrav= e; sa voix se fait entendre à tout propos, et même hors de propos. Omniprésent, il commente le récit mythologique au fur et &agr= ave; mesure de son déroulement, s'interroge sur les motivations des personnages, signale ses choix en tant qu'auteur, sursaturant le texte de s= es interventions. Les plus courantes sont des cris d'admiration :

« Oh ! Le petit = messie à matrice », de surprise : « ah ! L'aquarium p= ar exemple ! » et de compassion : « o patrie monotone et imméritée ! ». Ainsi, Laforgue met l'accent sur des détails incongrus ou des épisodes-clés, signalant clairement la parodie dont ils relèvent. La marque d'énonciat= ion ne s'en tient pas là, le « je » est omnipr&eac= ute;sent et polarise l'attention du lecteur au travers de surenchères dans la description :

« Au beau milieu d'une pièce lambrissé= ;e de majoliques (oh, si jaunes !) se trouvait abandonnée une én= orme cuvette d'ivoire, (...) une paire d'espadrilles rosés (oh ! si rosés !). »[180]

Ainsi, Laforgue mène à son paroxysme un jeu d'interventions personnelles les plus immotivées, et réussit à imposer sa présence au sein du cadre mythologique. Il annon= ce les points du récit qu'il choisit de traiter, ceux qu'il préfère éluder, et traite finalement l'élément mythique avec la plus grande désinvolture, t= out en affirmant la liberté totale de l'écrivain. Mais ce procédé n'est pas sans danger, du fait de la réflexivi= té inhérente à tout texte parodique. Ainsi, dans les Moralités légendaires, le thème mythologique est abordé en trompe-l'oeil ; on croit d'a= bord avoir affaire à une parodie de récit mythologique, puis &agra= ve; une parodie de certains styles littéraires, avant que ne tombe le dernier masque : c'est à une parodie à usage interne, o&ugrav= e; Laforgue se prend lui-même pour cible, que nous avons affaire ici. No= tre auteur devient actant, partie intégrante et active de cette mytholog= ie. Cette dernière change d'orientation pour s'intéresser à= ; présent au mythe du poète, et à celui, plus vaste, de l'écritu= re.


V) La mythologie personnelle de Jules Laforgue, ses limites= et l'émergence d'un mythe de l'écriture.

 

 

« Et, si c'était moi Hamlet ! Tu n'es, to= i, qu'un avatar de ma propre nature humaine, et il me plaît à moi= de te rendre ridicule et grotesque jusqu'au sublime ! »[181]=

 

 

A) Laforgue, héros mythique.

 

 

 

1) Portrait de Laforgue en Pierrot.

 

 

 

Le Pierrot est une figure centrale chez Laforgue, le coeur de = sa mythologie lunaire. Or, il arrive souvent que le poète s'inscrive lui-même au sein de cette mythologie, en se grimant en Pierrot lunair= e. Cette pratique témoigne du goût pour le travestissement de Laforgue, qui, selon ses propres dires :

« aurait dû se faire clown ».

Il apparaît donc ici en habit de Pierrot, et devient de = ce fait un personnage mythologique à part entière. L'identificat= ion est affirmée avec force dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, dès le premier Pierrots ; il dresse là le portrait de son personnage qu= i, par bien des aspects, présente d'évidentes similitudes avec l= ui-même, au physique comme au moral. Sa « face imberbe au cold cream » rappelle le visage du jeune dandy qu'était alors Laforgue ; Le dandy parisien, par dérision, préfère se peindre en « Dandy de la Lune ». De plus, ce portrait= en demi-teinte, comme effacé, rappelle beaucoup l'autoportrait plaisant= que Laforgue nous livre dans Pens&eacut= e;es et paradoxes :

« Je ne suis pas un jeune homme beau (...) en somme= je ne suis pas remarquable, ni ne fais quoi que ce soit pour être remarqué. »[182]

Ce portrait nous livre un personnage pâle, inconsistant,= qui se confond déjà avec son personnage lunaire. Laforgue et Pier= rot se fondent dès lors sous une identité commune, aux contours flous. La ressemblance est cultivée et accentuée par notre poète ; c'est ainsi que dans Locution des Pierrots I, il parle de son « lunaire entendement ». Enfin, à travers une véritable profession de foi, il s'assimile définitivement à la veine pierrotique, dans Locution des Pier= rots XVI :

« Je ne suis qu'un viveur lunaire

Qui fait des ronds dans les bassins (...)

Retroussant d'un = air de défi

Mes manches de mandarin pâle

J'arrondis ma bou= che et j'exhale

Des conseils doux= de crucifix. »[183]

Ces propos sont ceux d'un poète indiscutablement Pierro= t, qui fait désormais partie intégrante de la mythologie lunaire= ; C'est un être onirique, perdu dans son univers poétique, un prophète pâle et doux qui fait entendre sa plainte à la douce clarté lunaire. Dans E= tats, il remet son coeur à la lune, sa seule et unique maîtresse. De même, il confie sa nouvelle identité à Gustave Kahn dans une lettre de juin 1886, où il annonce la parution des Fleurs de bonne volonté : <= o:p>

« Il y aura une couverture blanche émail com= me pour Notre-Dame la Lune, c'est ma livrée. »[184]

Laforgue endosse la casaque blanche de Pierrot, en fait sa cou= leur emblématique, et copie l'attitude du personnage. Il réagit de= la même manière vis-à-vis de la femme, avec la même timidité maladive, la même curiosité mêlée= de crainte. C'est également un éternel amoureux éconduit,= qui a déjà exprimé toute sa rancoeur et sa désillus= ion envers la femme dans Les Complainte= s et les Premiers poèmes. De même, dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, le couple Pierrot / Lune mime souvent les rapports du poète avec la femme, qui se résument à une attitude contemplative, une vaine adoration, un dialogue univo= que sans espoir de réponse. Comme pour Pierrot, la femme est l'élément qui rattache le poète, perdu dans le flou esthétique, à la réalité. Mais toute entreprise= de séduction semble vouée à l'échec, et la femme obsède Pierrot-Poète sans qu'il n'ose s'en approcher. De plus, notre personnage ambivalent prend du recul pour se moquer de lui-même= et de l'amour ; c'est une incertitude digne de Pierrot qui domine dans les rap= ports de Laforgue et miss Leah Lee, puisque quelques mois seulement avant de la demander en mariage, il reniait sur le mode parodique ses premiers é= lans amoureux. La timidité et la crainte d'essuyer un refus sont telles q= u'en présence de la femme, Laforgue, comme Pierrot :

« a toujours l'air d'un tiers ».

Ainsi, notre poète hérite des attributs traditionnels de Pierrot, au point de se confondre parfaitement avec lui ; = mais la dynamique d'identification est double : d'une part Laforgue se revê= ;t de la personnalité pierrotique, d'autre part il transfère au personnage lunaire ses goûts et convictions du moment. C'est ainsi que Pierrot devient Fumiste alors que Laforgue fréquentait, dans le quar= tier Latin, le cercle des Hydropathes ; le personnage lunaire hérite du non-sens et du goût pour la grosse plaisanterie, comme on le voit dan= s Pierrot Fumiste. Il n'a dés= ormais plus rien à voir avec le naïf de la Commedia dell' Arte, mais devient au contraire un bouffon impuissant et cynique. De plus, il est conv= erti par Laforgue aux doctrines de ses deux maîtres à penser, Hartm= ann et Schopenhauer. C'est de fait un Pierrot pessimiste et averti de la toute puissance de l'Inconscient, que nous découvrons dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune.= Le credo de Pierrot, « Faut mourir, frère ! », fa= it écho à la théorie de l'affranchissement telle que la conçoit Schopenhauer. Il devient ainsi un modèle idéal, incarnant ce que Laforgue voudrait être, à savoir un personnage détaché de tout, de la femme en particulier, et libéré du vouloir vivre absurde qui nous maintient malgr&eacu= te; nous dans une vie de souffrances. Nous n'avons plus affaire à Pierrot d'une part, notre poète de l'autre mais à un composé d= es deux, personnage hybride revendiquant à la fois son appartenance &ag= rave; la mythologie lunaire et sa foi en Hartmann et Schopenhauer. Or, ce mythe différent entretient un nouveau rapport à l'art.

En effet, le Pierrot de Laforgue est encore écrivain, et l'aventure du poète en habits lunaires devient également une expérience tragique de l'écriture. De fait, le Pierrot laforg= uien va répudier l'esthétique en vigueur, les canons de l'art, le génie, autant de choses n'ayant pour lui qu'une importance illusoire. Dans la Complainte des bons ménages, on trouve les conceptions suivantes :

« L'Art sans poitrine m= 'a trop longtemps bercé dupe.

Le génie avec moi, serf, a = fait des manières.

