Marie-Claire BALLY
« Eh, bien, moi, j’ai bien rigolé… »
« Qu’en un lieu, qu’en jour un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »
L’Art
poétique,
Boileau.
« Eh, bien, moi, j’ai
bien rigolé ! Je vous le dis comme je le pense et tel que vous me voyez
j’en ai appris des choses et pas des moindres. Rien de mieux que les voyages
pour enrichir sa culture, moi, dès que je peux, je pars…
Attention, je ne pars pas tout seul, j’aime
la compagnie, moi, Monsieur, alors je pars avec le CLUB. Que des gens sympas au
CLUB : le Marcel, vous savez le Marcel du « fioul Marcel, ça
étincelle ! », il vend du fioul le Marcel, il fait les tournées dans
son camion–citerne et la Janine, celle-là, elle se perd tout le
temps ; une fois on devait la retrouver sous la Tour Eiffel, eh, bien pas
moyen de la voir, on lui avait pourtant bien dit « Sous le quatrième
pied, on s’attend et le premier arrivé attend l’autre », rien à faire,
elle a jamais pu trouver le quatrième pied. Elle n’a pas dû bien chercher parce
que nous on l’a trouvé tout de suite. Il faut dire qu’elle
est pas bien finaude, elle est capable de se perdre au marché à
Marcigny, alors…
Il y a aussi les
jumeaux Ignace et Dimitri Rapunzel, insupportables
ces deux –là, ils accompagnent leur grand-mère, la mère Martinfouine,
insupportable celle-là ; il paraît que la fille est bien aise de les voir
partir tous les trois, il y en a qui disent que c’est même elle qui paye les
voyages. Et elle leur paye pas des voyages de petit joueur, il y a qu’à voir la
suite de l’histoire, on y reviendra …
En plus pour la
première fois depuis que sa femme a trépassé, est venu le Paulot,
tout content d’ailleurs, il n’arrêtait pas de chanter « Elle est morte, la
poison, elle est morte, la chameau ! Ah, que je suis content, ah que, je
suis content ! » Nous de le voir si heureux, vous pensez bien, on
reprenait tous en chœur, il fallait nous voir dans le car, un joli petit canon,
c’était joli, joli, joli ! Il y avait que la Martinfouine
qui faisait bien un peu le nez, des qui aiment pas la belle musique, on en
trouve partout, ils ne savent pas ce qu’ils ratent du reste.
Donc nous voilà partis avec tous
ceux-là plus quelques autres mais des moins intéressants du point de vue de la
conversation. Il faut dire que moi j’aime bien les gens qui ont de la
conversation. En voyage, c’est très important de faire partager ses idées même
avec des gens qui au départ ont pas envie de parler. Moi j’insiste toujours
pour causer et à la fin les gens, ils m’ont toujours remercié. Surtout, vous le croirez peut-être pas, des gens que je ne connais
pas. Il y en a qui me disent « Avec vous, nous ne sommes pas ennuyés une
seule seconde, on nous avait dit que cela existait mais nous n’osions pas le
croire ; nous ne sommes pas prêts de vous oublier, nous parlerons de vous
encore longtemps… » Voilà des personnes qui ont des manières, qui savent
se comporter dans le monde et reconnaître le bon goût partout. Pas comme la
Janine qui a de ces réflexions des fois…Donc en voiture Janine, on a pas de Simone, dommage ça sonne moins bien, donc en
voiture je disais, pour la Chine. Enfin quand je dis en voiture, vous imaginez
bien qu’on a pas fait la Croisière Jaune, on est moderne, on a pris l’aéroplane . Je vous passe le voyage en car jusqu’à l’aréoport, peu de choses à dire à part la belle chanson du Paulot, les deux petits–fils malades, il y en a qui ne
savent pas voyager, la Martinfouine qui faisait une
gueule de Carême, le saucisson à l’ail du Marcel et d’autres détails qui
mettent du piquant dans les voyages.