Mais l'Art, c'est inconnu ! Qu'on y dorme ou s'y vautre

On ne peut l'avoir constamment sur= les bras. »[185]

L'art devient l'Inconnu, synecdoque de l'Inconscient qui, selon les thèses de Hartmann, gouverne jusqu'au génie poétiq= ue. L'âme du grand Tout est bien la seule réalité artistiqu= e, comme le clame Laforgue dans la Com= plainte de Lord Pierrot ; dans une confusion généralisée, où « l'univers est à l'envers », il sac= cage la tradition littéraire, et le meurtre de l'ancienne esthétiq= ue s'accomplit par le meurtre du langage. De fait, notre personnage lunaire, mi-Laforgue, mi-Pierrot, mélange les genres et les niveaux de langag= e, provoquant le mécontentement du public :

« Oh != de moins en moins drôle ;

Pierrot sait-il m= al son rôle ? »[186]

On assiste donc bien à une dégradation du personnage, qui semble voué à l'échec, mené par l'Inconscient au sein duquel il perd son identité. Or, Abastado affi= rme que :

« La déconfiture de Pierrot nous informe sur= le mode parodique de la fin du mythe du Poète, dont la silhouette ne pe= ut plus être que la silhouette entrevue d'un fou. »[187]

C'est donc pour exercer la dérision vis-à-vis de lui-même que notre poète se grime en Pierrot. Il tourne ici au pitre humilié, incompris dans sa volonté d'une esthéti= que nouvelle, et qui opère un véritable travail de sape vis-à-vis de la mythologie lunaire. De même, par amplification= de cette entreprise de destruction, il s'attaque à présent &agra= ve; l'image par trop idéalisée du poète.

 

 

2) Laforgue dandy : reprise et dégradation du mythe = du poète.

 

 

Nous avons vu que le XIXème siècle affichait un = net renouveau de l'intérêt porté au mythe ; il reprend ainsi des figures du passé, mais crée également des mythes totalement inédits. Ainsi, dans la plus pure tradition Romantique, on assiste à l'émergence d'un mythe du poète. Ce dernier, idéalisé à l'extrême, se doit d'être marqué par la rigueur d'un destin tragique, contrepartie de son génie créateur ; cet homme inspiré, incompris, procède souvent à l'autoreprésentation mythique de sa personne. Ainsi, Baudelaire a su créer autour de lui toute une mythologie de l'artiste Maudit, et instaure les signes permettant de reconnaître le Poète Mythique. Ce dernier doit avoir un destin d'exception, mais être cependant voué à l'échec,= au malheur et à la solitude. C'est une victime prédestiné= e de la fatalité, qui n'est pas maître du feu qui la consume.

Au fil du XIXème siècle, ce mythe du poète évolue jusqu'à se confondre avec le mythe du Dandy. Le Dandy, toujours en représentation, sacrifie au seul culte du Moi ; il refuse l'anonymat, veut étonner et détonner dans une société uniforme génératrice d'ennui. Cette dernière vocation rappelle la volonté laforguienne de :<= o:p>

« Faire de l'original à tout prix. &raq= uo;

De fait, notre poète adhère dans une certaine me= sure à ce mythe du Dandy, reprise amplifiée du mythe du poè= te. On sait, grâce aux témoignages de ses amis, que Laforgue était un homme élégant, raffiné, ayant toujours= une apparence impeccable. De même, il se montrait fidèle à = la philosophie, à l'éthique et à l'esthétique que propose le dandysme. Même dans l'indigence, il a toujours gardé= ; le souci de renvoyer aux autres une apparence impeccable, ce qui lui a permis = de se faire introduire dans la bonne société. Il est littéralement fasciné par le culte du Moi, perceptible d&egra= ve;s la dédicace du recueil des C= omplaintes :

« En d= euil d'un Moi-le-Magnifique,

Lançant de front les cents pur-sang

De ses vingt ans = tout hennissants ... »[188]

Le Moi est donc au coeur des préoccupations poétiques de Laforgue, qui a déjà la volonté d'= en faire un mythe, obéissant ainsi à l'idéal du dandysme de :

« faire de sa vie une oeuvre d'art. »

De même, Laforgue respecte encore les commandements de ce courant en faisant de la femme un élément de souillure &agrav= e; fuir sans réserve. Conscient de sa propre supériorité,= il adhère enfin au pessimisme radical de cette tendance, lorsqu'il anno= nce dans Arabesque du malheur :

« Ma Destinée est demi-morte. »[189]

Laforgue semble donc prendre part au mythe du Dandy, variante décadente du mythe du poète. Mais il n'y a dans cette démarche aucune naïveté : notre auteur sait qu'à = son époque, ces deux mythes ont déjà été exp= loités jusqu'à leur paroxysme. Aussi prend-il vis-à-vis de son statu= t la distance qui s'impose, et reconsidère ce mythe à la lumière d'une ironie non dépourvue de lucidité.=

Il conserve le souci de développer une esthétiqu= e de la surprise ; c'est ainsi qu'il reprend dans son oeuvre des images légendaires sous le jour le plus insolite. Mais il considère = avec plus de prudence le culte du Moi, et redoute de tomber dans le décadentisme conventionnel. Aussi va-t-il accepter la dérive = du mythe du Dandy vers la pitrerie clownesque, afin de mieux tourner en dérision le culte du Moi et le culte du Poète. De nouveau, il= se livre donc à une entreprise d'autodestruction fort sévè= ;re, qui désacralise sa propre image et le dépouille de l'aura sacrée dont il s'était d'abord revêtu. Cette technique,= un rien suicidaire, nous montre que même le mythe du Poète n'&eac= ute;chappe pas à la lucidité et à l'incisive ironie de Laforgue. = Ce dernier semble satisfait du résultat obtenu, puisqu'il généralise à l'ensemble des Moralités légendaires cette technique de démystification par dérisions successives.

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3) Laforgue héros des Moralités légendair= es.

 

 

Nous avons déjà eu l'occasion de souligner l'omniprésence de Laforgue dans les Moralités légendaires. Or, elle prend souvent la forme d'une identification à l'un des personnages du récit. Comme il l'avait fait avec P= ierrot, notre poète se grime et prend les traits de l'un des actants de sa nouvelle. Ses figures d'identification privilégiées sont annoncées dès Les Fle= urs de bonne volonté ; dans Dim= anches XLVIII, il énumère tous ses « frères et soeurs de lait ». Il établit ce lien de parenté av= ec Orphée, Parsifal, Prométhée et Nabuchodonosor pour les « frères », et annonce ainsi certains thèmes des Moralités légendaires. Parsifal est inscrit dans l'intertexte de Lohengrin, fils de Parsifal, Orphée annonce le mythe du poète amoureux que l'on retrouve d= ans Pan et la Syrinx, Prométhée et Nabuchodonosor font partie de ces grands Maudits qu'affectionné Laforgue dès ses poésies. Quant aux « sœurs », elles se composent de Salomé, future héroïne éponyme d'une Moralité, d'Ophélie, chaste fantôme qui planera bientôt sur Hamlet, ou les suites de la piété filiale, de Salammbô, autre figure de Salomé, et encore d'allusions plus diffuses à Messaline, incarnant une certaine sensualité, ou à Cendrillon, figure de conte de fées qui nous rapproche de l'épilogue de Pensée et Andromède.= C'est au sein des Moralités légendaires que Laforgue opère un choix, et s'incarne véritablement dans des personnages mythologiques dont il revendique l'aura légendaire. L'identification procèd= e de deux manières ; on la trouve d'abord dans certains portraits de personnages légendaires, qui sont autant de portraits à peine voilés de notre poète. Ainsi, dans Lohengrin, fils de Parsifal il prend le masque de l'Immaculé chevalier, garant de la chasteté et de la morale, qui réprouve les propos d'Elsa, trop frivoles à son goût. Mais il trahit sa véritable identité lorsqu'il s'exclame avec angoisse :

« Mourir ! Mourir ! Oh, je ne veux pas mourir (...)= Je veux savoir la vérité sur les jeunes filles ! »[190]

Cette hantise de la mort est bien celle de Laforgue, déjà fort malade à l'époque ; de plus, la curiosité qu'il témoigne à l'égard des jeunes filles fait écho à une lettre à Kahn, où il ten= ait des propos similaires. Ici, il justifie la timidité qui est la sienne par la chasteté inhérente au personnage dont il emprunte le masque. Mais c'est dans Hamlet, ou = les suites de la piété filiale que l'on trouve l'identificati= on la plus nette. Nous sommes en effet confrontés à un portrait = de Laforgue en Hamlet, aussi bien physique que moral. Ainsi, le frère aîné de notre poète, Emile, a reconnu son frère = dans la description suivante :

« De taille moyenne et assez spontanément épanoui, Hamlet porte, pas trop haut, une longue tête enfantine (...) Masque imberbe sans être glabre, d'une pâleur un peu artificielle mais jeune ; deux yeux bleu gris partout étonnés= et candides ; un nez sensuel ; une bouche ingénue ; il a trente ans. »[191]

Faute de pouvoir imiter la physionomie du Prince de Danemark, depuis longtemps oubliée, Laforgue lui transpose ses propres traits, afin de ne faire plus qu'un avec lui. En outre, notre poète aura soi= n de cultiver son versant « hamlétique » ; c'est ai= nsi qu'il se rend à Elseneur, afin de s'immerger dans l'univers où= ; a vécu son modèle. A pr= opos de Hamlet présente Laforgue qui, par le biais d'un dédoublement de personnalité, discute avec le défunt Prince, inventant les questions et les réponses.