A Rouaissy, comme il disait le guide, on allait prendre un autre Bus mais un Airbus, moi j’aurais bien préféré garder celui qu’on était habitué mais bon il faut savoir mettre de côté son petit confort, je suis pas tout seul, il y en a des qui semblaient si contents de changer de car…Surtout les frères Rapunzel qui ont le Marcel en horreur, il paraît qu’ils ne peuvent plus le sentir à présent. Bon on présente les billets de train d’avion, j’avais mis le mien dans ma chaussette pour pas le perdre, la petite jeune du comptoir m’a regardé avec un drôle d’air « Ben quoi, j’ai dit, je l’ai mon billet ». On passe à la douane avec les passeports, on nous a rien demandé de rien, un peu déçu que j’étais, moi qui avais fait mes bagages méthodiquement en cas que j’aurais dû ouvrir ma filoche. D’un côté le petit linge, rien de plus embêtant que de déballer sa layette personnelle, de l’autre les autres affaires en vrac. Au retour, j’espère qu’on ne nous demandera rien de plus parce que je ne sais pas si je saurai refaire mon rangement étudié. Surtout que je compte bien rapporter des souvenirs, des chouettes trucs de machins chinois que je pourrais mettre sur la cheminée à côté de la Tour Eiffel en tarmac ou hamac, peut-être que c’est en zamac qu’elle est, enfin il y a encore de la place à côté d’elle et du coquillage béni du Mont Saint-Michel, une beauté exquise ce machin et pas cher avec ça, une vraie affaire, la marchande a cédé sur le prix, il faut dire qu’elle éclatait de rire à chaque seconde, on se demande bien pourquoi d’ailleurs.
Nous voilà dans une espèce de tuyau
qui nous emmène dans l’aéroplane et une autre petite jeune nous donne nos
places. Oh là, là, ce travail, ce que ça ressemblait, le Marcel qui voulait pas
être au milieu, la Janine qu’avait peur de tomber par la petiote fenêtre ronde,
les jumeaux qui se prenaient en photo et qui disaient à la grand-mère qu’il
faudrait bien des preuves qu’ils étaient là si jamais l’Airbus sombrait dans
les flots - comme ça qu’ils ont dit -, le Paulot qui regardait
partout si des fois il se trouvait pas une fiancée potentielle, la jeunette qui
savait plus où donner de la tête et moi, tout bien, assis à ma place à côté
d’une grosse dame anglaise belge, je commençais à écrire mes cartes postales de
Chine que j’avais acheté par correspondance au Catalogue. J’ai
bien pas failli les recevoir à temps d’ailleurs. Ils me connaissent au
Catalogue, ils savent comment je m’appelle, un coup de fil et hop j’ai tout
reçu avant de partir.
On était bien dans cet avion, à l’aise
et tout, à manger et à boire, il y avait qu’à demander, on appuie sur un petit
bouton et la jeunette, elle surgit d’on ne sait d’où avec un air affairé qui
vous donne à vous l’air important, en ce qui me concerne, je ne l’ai pas sonnée
de trop, il ne faut pas exagérer, juste une trentaine de fois. Pas comme
l’Anglaise belge qui était tout le temps après le bouton. Il faut dire qu’elle
était tellement grosse cette femme qu’elle savait pas
quoi faire de ses bras, il y avait toujours un bout qui dépassait. Pas
déplaisante d’ailleurs, bien causante, j’en ai profité pour lui présenter mes
idées sur la restauration dans l’avion, figurez-vous qu’on est tombé bien
d’accord « Trois repas, c’est sûr c’est pas
assez ; quatre c’est juste, juste mais cinq c’est presque trop ».
Bref ça fait toujours plaisir de tomber sur des gens qui partagent votre
opinion. On a vu un chouette film , j’ai pas trop compris parce que j’avais
perdu les écouteurs qu’ils vous prêtent , j’ avais que les images mais ça m’a
bien suffit parce que d’après ce que j’ai vu c’était une histoire d’avion qui a
un accident dans la mer et que tous les survivants sont morts à la fin , j’ai
pas trop aimé , je me demande si les deux Rapunzel ne
l’ avaient pas déjà vu parce qu’avec leur histoire de photos j’ai trouvé que
c’était pas si bête que ça. Peut-être que la fille de la Martinfouine,
elle l’a vu aussi ce documentaire d’avion et que ça lui a donné des idées…
Enfin bref, le voyage s’est poursuivi dans le calme bien que la Janine ait
passé tout le temps le dos tourné à la petiote fenêtre et qu’elle avait bien du
souci pour manger sa lasagne sans en mettre partout sur la blouse à fleurs.