Aux similitudes physiques succèdent d'indéniables similitudes morales. Laforgue, comme Hamlet, est un grand indécis, cultivant à l'égard de la femme une attitude ambiguë d'attirance répulsion. De plus, on assiste pour le poète comme pour son double, à la confusion de la femme aimée ; de fait, = si Hamlet est amoureux d'Ophélie, cette « pauvre Lili », Laforgue l'est d'une jeune Anglaise, nommée Leah = Lee. Enfin, les deux personnages connaissent une mort également tragique,= qui permet de conclure, avec Steinmetz, à un :

« Portrait d'Hamlet en Laforgue adulte. »= ;[192]

L'identification est encore accentuée par une foule de détails ; c'est ainsi que Laforgue aime à se peindre en écrivain, transposé dans le conteste mythologique. De fait, on l'aura remarqué, chaque Moralité présente au moins un homme de lettres, nouveau portrait à peine voilé de notre aut= eur à l'ouvrage. Sa figure privilégiée d'identification re= ste Hamlet, qui devient dramaturge. Le Meurtre de Gonzague, pièce à laquelle le personnage de Shakespeare se contentait d'intercaler une tirade de douze vers, devient ic= i le chef-d'oeuvre du Prince-écrivain. De même, sa chambre, encombrée d'un « fumier de livres » peut faire penser à celle de Laforgue lui-même. Chez l'un comme chez l'au= tre, la seule action consiste donc dans la création esthétique. Pan constitue un deuxième reflet de notre écrivain, présenté ici dans sa douloureuse confrontation aux alé= as de la création et à la quête d'idéal. Laforgue revêt le masque du dieu tout en lui prêtant ses propres vers ; = de nouveau nous constatons la dualité de la dynamique d'identification = chez Laforgue : ce dernier s'attribue la dimension mythologique du personnage, t= out en lui transposant des bribes de son art. On retrouve le même procédé dans Pers&eac= ute;e et Andromède, ou le plus heureux des trois. Laforgue prend cette fois l'aspect peu flatteur du Monstre-Dragon, se livrant ainsi à un = autoportrait satirique. Il transpose de plus à ce personnage ses propres convicti= ons philosophiques, puisqu'il lui fait réciter La Vérité sur le cas de Tout, fable aux accents hartmanniens très prononcés. Au sein de ce processus à double tranchant, tout l= e monde semble pouvoir trouver son compte ; en effet Laforgue accède au stat= ut tant souhaité de personnage mythique, et les personnages en question sont investis de la seule noblesse contemporaine : la capacité &agra= ve; écrire.

Mais là non plus, Laforgue ne prend pas au série= ux la dignité éternelle que lui confère l'identification = ; et c'est encore la dérision qui domine derrière cette volont&eac= ute; de se représenter en héros mythique. Il dénonce ainsi = le ridicule de se prendre trop au sérieux, et affirme que le seul réflexe à avoir consiste à rire de soi-même, quoi qu'il arrive.


B) Perversion et dérision du mythe personnel.

 

 

 

1) Ironie et perversion par rapport aux modèles d'identification.

 

 

 

Nous venons de voir que Laforgue, avant d'acquérir une envergure mythique, choisit de s'incarner dans divers personnages de son univers mythologique. Cependant, il le fait toujours avec le recul et la dérision nécessaires à ce genre d'identification. De p= lus, il convient à présent de remarquer que les personnages choisis ont tous subi, à différents niveaux, une dégradation proportionnelle à la volonté satirique de notre auteur. Ainsi= , on a bien un portrait de Laforgue en Hamlet, mais il s'agit d'un Hamlet dégradé. En effet, dans la Moralité de Laforgue, le Pr= ince de Danemark n'est plus un héritier de sang pur, mais un bâtard= ; cette révélation, qui arrive vers la fin du récit, achève de ruiner le modèle shakespearien. On passe en effet d= 'un héros de la tragédie de la vengeance au fils d'une simple bohémienne, frère, qui plus est, du bouffon Yorick ! De ce fa= it, l'horreur de l'inceste maternel n'a plus lieu d'être, et la Sex Nause= a du personnage laforguien perd sa motivation. Les principaux ressorts de la pièce d'origine sont de même annihilés. Hamlet, fils

« de la plus belle gypsie que, sauf votre respect, = on n'ait jamais vu ! »[193]

et frère du Fou Yorick prend une toute autre dimension.= Par ses origines, il ne peut plus s'inscrire dans l'éthique aristocratiq= ue qui fait de lui un vengeur. Rien ne l'oblige plus à agir, et il se trouve réellement confronté à un dilemme qui le dépasse.

On peut s'interroger sur les motivations qui ont poussé Laforgue à nous présenter un Hamlet aussi dégrad&eacut= e;. Peut-être le fait d'avoir à incarner un Prince de sang lui paraissait-il ennuyeux ? En prenant un parti délibérém= ent fantaisiste, notre auteur coupe court à tout sérieux, de même qu'à tout tragique. De plus, on peut voir dans ce portrai= t de Laforgue en bouffon du roi un clin d'oeil aux fonctions qu'il occupait &agr= ave; la Cour d'Allemagne, à savoir distraire l'Impératrice Augusta= de son ennui mondain. Mais il convient enfin de relever la dérision que notre poète s'inflige à lui-même à travers cette dégradation du mythe d'Hamlet. Il se présente de fait sous l'= angle d'un parfait pitre, plus grotesque et moins artiste que Pierrot, le clown blanc. Ainsi, la parodie du héros de Shakespeare nous révèle un Laforgue authentique, las de la gravité et du sérieux des choses, qui laisse éclater toute sa fantaisie dan= s ce reflet de lui-même. Il n'accepte d'être Hamlet que sous conditi= on d'avoir un lien de parenté avec Yorick, ce « garçon d'un humour assez infini » dont il envie le talent. Il réalise là son rêve d'être clown, sans perdre de = vue les enjeux artistiques qu'impliqué un tel personnage. De fait, c'est toute la veine humoristique des Mor= alités légendaires qu'incarne Yorick, en y signalant la toute puissance= de la dérision. Le mythe d'Hamlet est donc dégradé au pro= fit du mythe du bouffon, ou plutôt au profit d'une écriture qui se veut bouffonne. Laforgue, travesti de la sorte, continue à critiquer= des genres classiques comme la tragédie de la vengeance, et réaff= irme la supériorité du discours parodique. Mais il arrive aussi que notre auteur exerce à rencontre de ces personnages une parodie plus gratuite, qui touche le plus souvent le domaine physique. Ainsi, dans Persée et Andromède, ou = le plus heureux des trois, il s'auto représente sous les traits du = bon Monstre-Dragon. Les « yeux bleu gris » de notre poète deviennent « des grosses prunelles d'un glauque aqueux » ; de même, le Monstre, même dans sa « vase coutumière », garde son « sourire débonnaire ».[194]

Dans cet autoportrait satirique, il s'agit surtout de présenter de manière ironique et dédramatisée la condition du poète, dont l'éternelle mission consiste à= ; changer la boue en or. Comme Laforgue, le Monstre est artiste, philosophe et un peu magicien ; mais il cache ses qualités sous un aspect repoussant, qui illustre peut-être la timidité dont souffre Laforgue. Ce derni= er se gratifie d'une physionomie aux frontières de l'humain, ayant une âme de sage dans un corps monstrueux. Sans complaisance vis-à-= vis de lui- même, il refuse de s'identifier à des héros sans taches et sans failles. Il choisit au contraire des figures marginales de bâtard et de Dragon qui, mieux que des créatures aux talents surhumains, sont aptes à représenter ce qu'il est vraiment. De nouveau, il se bat en faveur de héros de chair, étant doté lui-même de leurs qualités et de leurs défauts, et il tente de ramener le mythe du poète à ce= cadre plus rationnel.

 

 

 

2) Dérision du Moi et perversion de la « légende laforguienne ».

 

 

Laforgue a eu plusieurs fois tendance à se peindre sous= un angle mythique, afin de créer autour de lui une légende vivan= te comparable à la légende baudelairienne. Ainsi, ses Complaintes sont organisées= en hommage au « défunt Moi » d'un poète s'annonçant d'emblée « en deuil d'un Moi-le-Magnifique ».[195] Notre poète semble renouer avec la tradition du mythe du Poète, plaçant le Moi au centre des préoccupations poétiques. De fait, ce derni= er survit encore à L'Imitation = de Notre-Dame la Lune, avant de connaître son épilogue dans l= es Derniers vers. Là, on trouv= e en effet cette formule, qui résume l'existence de Laforgue selon le modèle légendaire consacré :

« II v= int trop tôt, il est reparti sans scandale ;

O vous qui m'écoutez, rentrez chacun chez vous. »[196]

II semble bien qu'on ait affaire au mythe du Poète traditionnel, représentant un homme de génie persécuté et incompris au sein de son époque. Cependan= t, là encore, la dimension parodique ne doit pas être éludée ; Laforgue ne tarde pas, en effet, à se moquer = de ses élans lyriques des Complaintes et Premiers poèmes. Ainsi, l'ironie perce dans L'île, poème des Fleurs de bonne volonté ; notre auteur se livre à une amplification du cu= lte du Moi, exacerbé jusqu'au grotesque. Pour cela, il s'inscrit de nouv= eau dans un cadre légendaire « l'île », où il retrouve Astarté parmi « des veuves de Titan= s ». Dans cet univers mythologique, il fait figure d'Ulysse revenant d'un long voyage. Il s'attribue de fait le premier rôle, ainsi que, et par dérision, la puissance d'un Néron. Puis survient le culte du = Moi, qui atteint des sommets dans l'absurde ; on prend « la photograp= hie de Mon Orteil », il faut en même temps reposer «&nbs= p;Mon Front Equatorial, serre d'anomalies. »[197] Ainsi, le mythe du Poète s'effondre devant ce Moi porté aux confins du ridicule. Laforgue dénonce et parodie cette tendance à idéaliser= son propre corps, sanctifié jusqu'aux « orteils ».= Il se moque de ce qu'il a pu être dans ses débuts, et de ce que s= ont restés certains poètes de sa connaissance.

De même, les Mor= alités légendaires réduisent en miettes la légende laforguienne, et renient définitivement le « défunt Moi ». Elles présentent d'abord une parodie du petit dandy précieux dont notre poète a emprunté les airs. Dans ce= tte optique, il convient de revoir la description de Persée, dans Pensée et Andromède, ou = le plus heureux des trois. De fait, ce personnage ultra satirique n'est ri= en d'autre qu'un portrait de Laforgue en dandy ridicule. Ainsi le maquillage et les bijoux dont est paré Persée témoignent du goû= ;t de la parure et de l'artifice, engouement éprouvé par Laforgue lui-même à la Cour d'Allemagne ; de plus, la surcharge et les détails fantaisistes qui agrémentent le portrait du hé= ros sont destinés à étonner, motivation principale du dandy dans ses moindres faits et gestes. Ainsi, Laforgue se moque du jeune homme à la mode qu'il a voulu être, et du courant, encore en vogue à son époque, qu'il considère avec un franc détachement.

De même, il s'attache à montrer, toujours dans le= s Moralités légendaires, les faiblesses des philosophies qui l'ont autrefois enthousiasmé. Aux élans fougueux de la jeunesse se substitue ici le recul de l'adulte = qui a beaucoup voyagé et voit d'un oeil nouveau les philosophies d'Hartm= ann et Schopenhauer. Ainsi, dans Salom&= eacute;, Laforgue fait de l'Inconscient selon Hartmann un numéro de clowns, et travestit sa philosophie sur la scène d'un Alcazar, désignant= ici un café-théâtre canaille. De plus, cette représentation burlesque de l'Inconscient est couronnée d'un « succès de fou rire » approbateurs.[198] De plus, Laforgue perpétue la dégradation parodique de la philosophie = de Hartmann, à laquelle il a voué l'enthousiasme le plus sincère dans sa jeunesse, dans le « vocero » q= u'il fait tenir à Salomé. Ce dernier présente, à bien des égards, des similitudes avec les réflexions les plus inti= mes de Laforgue, telles que les livrent les Mélanges posthumes et les extraits de la Revue blanche. De fait, il s'agit d'un monologue dans la plus pure tradition Fumiste utilisant les théories hartmaniennes à des fins scabreuses.

Dans les Moralit&eacut= e;s Légendaires, Laforgue revient sur son admiration pour une telle philosophie, et insiste avec humour sur les conséquences pratiques de cette pensée, qu'il n'avait pas forcément perçues lors d'une première lecture. Ce qu'Hartmann professe en effet au nom de l'inconscient, c'est le renoncement à toute conscience et à t= oute morale. Dans la bouche de Salomé, cette doctrine subit encore une amplification, pour devenir une invitation à la luxure et à la régression au stade de vie latente. On constate donc ici la reprise parodique d'un engouement de jeunesse, et l'on peut conclure avec Mireille Dottin que Laforgue

« intègre au récit de Salomé sa mythologie person= nelle, mais pour s'en démarquer en s'en moquant. »[199]

Quant à la philosophie de Schopenhauer, elle est moins soumise à l'ironie de notre poète, qui lui conserve une admiration assez constante ; mais il lui arrive cependant de s'en moquer pa= r de fines allusions qui dénoncent les excès de ce pessimisme.

Enfin, Laforgue désacralise ses rapports à la fe= mme et à l'art, deux éternelles sources de plaintes (et de Complaintes) dans l'oeuvre poétique. En ce qui concerne la femme, la dérision s'opère à travers la reprise du même schéma actantiel, appliqué à toutes les Moralité= ;s. Le poète, sous une identité mythologique quelconque, se plain= t de sa condition perçue d'emblée comme injuste et cruelle ; survi= ent la femme qui le séduit, et avec qui le dialogue s'engage ; mais il e= st bientôt interrompu, quand par la fuite, quand par la mort de l'un des deux interlocuteurs. Mais ce développement se fait de plus en plus léger, de moins en moins désespéré au fil du recueil. S'il y a bel et bien mort du héros dans Hamlet, ou les suites de la piété filiale, la dernière phrase redonne une nuance d'espoir et refuse toute effusion tragique :

« Un Hamlet de moins ; la race n'est pas perdue, qu= 'on se le dise ! »[200]

De même, dans Lo= hengrin, fils de ParcifaI, il n'y a plus de dimension frustratrice dans le rappo= rt à femme, puisque c'est le héros, de son plein gré, qui choisit de partir ; dans Pan et la Syrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux, l'art fa= it pour la première fois figure de compensation à l'amour enfui ; enfin, Persée et Androm&egra= ve;de, ou le plus heureux des trois affiche un enthousiasme certain, puisque la nouvelle s'achève sous le signe de l'amour partagé. La vision= de la femme a donc cessé d'être conflictuelle, pour laisser la pl= ace, parfois, à l'horizon bleu d'une idylle partagée telle que l'a= ura été, pendant un an à peine, celle de Laforgue et Leah = Lee.

Enfin, c'est toute la vision de l'art qui évolue chez n= otre poète. Ce dernier, qui commence à être connu, aborde le sujet de l'écriture avec d'avantage de désinvolture. Il réhabilite ses poésies de jeunesse, aux accents désespérés, dans le cadre plus optimiste des Moralités légendaires. Elles seront attribuées aux personnages mythologiques représentant un aspect de notre poète sous l'angle de la dérision. Ainsi, elles font figures de propos rapportés, dont notre auteur s'est détaché au moment où il les cite.

Mais cette pratique de l'auto parodie n'est pas sans conséquences sur l'oeuvre mythologique de Jules Laforgue. Derrière une structure en trompe-l'oeil, c'est finalement le fait d'écriture lui-même qui se trouve ici interpellé. Il convient à présent de voir quels dangers la parodie a pu faire courir à la crédibilité du texte dans son ensemble.


C) Constat d'une parodie généralisée := le passage d'une littérature mythologique à un mythe de l'écriture.

 

 

1) Le mythe de l'écriture.

 

 

Notre étude s'achève sur le constat d'une parodie généralisée. Les mythes antiques perdent leur signification initiale derrière une foule de significations des plus diverses, les mythes sacrés sont désacralisés par un Laforgue iconoclaste, enfin les mythes modernes se font les porte-paroles de voix aussi différentes qu'étrangères au registre mythi= que. Quant au mythe du Poète, il n'est plus que le pâle reflet d'un « défunt Moi » maintes fois renié et parodié.