Nous voilà à l’aréoport
de Chine, l’aréoport du Chand’ail,
bel aréoport je dois dire, tout comme chez nous sauf
que les gens comme de bien entendu, ils sont jaunes. Au départ j’avais bien de
la tristesse pour eux je croyais qu’ils avaient mal au foie, mais non, le guide
nous a dit que c’était pas une maladie, j’étais bien
aise de savoir ça, ça m’aurait fait de la peine de savoir tous ces gens malades
alors que moi je suis en balade. On passe la douane une deuxième fois, les
Chinois ne sont pas plus intéressés par mon rangement que les Français, j’avoue
que je suis un peu vexé. Enfin, on est dehors, on se compte pour savoir si on
est tous là , bien sûr le Paulot
qui veut faire rire commence par dire « Toi et moi ça fait un plus la
Janine, la Martinfouine et les autres, on est tous
là ». Le guide nous regarde avec un drôle d’air fatigué et nous dit qu’il
serait temps de partir si on ne veut pas rater le train pour le Pékin - moi, je
savais toujours pas de quel pékin il s’agit, il aurait pu nous dire son nom au
moins.
Le trajet en train n’a rien de
spécial sinon qu’il est très long, j’ai joué aux cartes avec des Chinois et je
dois dire qu’ils sont assez forts mais pour ce qui est de la manille coinchée nous–autres on est quand même les champions.
Seulement comme ils apprennent très vite il faut se méfier d’eux, ils seraient
capables de nous voler le titre. Enfin, j’ai bien rigolé et j’ai passé un
moment extra. Vive la Chine, les Chinois et la manille coinchée.
Pour la ville qu’on a visité, je sais toujours pas son nom, j’ai
pas été déçu, belle ville, beaucoup de monde, plus qu’à Paray au moment du
pèlerinage en tout cas, des vélos, des vélos comme s’il en pleuvait et des gens
et des gens, on se tenait par la main parce qu’on avait peur de se perdre. Moi j’y tenais pas trop parce que j’avais plutôt faim, les cinq
repas de l’avion ils étaient loin, si j’ose dire, et un petit croûton ne
m’aurait pas fait de mal. Un restaurant en vue, chic que je me dis, je vais
faire un dîner chinois vrai de vrai garanti sur facture. On entre, des tables
et des chaises, je fais un peu le nez, je pensais qu’on allait manger assis par
terre puis je me rappelle que les
Chinois c’est pas des sauvages, qu’ils ont inventé
plein plein de choses et pourquoi pas les tables et
les chaises. A table ! Bien sûr, le menu il est écrit en étranger, c’est
normal, on est pas chez nous, il faut s’adapter, je prends
un peu ce qui ce présente, de toute façon les plats qui passent à côté de moi
ont l’air bien appétissants, je serai bien poli et je mangerai tout ce qu’on me
donnera - enfin tout sauf du teckel comme celui de la voisine de l’autre côté
de la rue. C’est pas mauvais du tout, le seul souci, c’est les petits morceaux
de bois qu’ils mettent à côté des assiettes : « C’est pour
manger », que m’a expliqué le guide, j’ai essayé d’y goûter, eh ben, c’est pas bon du tout, c’est dur et filandreux. Les patrons
du restaurant, ils rigolaient comme la bonne femme du Mont Saint-Michel, et
puis la petite dame chinoise s’est approchée de moi et m’a tiré par la manche,
elle tenait à la main un tout petit plateau avec plein de doré et un petit
napperon en dentelle comme chez la Martinfouine sur
le dessus, il y avait une fourchette. Vu qu’elle l’apportait avec cérémonie,
j’ai bien compris que c’était la fourchette des grands jours, peut-être bien
qu’ils n’en ont qu’une seule de fourchette. En tout cas, ils ne se sont pas trompés
de personne, c’est bien à moi qu’ils l’ont apportée cette fourchette, ils ont
bien vu qui était important dans cette assemblée. On a bien raison de dire que
les Chinois sont très intelligents, j’en ai une preuve vivante. Avec cet outil
tout a marché comme sur des roulettes, j’ai nettoyé l’assiette en moins de deux
minutes, plus la sauce avec leur pain qu’est du riz ; une tasse de thé
pour faire passer - c’est pas ce que j’ai préféré - et
hop nous voilà partis pour la balade.