On assiste de ce fait à une totale démystificati= on de la littérature mythologique, dans les diverses acceptations qu'el= le recouvre au fil des siècles. Les différents mythes deviennent autant de prétextes vides de sens à partir desquels Laforgue exerce son talent de parodiste, et établit une critique virulente des héros illustres du passé et des figures de la décadenc= e, tous soumis au joug d'une même ironie. De même, les enthousiasm= es de jeunesse apparaissent sous un jour plus nuancé, témoignant d'une maturité certaine chez Laforgue, qui prend du recul par rapport à lui-même et par rapport à la littérature.

Dans cette optique, le seul mythe à rester debout est le mythe de l'écriture, encore appelé mythe du Livre. Ce dernier domine à la fin du XIXème siècle, et s'empare de la pl= ace laissée vacante par le mythe du Poète, devenu pur masque de dérision. Le mythe du Livre inaugure des valeurs et des pratiques totalement originales au sein de la littérature ; Grojnowski annonce= que :

« Un mythe de l'écriture se met en place, où le locuteur perd son individualité pour se conformer &agra= ve; un type et, mieux encore, pour devenir le réceptacle d'une parole ve= nue d'Ailleurs. »[201]

De même que Max Ernst en peinture ou André Breton= en poésie, Laforgue se laisse guider par un pouvoir qui le dépas= se. Il pratique ainsi une sorte d'écriture automatique, énoncée par un locuteur anonyme. C'est ainsi qu'il obtient sa consécration poétique, culminant dans la découverte du vers libre, aux dépends de son identité de poète, reléguée au rang de Non-Moi.

Ainsi, tout mythe individuel, chez Laforgue, semble destin&eac= ute; à s'effacer devant l'émergence de l'acte d'écriture. La fin des Fleurs de bonne volont&eacu= te; est symptomatique de cet effacement irrévocable du Moi. L'ultime poème, Air de Biniou ne comporte plus aucun message personnel, mais consiste avant tout en un trava= il très approfondi sur les sonorités. Les rimes ont été remplacées par des dominantes phoniques en « -oise », « -ise », « -onse », « -ense » ; le messa= ge repose désormais dans ces composantes acoustiques. Ici, nous avons d= es sonorités qui expriment clairement la négativité, le mécontentement et la déception. De plus, Laforgue semble voir dans le mythe du Livre un ultime moyen de prendre possession de la nature, ainsi que l'exprime le dernier quatrain :

« (Oh ! Pourrions-nous = pas, par nos phrases,

Si bien lui retou= rner les choses

Que cette marâtre jalouse

N'ait plus sur nos rentes de prises ?) »[202]

La nature, marâtre qui impose à l'homme ses lois = les plus avilissantes, comme celle de la reproduction, est ici dénoncée. Or, pour Laforgue, le moyen de s'en rendre maî= ;tre ne peut reposer que dans l'écriture, qui recompose la nature selon l= es voeux de l'écrivain ; c'est pourquoi il privilégie le mythe du Livre, garant des valeurs de liberté de toute littérature. Le Livre se voit investi de valeurs mythologiques traditionnelles ; les mots deviennent héros, soutenus par la toute puissance de l'élocut= ion. Le travail poétique de Jules Laforgue révèle l'écriture dans toute sa puissance créatrice. C'est ainsi que notre poète produit les néologismes les plus étonnants, les oxymores les plus osées et les comparaisons les plus inéd= ites de l'histoire de la littérature. Le fait d'écriture semble tr= iompher chez lui, et revêtir les pouvoirs refusés aux personnages mythologiques. Mais rien n'est jamais traité uniformément chez Laforgue, et il convient pour finir d'affiner notre analyse du mythe du Liv= re.

 

 

 

 

2) Le mythe du Livre confronté à la réflexivité de la parodie.

 

 

La parodie, le souci de ne pas se prendre au sérieux, domine l'oeuvre de Jules Laforgue ; or, selon Michèle Hannoosh = :

« La réflexivité est comprise dans la définition même de la parodie : la réécriture comique d'un texte existant doit laisser la place à sa propre réécriture. »[203]

Ainsi, la féroce autocritique dont procède la parodie semble remettre en cause le mythe du Livre lui-même, et interpeller l'écriture entière. De fait, le texte poét= ique comporte une relative sécurité. Encore la parodie s'y exerce-t-elle par le biais du personnage de Pierrot, qui montre que le génie créateur n'est que le fruit de l'universel Inconscient.=

C'est dans le texte parodique par excellence, les Moralités légendaires, que le mythe du Livre est le plus sérieusement pris à parti. En instituant la dérision comme principe suprême de la littérature, Laforgue menace la validité même de toute écriture. De fait, dans cet ensemble où la parodie domine, ch= aque voix qui s'y fait entendre devient l'objet de nouveaux soupçons. La = voix initiale du mythe est ouvertement parodiée ; mais celle de l'auteur,= qui commente et qui juge, est à son tour soumise à caution. En ef= fet le modèle satirique posé par Laforgue est moins crédib= le encore que le modèle initial, qui conservait une certaine logique. C= hez notre auteur, le recul ironique interdit au lecteur d'adhérer un seul instant à l'univers mythologique. De plus, on a parfois affaire &agr= ave; de fausses parodies, comme en témoigne l'épisode de Persée et Andromède, ou = le plus heureux des trois. Ici, Laforgue rompt avec le contexte du mythe antique, brouille les repères ; mais la parodie dévie, le récit final n'appartient plus au registre du mythe héroï= que mais à celui du conte de fées. On a donc une inadéquat= ion manifeste entre le modèle de référence et la parodie finale. Cette dernière n'est plus une simple parodie de héros telle que nous l'avons étudiée plus haut, mais un procédé plus complexe qui s'implique, s'accuse et se mine.

Cependant, l'épilogue de Persée et Andromède aboutit, dans une certaine mesure, à la réhabilitation du procédé parodiqu= e, et à celle du mythe du Livre. Pour cela, le « je &ra= quo; prend la parole, dans un dialogue avec une certaine princesse d'U. E., outr= ée par cette perversion fantaisiste d'un si noble mythe. Devant les accusation= s de cette dernière, qui sont un peu les revendications de chaque lecteur, l'auteur tente de se justifier : sa version n'est pas plus menteuse que l'e= st le mythe d'origine ; de plus, la moralité de cette nouvelle peut s'entendre comme une apologie de la parodie elle-même :

« Jeunes filles, regardez-y à deux fois Avan= t de dédaigner un pauvre monstre. Ainsi que cette histoire vous le montre, Celui-ci était digne d'être le plus heureux des trois. »[204]

Le monstre que dédaigne la Princesse, c'est la Parodie, c'est-à-dire la plus monstrueuse des aberrations au sein de ce mythe= du Livre. On peut donc conclure, avec Michèle Hannoosh, que :=

« La parodie n'est fausse et trompeuse que pour ceux qui pensent que les histoires sont vraies. »[205]

Ainsi, contre toute attente, l'écriture sort indemne de l'autocritique dont procède la parodie. Laforgue réaffirme ha= ut et fort la supériorité de ce genre qui permet d'épargn= er le mythe du Livre. De fait, seule l'écriture et les héros qui= se prennent trop au sérieux subissent l'altération de l'ironie laforguienne. Une écriture bouffonne, telle que celle des Moralités légendaires, permet au contraire de révéler la toute puissance créatrice de l'écrivain.

Il en est de même de la parodie que notre auteur met en place dans Hamlet, ou les suites de= la piété filiale. En effet, quelques pages avant le dénouement, Laforgue fait cette réflexion :

« Laërtes, (qui aurait plutôt mérité, j'y songe, hélas ! trop tard, d'être le héros de cette narration. »[206]

Cette remise en question radicale du modèle shakespeari= en pourrait se révéler désastreuse pour la crédibilité du texte ; or, il n'en est rien. Ce que montre Laforgue au sein du mythe du Livre, c'est que les héros, sacralisés en légendes par certains, ne sont en fait que des pions interchangeables, sans valeur propre. Il invalide le mythe de Hamlet = pour clamer sa liberté d'écrivain ; une fois de plus, c'est le myt= he du Livre qui domine.


Conclusion générale.

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La mythologie, dans toute la diversité que comporte l'acceptation moderne de cette notion, constitue bien l'un des problè= ;mes centraux de l'oeuvre laforguienne. Ce thème coïncide en effet a= vec une volonté avouée de « faire de l'original &agrav= e; tout prix » ; paradoxalement, Laforgue choisit la voix de la difficulté qui consiste à tirer d'éléments anci= ens une création nouvelle. L'originalité de notre poète apparaît déjà à ce stade de sa démarche ;= il ne cherche pas à découvrir les régions inexploit&eacut= e;es de la littérature, mais reprend des mythes éternels sous un a= ngle absolument inédit. Il réalise ce tour de force en s'inspirant= de son expérience vécue ; ainsi de nombreuses orientations de l'oeuvre à venir se dessinent au cours de la période parisien= ne. Laforgue découvre, avec les Hydropathes, l'art de rire de tout, même du tragique de notre existence. Dans les Moralités légendaires, notre auteur applique enco= re cette doctrine, qu'il porte au rang de principe esthétique. De plus,= de nombreuses lectures faites pendant cette période infléchissen= t l'oeuvre en germination, lui donnant des accents tantôt pessimistes, tant&ocir= c;t psychanalytiques. Enfin, la vie de Laforgue nous aide à comprendre s= es rapports avec la femme et avec l'art, deux sources majeures de mélancolie et de dérision. On voit en outre comment, en pleine crise de la Foi, notre auteur recherche la transcendance perdue à travers une mythologie qui lui est propre. Il s'inscrit en effet dans un courant d'époque qui accorde aux mythes une seconde Renaissance, et participe activement à l'entreprise de palingénésie. M= ais notre poète se démarque d'emblée de ses contemporains,= et cultive une originalité certaine. C'est ainsi qu'il développe= une mythologie très personnelle de la Lune. Cette dernière apparaît chez lui avec une fréquence obsédante, et inca= rne une puissance tantôt bienveillante, qui diffuse une atmosphère onirique et apaisante, tantôt malveillante, qui préside &agrav= e; toutes les morts violentes. Dans sa fondamentale ambivalence, elle se confo= nd avec la femme qui, comme elle, sait se montrer ange ou démon. Mais la lune permet surtout à Laforgue de s'inscrire lui-même dans l'univers mythologique qu'il a créé. Il devient Pierrot, l'amoureux qui soupire vers un astre toujours muet et froid.

De fait, notre auteur n'interprète pas la mythologie, i= l la vit et y participe en personne. Là où ses contemporains ne fo= nt que représenter à distance des mythes variés, Laforgue abolit la distance et devient lui-même un personnage mythologique. C'= est ainsi qu'il incarne Hamlet, héros de l'Indécision, Lohengrin,= chaste chevalier dont la pureté reste inaltérée, ou encore Pa= n, artiste confronté aux aléas de la création. Mais il ne faut pas s'y tromper : il s'agit là de portraits sans complaisance aucune, qui ne constituent que le pendant dérisoire du mythe du Poète.

En effet, l'originalité fondamentale de notre auteur réside en son sens inné de la dérision, qu'il s'appliq= ue d'abord à lui-même. Qu'il soit Prince, Chevalier ou même Dieu, il conserve cependant certaines faiblesses humaines qui prêtent à rire. Ainsi Hamlet est bâtard et qui plus est insensé= ; Lohengrin s'enfuit devant la femme, et l'enchantement lunaire prive Pan de = la nymphe qu'il poursuivait. Les mythes classiques sont donc renvoyés u= ne fois pour toutes à leur passé révolu, et cèdent= la place au Mythe du Livre, consécration suprême du fait d'écriture. Dans son souci de dérision absolue, on peut voir = un reflet du détachement de Laforgue vis-à-vis des grands topo&i= uml; de la littérature. Il peut également s'agir d'une application= au fait d'écriture de la doctrine schopenhauerienne de l'affranchisseme= nt. Toujours est-il que, à travers d'une sorte de suicide littéra= ire, notre auteur met fin aux mythologies passées et modernes au profit d= 'une dérision généralisée.

Mais, derrière cette apparente frivolité, pointe= en permanence chez Laforgue une profonde angoisse ; ce second versant de l'originalité laforguienne, certes moins volontaire, repose sur cette constante ambivalence entre le rire et les larmes. De fait, si l'on considère rétrospectivement le destin tragique de notre poète, fauché dans la fleur de l'âge alors que la criti= que en faisait un chantre de la Modernité, on est amené à nuancer les conclusions que nous avions arrêtées quant à son ironie. Aussi convient-il de se demander, pour finir, si la déri= sion de Laforgue n'est pas à double tranchant ; L'écriture deviend= rait ainsi la métaphore d'une incurable mélancolie, qui tente de r= ire d'elle-même sans toutefois y parvenir.


BIBLIOGRAPHIE

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Dictionnaire des mythes littéraires, éditions du Rocher, 1984.=

Eliade Mircea,  &nbs= p;     Le sacré et le profane, Folio/Essai, Gallimard, 1957.

Traité d'histoire des religions, Petite bibliothèque Payot, 1975.

Histoire des croyances et des idées religieuses<= /i>, T.1, Bibliothèque historique Payot, 1976.

Grigorieff Vladimir, L= es Mythologies du Monde Entier, Marabout, 1987.

Hamilton Edith, La mythologie, Marabout, 1978.

Magazine Littéraire, Schopenhauer. philosophie et pessimisme, n° 328, Janvier 1995.


TABLE DES MATIERES

 <= /span>

Introduction générale :

 

Chapitre premier : La genèse de la mythologie chez Jules Laforgue.

Page 5.

 

A) Brève biographie du poète, dans l'optique suivante : Comment Laforgue a-t-il découvert les éléme= nts mythologiques qui constituent bientôt l'axe majeur de son oeuvre ?

Page 5.

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1) Petite enfance : Montevideo, Uruguay. (1860 -1866) page 5.

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2) L'adolescence : Tarbes. (1866 -1876) pag= e 6.

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3) La période parisienne. (oct1876 – nov1881) page 8.

 

4) Laforgue, lecteur de l'Impératrice Augusta. page 12.

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5) Les grands bouleversements des années 1886-1887. page 15.

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B) L'attrait renouvelé pour la mythologie au dix-neuvième siècle : étude du courant dans lequel s'inscrit Laforgue. Page 19

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1) Constat d'un regain d'intérêt pour l'élément mythologique. page 19.<= span style=3D'font-size:12.0pt;line-height:200%;font-family:"Comic Sans MS"'>

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2) Le passé revisité. page 20.

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3) L'émergence d'une nouvelle mythologie. page 23.

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C) Esquisse de la mythologie laforguienne . page 26.

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1) Que retient-elle de ces différents courants ?= page 26.

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2) Définition de la mythologie selon Jules Laforgue. page 29.

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Chapitre deuxième : Mythologies de Jules Laforgue, étude de l'intertextualité. Page 31.

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A) Les mythologies de l'Antiquité : Dans quelle mesure = et dans quel but observe-t-on un retour aux sources grecques, latines et germaniques ? page 31.

 

1) Mythes Gréco-latins. page 31.

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2) L'intertextualité dans les Moralités légendaires, ainsi que dans Pan et la Syrinx ou l'invention de la flûte à sept tuyaux. page 36.<= span style=3D'font-size:12.0pt;line-height:200%;font-family:"Comic Sans MS"'>

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3) Intertextualité et mythologie germanique.= page 42.

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B) Les mythes religieux : Dans quelle mesure sont-ils fidèles à leurs sources sacrées ? page 46.

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1) Les mythes chrétiens repris respectent-ils l'image q= u'en donne la Bible ? page 46.

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2) Vision chrétienne de la femme. page 48.

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3) Mythes Hindous et Bouddhisme: Quelles sont les figures d'élection de Laforgue ?, page 52.

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C) Les mythes décadents : à quelle source Laforg= ue puise-t-il ces éléments qui à l'origine ne s'inscrivent dans aucune mythologie préexistante ? page 56.

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1) Que devient, chez Laforgue, la vision de la femme au sein de l'esthétique décadentiste de cette fin de siècle ? page 56.

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2)  Le&nb= sp; Miracle  des  roses et  Salomé  :=   étude des  références  modernes  ; interprétation de ces deux facettes du mythe de la femme fatale. page 58.

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3) Le mythe d'Hamlet : étude des multiples occurrences = de cette figure décadente : analyse d'un intertexte lui aussi multiple.= page 62.

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Chapitre troisième : Mythologie lunaire de Jules Laforgue. Page 72.

 

A) Mystique et symbolique lunaires. Page 72.

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1) Mystique lunaire traditionnelle. page 72.

 

2) Représentation symbolique de la Lune laforguienne. page 74.

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3) Culte rendu à la Lune par Jules Laforgue.= page 77.

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B) Le Pierrot, complément et amplification de la mythol= ogie lunaire.= Page 80.

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1) Le Pierrot lunaire selon Jules Laforgue : Clown ou dandy ?<= /span> page 80.

 

2) Pierrot fumiste. Bouddha cynique. page 83.

 

3) Pierrot, frère et rival d'Hamlet. page 86.

 <= /span>

C) Généralisation de la mythologie lunaire. Page 89.

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1) Omniprésence de la Lune dans l'oeuvre de Laforgue. page 89.

 

2) Parallèlement, on constate une constante lunaire chez les principaux héros laforguiens. page 94.<= span style=3D'font-size:12.0pt;line-height:200%;font-family:"Comic Sans MS"'>

 

Chapitre quatrième : Originalité de Jules Laforg= ue : Altération et renversement ironique de l'élément mythologique. Page 99.