La grande muraille de Chine, un beau
morceau cette affaire là. Des murs, des murs, des murs et des escaliers, des
escaliers, des escaliers. J’ose pas imaginer la tête de la concierge quand elle
fait l’escalier, elle doit pas s’amuser tous les jours
cette femme ; j’ai fait part de ma réflexion au guide qui m’a regardé
comme s’il ne me comprenait pas - c’était peut-être le cas ; pas besoin
d’être allé aux écoles si c’est pour pas comprendre le bel humour. Là, j’ai
trouvé de beaux souvenirs, des animaux en peluche rigolos comme tout, des pandales qu'on m'a dit, j’en ai rapporté pour mes neveux et
nièces, ils vont être bien contents, surtout que ces bestiaux, ils ressemblent
à leur chat que s’appelle Dédé. En tout cas, j’ai pas vu le temps passer, les
quinze jours ont défilé comme rien, on a tout vu, les taxis de Chinois, les
belles expos de dessins faits à la main, autre chose que les canevas de la
Janine, les restaurants, les boutiques de souvenirs et tout le bazar, c’était
drôlement chouette ! Tout ça pour nous retrouver de nouveau dans l’avion
avec d’autres gens qu’ont vu la Chine. C’est là que ça devient intéressant,
j’ai pu comparer mes souvenirs avec la dame anglaise belge qui, elle aussi
était de retour, elle avait fait le même circuit que nous mais dans l’autre
sens. Elle avait acheté un t-shirt où qu’il y avait écrit « I love the Grande Muraille », de toute beauté, ce t-shirt. Ce
qu’il y avait de plus beau, c’était le chapeau chinois, comme les petites
Chinoises qui ramassent leur thé pour boire dans leurs cafetières à thé. Et pratique
avec cela, comme la dame ne savait pas trop quoi en faire, elle l’avait mis sur
la tête, logique pour un chapeau, vous me direz ! Elle avait une sacrée
touche dans l’avion. Moi, je lui ai proposé une autre utilisation : comme
panier. Elle aurait une de ces allures, le chapeau-panier
au bras, du coup, j’ai bien regretté de ne pas en avoir acheté un de chapeau,
j’aurai pu faire la visite des magasins désaxés des aréoports.
Des bassines en plastiques de toutes les couleurs, du ouisky, des parfums rares, des bidules utiles pour
la maison et tout ça, voilà ce que j’aurai pu rapporter dans mon magnifique
chapeau chinois. En plus pour aller au jardin, il n’y a pas mieux, plus de
coups de soleil, plus de pluie de printemps qui vous surprend alors que vous êtes
en train de faire des petits binages fins et puis surtout les patates, les
groseilles, les pissenlits et les mousserons d’avril, vous les ramenez à la
maison sans qu’ils soient esclapouis, c’est vraiment
l’idéal pour le jardinier qui sait y faire. Des regrets que j’ai de pas avoir
pensé à tout cela avant ; enfin c’est fait, c’est fait. Je suis bien content
tout de même de ce que j’ai acheté, à part les pandales
en peluche, je me suis offert pour mettre sur la cheminée un petit bonhomme
assis dans une fleur, joli tout plein avec sa recouverture
en perles de culture de là-bas. On dirait qu’il est tout en perles d’huître,
c’est ça qui m’a décidé parce que j’aime bien ça les huîtres même dans les mois
que sont pas en R.
Enfin le voyage se termine nous revoilà chez nous avec des souvenirs plein la tête, les douaniers ne sont pas plus enjoués à notre égard, tant mieux ce coup-ci, j’ai pas envie de payer de tas de taxes sur mon petit bonhomme, c’est une pièce de valeur, alors autant qu’elle reste bien cachée au fond de mon sac. Nous remontons dans notre car et nous repartons pour notre campagne tout contents, il n’y a que le guide qui ne nous cause plus, il a l’air épuisé, ce pauvre homme. Moi, je dis quand on aime pas les voyages on choisit un autre métier. Par contre le Paulot, il est dans une forme éblouissante, il redonne de la voix pour mettre de l’ambiance : « Elle est morte, la poison, elle est morte, la chameau ! Ah, que je suis content, ah que, je suis content ! » C’est une bonne idée, et nous on reprend comme à l’aller. C’est normal qu’il soit si content, c’est la première fois qu’il part l’esprit léger, j’en profite pour lui glisser à l’oreille « Dans trois mois, il y en a un autre de voyage avec le CLUB… Dis-donc Paulot, ça te dirait d’aller à Miami ce coup de la fois… »