 

A) Altération de la mythologie : Comment, chez Laforgue, cette dernière en vient-elle à signifier tout autre chose que= son message initial, perdant ainsi sa signification et sa valeur intrinsè= ;que ? page 99.

 <= /span>

1) La mythologie comme dénonciation : critique sociopolitique de Jules Laforgue, page 99.

 <= /span>

2) La mythologie sous le poids de l'Inconscient : Laforgue, lecteur de Hartmann. page 104.

 <= /span>

3) La mythologie confrontée au Néant : la philosophie pessimiste de Schopenhauer. page 107.=

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B) La mythologie tournée en dérision : parodie et renversement ironique. Page 112.

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1) Une parodie de récit : caricature du modèle mythologique traditionnel. page 112.

 

2) Parodie de héros mythologiques. page 115.

 

3) Une parodie d'action. page 119.=

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C) Conséquences et principaux enjeux de cette parodie généralisée. Page 122.

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1) Pour une esthétique nouvelle de la parodie : Originalité de Laforgue dans le traitement qu'il applique à l'élément mythologique. page 122.=

 

2) Affirmation d'une voix personnelle au sein de cet ensemble parodico-mythologique. page 123.

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Chapitre cinquième ; La mythologie personnelle de Jules Laforgue, ses limites et l'émergence d'un mythe de l'écriture= . Page 125.

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A) Laforgue, héros mythique. page 125.<= /span>

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1) Portrait de Laforgue en Pierrot. page 125.

 

2) Laforgue dandy : Reprise et dégradation du mythe du poète. page 128.

 

3) Laforgue, héros des Moralités légendaires, page 130.<= /p>

 <= /p>

B) Perversion et dérision du mythe personnel. Page 134.<= /span>

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1) L'Ironie appliquée aux figures d'identification. page 134.

 

2) Dérision appliquée au Moi et perversion de la « légende laforguienne ». page 136.

 

C) Constat d'une parodie généralisée : passage d'une littérature mythologique à un mythe de l'écriture. Page 140.

 <= /span>

1) Le mythe de l'écriture. page 140.

 

2) Le mythe du Livre confronté à la réflexivité de la parodie. page 142.=

 

CONCLUSION GENERALE, page 144.

 <= /span>

BIBLIOGRAPHIE, page 146.

 



[1] Mircea Eliade, [in] Claude Abastado, Mythes et rituels de l'écriture= , page 12.

[2] Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, Locution= s des Pierrots XVI, page 44.

[3] Chauvelot, Jules Laforgue inconnu, les 6 premières années uruguayennes, page 57.

[4] i= dem, page 91.

[5] David Arkell, introduction aux textes iné= ;dits : Tessa, [in] « Revu= e des Sciences Humaines » page 91.

[6] i= dem, page 91.

[7] ibidem, page 91.

[8] Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, Locution= s des Pierrots X, page 41.

[9] David Arkell introduction à : Tessa in « Revue des Sciences Humaines » page 91.

[10]<= /span> Laforgue, Premiers poèmes, page 314.

[11]<= /span> Pascal Pia, introduction aux Complaintes, page 17.

[12]<= /span> Daniel Grojnowski, Laforgue Fumiste, l'esprit de cabaret, [in] « Rom= antisme », page 7.

[13]<= /span> idem, page 6.

[14]<= /span> Leopold Saint-Brice, Jules Laforgue, le sourire amer, [in] « A Rebours », pages 28 et 29.

[15]<= /span> Laforgue, Lettres à Madame ***, [in] M&eac= ute;langes posthumes, page 279.

[16]<= /span> Laforgue, Le Sanglot de la Terre, page 10.

[17]<= /span> Pascal Pia, introduction aux Complaintes, page 19.

[18]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Le Miracle = des roses, page 28.

[19]<= /span> Laforgue, Lettres à un ami, page 79.

[20]<= /span> idem, page 72.

[21]<= /span> ibidem, page 100.

[22]<= /span> Pascal Pia, introduction aux Complaintes, page 25.

[23]<= /span> Laforgue, Lettres à un ami, page 143.

[24]<= /span> idem, page 170.

[25]<= /span> ibidem, page 163.

[26]<= /span> Laforgue, Lettres à sa soeur, [in] M&eacut= e;langes Posthumes, pages 317 et 324.

[27]<= /span> David Arkell, L'année 1886, [in] « Europe », page 117.

[28]<= /span> Pascal Pia, introduction aux Moralités légendaires, page 13.

[29]<= /span> Laforgue, Lettres à sa soeur, [in] M&eacut= e;langes posthumes, page 322.

[30] Laforgue, Moralités légendaires, Hamlet, ou les suites de la piété filiale, page 64.

[31]<= /span> Chateaubriand, Génie du Christianisme, tome II.

[32] Claude Abastado, Mythes et rituels de l'écriture, page 24.

[33]<= /span> Victor Hugo, La Légende des siècles, Le Satyre.

[34]<= /span> Claude Pichois, notes et variantes des Fleurs du Mal, tome 1 de l'édition consultée, page 1080.

[35]<= /span> Baudelaire, Les Fleurs du Mal, tome 1, page 122.

[36]<= /span> Mallarmé, Les Dieux antiques.

[37]<= /span> Musset, Ballade à la Lune, [in] Po&eacut= e;sies de jeunesse.

[38]<= /span> Baudelaire, Petits poèmes en prose, Les bie= nfaits de la lune, tome 1, page 342.

[39]<= /span> Daniel Grojnowski, Jules Laforgue et l'originalité, pages 117 et 118.

[40]<= /span> Claude Abastado, Mythes et rituels de l'écriture, page 241.

[41]<= /span> idem, page 241.

[42]<= /span> Helen Phelps Bailey, Hamlet in France. fr= om Baudelaire to Laforgue, page 152.<= /span>

[43]<= /span> Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, Etals., page 52.

[44]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 44.

[45]<= /span> Laforgue, Complaintes, Complainte de Lord Pierrot, pag= e 93.

[46]<= /span> Daniel Grojnowski, Jules Laforgue et l'originalité, page 121.

[47]<= /span> Laforgue, Critique d'Art, [in] Mélanges Pos= thumes, pages 152 et 153.

[48]<= /span> idem, page 168.

[49]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 39.

[50]<= /span> idem, page 94.

[51]<= /span> ibidem, page 85.

[52]<= /span> ibidem, page 74.

[53]<= /span> Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, page 58.

[54]<= /span> Laforgue, Premiers poèmes, page 267.

[55]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 145.

[56]<= /span> Michèle Hanoosh, L'autocritique de la parodie : l'épilogue de Persée et Andromède [in] Laforgue aujourd'hui page 158.<= /span>

[57]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Persé= ;e et Andromède ou le plus heureux des trois, page 177. Ovide, Les Métamorphoses, livre 1,= vers 670 à 672.

[58]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Persé= ;e et Andromède ou le plus heureux des trois, pages 180, 181 et 197.

[59]<= /span> idem, page 193.

[60] = Michèle Hanoosh, L'autocritique de la parodie: l'épilogue de Persée et Andromède

[in] Laforgue aujourd'hui, page 158.

[61]<= /span> Daniel Grojnowski, Procédures et enjeux de la parodie, [in] « Nineteenth Century French Studtes », page 457.

[62]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Pan et la S= yrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux, pages 156 et 157= .

[63]<= /span> Ovide, = Les Métamorphoses, livre 1, page 31.

[64]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Pan et la S= yrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux. Page 158.=

[65]<= /span> idem, page 162.

[66]<= /span> ibidem, pages 148 et 149.

[67]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Lohengrin, = fils de Parsifal, page 97 ; Wagner, = Lohenqrin, page 10.

[68]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Lohengrin, = fils de Parsifal, page 98.

[69]<= /span> idem, page 91.

[70]<= /span> Laforgue, Premiers poèmes, page 208.

[71]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 37 et Premiers poèmes, page 220 ; Saint Matthieu, Evangile= , chapitre 27, verset 46.

[72]<= /span> Laforgue, Premiers poèmes, page 190.

[73]<= /span> idem, page 198.

[74]<= /span> ibidem, page 210.

[75]<= /span> Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, Locution= s des Pierrots XV, page 43.

[76]<= /span> Laforgue, Pensées et paradoxes, [in] Mélan= ges posthumes, page 9.

[77]<= /span> Laforgue, Tessa, [in] « Revue des Sciences Humaines », page 126= .

[78]<= /span> Laforgue, Impressions sur la Femme, [in] Mélan= ges posthumes, page 58.

[79]<= /span> Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, Jeux= , page 64.

[80]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Salom&eacut= e;, page 140 ; Saint Matthieu, Evangile= , chapitre 14, versets 1 à 12.

[81]<= /span> Mireille Dottin, Laforgue fumiste. Salomé Floupette, [in] « Romantisme = », page 23.

[82]<= /span> Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 1, chapitre VIII, p= age 217.

[83]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 49.

[84]<= /span> Laforgue, Mélanges posthumes, page 14.

[85]<= /span> Laforgue, Lettres à un ami, page 41.

[86]<= /span> Laforgue, Complaintes, page 39.

[87]<= /span> Léon Guichard, Jules Laforgue et ses poésies, page 163.

[88]<= /span> Laforgue, Concile féerique, page 78.

[89]<= /span> Laforgue, Lettres à un ami, page 153.

[90]<= /span> Laforgue, Des Fleurs de bonne volonté, page 171.

[91]<= /span> Laforgue, Moralité légendaires, Le Miracle = des roses, page 72 ; Flaubert, Un c= oeur simple, page 54.

[92]<= /span> Laforgue, Le Miracle des roses, pages 81 et 82 ; Flaubert, Un coeur simple, pages 56 et 57.

[93] Laforgue, Le Miracle des roses,= page 78.

[94]<= /span> idem, page 80.

[95]<= /span> Laforgue, Moralités légendaires, Salom&eacut= e;, page 117 ; Flaubert, Salammbô= , page 2.

[96]<= /span> Laforgue, Salomé, page 135 ; Flaubert, Hérodia= s, page 130.

[97]<= /span> Laforgue, Salomé, page 144 ; Flaubert, Salammbô= , page 353.

[98]<= /span> Baudelaire, Fleurs du Mal, La Béatrice,= page 117.

[99]<= /span> Rosette Lamond, The Hamlet Myth, [in] « Ya/e French Studies », page 87.

[100]= Laforgue, Pre= miers poèmes, Excuse macabre, page 169.

[101]= Laforgue, Des= Fleurs de bonne volonté, page 100.

[102]= Laforgue, Der= niers vers, page 216.

[103]= Epigraphe au poème Dimanches XXXIV, Des Fl= eurs de bonne volonté, page 136.

[104]= Laforgue, Des= Fleurs de bonne volonté, page 135.

[105]= Dédicace aux Derniers vers, page 180.

[106]= Laforgue, Des= Fleurs de bonne volonté, page 156 ; Schakespeare, Hamiet, acte I, scène 3, vers 36 à 38.

[107]= Albert Sonnenfeld, Hamlet the German and Laforgue, [in] « Yal= e French Studies », page 93.

[108]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 29.

[109]= idem, pages 42 et 45.

[110]= ibidem, page 47.

[111]= Laforgue, Ham= let, ou les suites de la piété filiale, page 38 ; Flaubert, La Légende de Saint Julien l'Hospitalier, page 69.

[112] Laforgue, Lettres à un ami, page 100.

[113] Mircea Eliade, Traité d'hist= oire des religions, chapitre IV, page 162.

[114] Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, page 24.

[115] Epigraphe à Imitation de Notre-Dame la Lune, page 15.

[116] Laforgue, Imitation de Notre-Dame la Lune, page 57.

[117]= idem, page 49.

[118]= ibidem, page 62.

[119]= ibidem, pages 65 et 66.

[120]= Hiddleston, E= ssai sur Laforgue et les Derniers vers, page 18.

[121]= Laforgue, Imi= tation de Notre-Dame la Lune, page 20.

[122]= idem, page 65.

[123]= ibidem, pages 29 et 31.

[124]= Laforgue, Let= tres à Madame***, [in] M&eacu= te;langes posthumes, page 275.

[125]= Laforgue, Imi= tation de Notre-Dame la Lune, Pierrots= , pages 29 et 42.

[126]= idem, page 32.

[127]= Hiddleston, E= space et temps laforguiens, [in] Laforgu= e aujourd'hui, page 61.

[128]= Laforgue, Com= plaintes, page 96.

[129]= Laforgue, Pie= rrot fumiste, [in] Mélanges posthumes, page 87.

[130]= idem, page 107.

[131]= Laforgue, Imi= tation de Notre-Dame la Lune, Locution= s des Pierrots V, page 38.

[132]= Laforgue, Mor= alités légendaires, page 27 ; I= mitation de Notre-Dame la Lune, Pierrots= , page 34.

[133]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 61.

[134]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Le Miracle = des roses, page 75.

[135]= idem, page 86.

[136]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Lohengrin, = fils de Parsifal, page 101.

[137]= idem, page 112.

[138]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Salom&eacut= e;, page 137.

[139]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Pan et la S= yrinx, ou l'invention de la flûte à sept tuyaux, page 147.=

[140]= idem, page 167.

[141]= ibidem, page 173.

[142]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, page 193.

[143]= idem, page 199.

[144]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Le Miracle = des roses, page 73.

[145]= idem, page 75.

[146]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Lohengrin, = fils de Parsifal, page 100.

[147]= idem, page 97.

[148]= ibidem, page 104.

[149]= ibidem, page 112.

[150] Laforgue, Moralités légendaires, Pan et la Syrinx, ou l'inven= tion de la flûte à sept tuyaux, page 173.

[151]= Schopenhauer, Petit bréviaire cynique, [in] « magazine littéraire » page 5.

[152]= Laforgue, Pre= miers vers, page 184.

[153]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 41.

[154]= idem, page 45.

[155]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Le Miracle = des roses, page 68.

[156]= Mireille Dottin, Laforgue fumiste. Salomé floupette, [in] « Romantisme = », page 19.

[157]= Laforgue, M&e= acute;langes posthumes, pages 148 à 150.

[158]= Hartmann, Phi= losophie de l'Inconscient, page 308.

[159]= Laforgue, Com= plaintes, page 41.

[160]= idem, page 93.

[161]= ibidem, page 94.

[162]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Salom&eacut= e;, pages 137 et 138.

[163]= Schopenhauer, Le Ménage à trois, manuscrit de 1822, [in] « Magazine littéraire », = page 44.

[164]= Laforgue, Pre= miers poèmes, page 162.

[165]= Laforgue, Com= plaintes, page 154.

[166]= Schopenhauer, Petit bréviaire cynique, [in] « Magazine littéraire », page 4.

[167]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 46.

[168]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Salom&eacut= e;, page 127.

[169]= Daniel Grojnowski, Laforgue et l'originalité, page 217.

[170]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 26.

[171]= idem, page 31.

[172]= ibidem, page 31.

[173]= ibidem, page 25.

[174]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, page 194.

[175]= idem, pages 194 et 195.

[176]= Jean-Pierre Guisto, Les Moralités légendaires de Jules Laforgue,  l'écriture innocenté= e, [in] « Revue des Sciences Humaines », page 47.=

[177]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, page 196.

[178]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Le Miracle = des roses, page 84.

[179]= Daniel Grojnowski, Moralités légendaires. La parodie, [in] Critique, page 67.

[180]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Salom&eacut= e;, page 123.

[181]= cité par Léopold Saint-Brice, [in] Laforgue, le sourire amer, page 17= .

[182]= Laforgue, M&e= acute;langes posthumes, page 21.

[183]= Laforgue, Imi= tation de Notre-Dame la Lune, page 44.

[184]= Laforgue, Let= tres à un ami, page 188.

[185]= Laforgue, Com= plaintes, page 92.

[186]= idem, page 95.

[187]= Claude Abastado, Mythes et rituels de l'écriture, pages 245 et 246.

[188]= Laforgue, Com= plaintes, A Paul Bourget, page 35.

[189]= Laforgue, Des= fleurs de bonne volonté, page 170.

[190] Laforgue, Moralités légendaires, Lohengrin, fils de Parsifal, page 109. (voir aussi Lettres à un ami, page 155.)

[191]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 40.

[192]= Jean-Luc Steinmetz, Portrait d'Hamlet en Laforgue adulte, [in] Silex, page 88.

[193]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 44.

[194]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, pages 179,182 et 191.

[195]= Laforgue, Com= plaintes, pages 35 et 45.

[196]= Laforgue, Der= niers vers, Simple agonie, page 1= 99.

[197]= Laforgue, Des= fleurs de bonne volonté, pages 153 et 154.

[198]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Salom&eacut= e;, page 133.

[199]= Mireille Dottin, Laforgue fumiste. Salomé floupette, [in] « Romantisme », page 24.

[200]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 64.

[201]= Daniel Grojnowski, Jules Laforgue et l'originalité, page 18.

[202]= Laforgue, Des= fleurs de bonne volonté, page 178.

[203]= Michèle Hanoosh, l'autocritique de la parodie, [in] Laforgue aujourd'hui, page 155.

[204]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Persé= ;e et Andromède, ou le plus heureux des trois, page 203.

[205]= Michèle Hanoosh, Autocritique de la parodie, [in] Laforgue aujourd'hui, page 164.

[206]= Laforgue, Mor= alités légendaires, Hamlet, ou = les suites de la piété filiale, page 62.

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